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Moyen-Orient - Reportage

Quand le régime syrien pollue le fleuve Oronte à Idleb

Des cas d'empoisonnement, des milliers de poissons morts et des productions agricoles affectées. En cause : une contamination du cours d’eau.

Quand le régime syrien pollue le fleuve Oronte à Idleb

Une vue sur l'Oronte, dans la région d'Idleb. Photo Abdel Majid el-Karh

Une vraie bonne affaire ? L’été dernier, sur les marchés de Jisr al-Choughour, dans la région d’Idleb, le prix du poisson a chuté d’un coup. Dans la zone où la monnaie turque est en circulation, le kilo est tombé à un quart de son prix habituel, passant de 40 à 10 livres turques. Seulement, il y avait anguille sous roche. Neuf cas d'empoisonnement ont été déclarés. L’explication est venue plus tard : les poissons étaient morts en raison de la contamination du fleuve Oronte et ont été vendus illégalement.

C’est dans la région de Baalbeck, au Liban, que le fleuve prend sa source. Formant la vallée éponyme, l’Oronte se faufile ensuite vers le nord-est jusqu’au territoire syrien, où il traverse notamment Homs, Hama et Jisr al-Choughour. Il finit sa course dans la mer Méditerranée, à partir d’Antioche, en Turquie. Son nom, « Nahr el-Assi » (le contrevenant), souligne son parcours à contre-courant, alors que les autres fleuves de la région coulent tous du nord vers le sud.

Conflits politiques transposés dans les courants

Sur son chemin, l’Oronte passe d’une région contrôlée par le régime syrien à une zone sous administration de l’opposition, autour de Jisr al-Choughour, dans la province d’Idleb. La singularité du fleuve donne ainsi au gouvernement de Damas la possibilité de maîtriser le plus grand plan d'eau du nord-ouest du pays, dominé par l’opposition.

En amont, dans la plaine fertile d’al-Ghab, lovée entre Qastoun et al-Qarqour - dernier village du gouvernorat de Hama, sous contrôle de l'opposition -, les habitants avaient remarqué durant l'été que le couleur de l’eau s’était assombrie. Déjà souillée auparavant par le versement des égouts dans le fleuve, l’eau de l’Oronte a viré au vert foncé, dégageant une odeur nauséabonde qui empêche toute baignade. En cause, une pollution élevée qui aurait par ailleurs entraîné la mort d’une grande quantité de poissons, flottant à la surface.

Des poissons morts flottant sur la surface de l'eau de l'Oronte, dans la région d'Idleb. Photo Abdel Majid el-Karh

Soupçonnée d’être à l’origine de cette pollution : la réouverture par le régime d’une usine de sucre dans la région de Tal Salhab en août dernier, qui déverserait ses déchets toxiques dans l’Oronte. Une pratique qui a affecté non seulement la vie aquatique du fleuve, mais aussi les cultures agricoles qui en dépendent pour leur irrigation, notamment les plantations de maïs, où les dégâts sont estimés à environ 40 % de la production, d’aubergines, de poivrons, de niébés et de haricots. « De fortes concentrations de produits chimiques tels que le chlore et le soufre » ont été retrouvées sur des échantillons d'eau de rivière, de plantes environnantes et de poissons morts, explique le Dr. Abd al-Hay al-Youssef, chef du Département de la santé et des ressources animales à Idleb.

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« Le premier et le seul responsable de la pollution des eaux de l'Oronte est le régime syrien, qui a déversé les déchets de l'usine de sucre dans la rivière », accuse-t-il. Et de rappeler que la corruption dans les institutions gouvernementales a entraîné d’autres « désastres », comme en 2021 lorsqu’un réservoir de pétrole de la centrale thermique de Banias s’est fissuré, formant à la surface de la mer une marée noire de près de 120 kilomètres carrés. Mais en ce qui concerne la pollution du fleuve, il en est persuadé, c’est délibéré. Il aurait été possible de collecter les déchets dans des fosses spéciales pour préserver les zones libérées du régime.

Victime collatérale : le cycle de la vie

Rifaat Taha Kaeed, 35 ans, est un adepte de la pêche depuis dix ans. S’il arrive à capturer en moyenne 50 kilos de poissons en travaillant 10 à 12 heures par jour, la prise est imprévisible, variant de 20 à 200 kilos. « C’est un processus très fatigant, et nous avons été très impactés par la pollution du fleuve. Des dizaines de milliers de poissons sont morts. » C’est paradoxalement pour sauver son gagne-pain que cet habitant de Jisr al-Choughour affirme avoir dû ouvrir les vannes du barrage d’al-Qarqour, malgré la pollution liée à la sucrerie. Car le gouvernement avait préalablement ouvert le barrage d’al-Acharna, sous son contrôle, en raison de la pression hydraulique. Il s’agissait ainsi de libérer l'eau stagnante pour augmenter le taux d'oxygène dans le fleuve.

Des poissons morts flottant sur la surface de l'eau de l'Oronte, dans la région d'Idleb. Photo Abdel Majid el-Karh

Pour Moussa al-Bakr, ingénieur agronome, si le courant intrinsèque au fleuve et le renouvellement de son eau prémunissent la vie aquatique des effets à long terme de la pollution, il en va autrement des dommages causés par l'irrigation de terrains agricoles. « La concentration de substances toxiques issues des résidus de matières sucrières aux abords de la rivière et leur pénétration dans le sol affectent négativement le cycle de vie », explique-t-il. Lorsque ces substances s'installent dans le sol, elles sont automatiquement absorbées par les plantes et arbres utilisés pour le fourrage des animaux comme pour l’alimentation des être humains. Créant ainsi une accumulation de ces toxines à long terme.

Une grande partie de sa moisson a été anéantie. Ahmed Kaddour attendait pourtant patiemment de procéder à la récolte automnale de ses 50 dunums (50.000 m2) de terre. A la place, l’agriculteur de 32 ans a dû faire face à des maladies fongiques sur nombre de ces terrains, et à des perturbations logistiques liées à la pollution du fleuve Oronte. « Parce que l’eau s’est transformée en une sorte de boue visqueuse, perturbant ainsi les filtres d'extraction d’eau irriguant les terres, certaines zones agricoles ont subi une sécheresse, raconte le jeune homme. Pour irriguer ce que j’ai pu sauver de mes cultures, j'ai dû creuser un puits de 50 mètres de profondeur, qui m’a coûté très cher. »

Source traditionnelle de revenus, le fleuve Oronte, pollué, est devenu un casse-tête pour les agriculteurs et les pêcheurs situés en aval de l’usine de sucre. « Même les passants peuvent sentir la mauvaise odeur émanant du cours d’eau à une distance de plus d'un kilomètre », se plaint un habitant de Jisr al-Choughour.

Une vraie bonne affaire ? L’été dernier, sur les marchés de Jisr al-Choughour, dans la région d’Idleb, le prix du poisson a chuté d’un coup. Dans la zone où la monnaie turque est en circulation, le kilo est tombé à un quart de son prix habituel, passant de 40 à 10 livres turques. Seulement, il y avait anguille sous roche. Neuf cas d'empoisonnement ont été déclarés....

commentaires (6)

Baby Putin

M.E

19 h 36, le 08 janvier 2023

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Commentaires (6)

  • Baby Putin

    M.E

    19 h 36, le 08 janvier 2023

  • J’ai eu la grâce , quand , petit garçon , je me suis promené le long de ce fleuve majestueux , source de vie , don de Dieu La cruauté humaine,n’a pas de limites Faut-il s’étonner? Quand on massacre ses enfants sans remords , les poissons et les aubergines ne sont considérés que comme incidents de parcours… L’ingratitude et la cupidité de ces (humains) n’a pas de limites. Je suis écœuré La cruauté des hommes

    Paul SIDANI

    15 h 22, le 08 janvier 2023

  • Echange intellectuel officiel entre frère et soeur... Liban et Syrie polluent à qui mieux mieux leurs propres environnements. Décadence quand tu nous tiens...

    Wlek Sanferlou

    14 h 19, le 08 janvier 2023

  • Un crile contre la nature, un de plus. Gardons à l'esprit que la source du fleuve est au Liban comme d'ailleurs les sources du Jourdain. Nous n'avons besoin d'aucune arme pour asservir la Syrie et Israël. Il suffit de couper les robinets pour assécher ces deux pays. Cette eau nous appartient.

    K1000

    12 h 42, le 08 janvier 2023

  • Quel gâchis !!

    Citoyen Lambda

    10 h 35, le 08 janvier 2023

  • Tortures, bombardements par barils explosifs de nitrate d'amonium (importe du Liban), tirs a balles reeles sur les manifestants, destructions de villages entiers pour pousser les habitants a l'exode et maintenant empoisonnement de masse. Les methodes du boucher de Damas ne cessent de se diversifier pour massacrer son propre peuple. Se debarasser de la population pour que survive le regime. Le maitre a penser de "kellon" au Liban.

    Michel Trad

    10 h 33, le 08 janvier 2023

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