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Société - Témoignages

La réalité des familles libanaises trois ans après le début de la crise

Comment les gens s’en sortent-ils ? L’Orient Today a interrogé trois personnes pour comprendre la façon dont leur vie a changé. Voici leurs témoignages.

La réalité des familles libanaises trois ans après le début de la crise

Panne d'électricité dans un quartier de Beyrouth, le 31 mars 2021. Photo Anwar Amro/AFP

Le salaire minimum au Liban ne vaut plus que 122 dollars, soit un peu plus du quart de sa valeur avant la grave crise socio-économique et financière qui a commencé il y a trois ans. C’est en tout cas la conclusion tirée du rapport de Human Rights Watch (HRW) publié à la mi-décembre.

Basé sur une enquête auprès de 1.209 ménages entre novembre 2021 et janvier 2022, ce rapport souligne la profondeur de la crise, qualifiée par la Banque mondiale (BM) d’une des pires au monde depuis le milieu du XIXe siècle.

Dans ce contexte, une question se pose : comment les gens s’en sortent-ils ? Pour y répondre, L’Orient Today a interrogé trois personnes, afin de comprendre la façon dont leur vie a changé depuis le début de la crise. Voici leurs témoignages.

Farès Haniyah, 33 ans, architecte

En l’espace de trois ans, Farès Haniyah est passé du tout au tout. « Avant, je gagnais 1.500 dollars » par mois, raconte-t-il. «Début 2020, 80 % de mon salaire a été conservé en dollars frais et versé en espèces, tandis que les 20 % restants étaient payés en livres libanaises au taux officiel (soit 1.507,5 livres le dollar). Je n’étais pas emballé par cette perspective, et j’ai même reçu une offre d’emploi convenable dans un cabinet d’architectes à Doha (Qatar). Mais, mes parents vieillissant, je ne voulais pas les laisser seuls et j’ai donc décidé de rester au Liban », explique le trentenaire.

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Farès Haniyah, qui est marié et a deux enfants, s’en sortait alors avec ce salaire mensuel en dépensant 200 dollars pour son abonnement à un générateur électrique de 5 ampères, 700 dollars pour les courses alimentaires et les produits de première nécessité, ainsi que 300 dollars pour la navette entre son domicile et son lieu de travail. Il reversait également l’intégralité de son revenu en livres à ses parents. Soldat à la retraite, son père a travaillé pendant des décennies « servant loyalement l’armée » libanaise, dit Farès. Aujourd’hui, sa pension ne vaut plus que « des cacahuètes ».

Mais, en décembre 2021, « tout s’est écroulé (...) L’entreprise a commencé à nous verser nos salaires en dollars libanais ('lollars'), au taux de 8.000 livres. Désormais, avec un revenu mensuel d’environ 12 millions de livres, je m’en sors à peine. Ma famille et mes parents dépendent donc entièrement de l’argent envoyé par mon frère ». Le frère aîné de l’architecte avait, lui, quitté le Liban pour aller étudier aux États-Unis quand il avait 17 ans. Depuis, il n’est revenu au pays que pour de brèves vacances d’été.

« Le loyer de mon appartement composé de deux chambres est de 250 dollars frais, soit 10.750.000 livres », calcule le père de famille. « Le reste, soit 1.250.000 livres, va au transport, tandis que mon frère m’envoie 350 dollars pour l’alimentaire ». En plein semestre scolaire,  Farès Haniyah a également dû retirer ses filles de leur école privée pour les transférer dans « une école publique miteuse et surpeuplée ».

« Cela me brise le cœur mais je n’avais pas d’autre solution. Mes filles pleurent chaque matin car elles veulent retourner dans leur ancienne école, dans leur classe et avec leurs amis. Je me devais d’être réaliste ».

Dania Hamzeh, 35 ans, infographiste indépendante

« Je suis retournée vivre chez mes parents », dit Dania Hamzeh. Tirant une longue bouffée de sa cigarette, elle évoque sa carrière d’avant-crise. « J’ai choisi d’être indépendante car cela me permettait de travailler à mon rythme, de voyager et d’exister tout simplement. Je n’ai jamais voulu être l’esclave du monde de l’entreprise », explique-t-elle. Dania Hamzeh a durement travaillé pour éviter la vie de bureau. Travaillant pour des entreprises réputées dans les pays du Golfe et s’occupant de grands projets, l’infographiste indépendante gagnait plus de 3.000 dollars par mois et jamais moins de 1.500 dollars en période creuse.

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Pour vivre dans un studio meublé dans le quartier de Hamra à Beyrouth, Dania Hamzeh payait 600 dollars de loyer par mois. À part ça, elle dépensait son salaire comme bon lui semblait. « Parfois, je faisais moi-même la cuisine pour économiser de l’argent pour un voyage ou un sac de marque que je souhaitais m’offrir ; d'autres fois, je me faisais livrer des repas tous les jours. Je vivais à mon rythme », jubile-t-elle en se remémorant cette manière de vivre. Mais c’était avant que cette vie qu’elle avait toujours voulue ne « se déchire » devant ses yeux.

« Quand la crise a commencé, les entreprises du Golfe ont compris le désespoir auquel nous étions confrontés ». En novembre 2019, Dania Hamzeh a soumis son projet final de l’année pour lequel elle a touché 2.500 dollars. « Début janvier 2020, j’ai été choquée lorsque la même entreprise m’a proposé 650 dollars pour un projet similaire », dit-elle. Faute de trouver un autre projet mieux rémunéré, l’infographiste a accepté. « Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader », explique-t-elle.

Dania Hamzeh est ainsi retournée vivre chez ses parents dans le quartier de Mar Élias à Beyrouth, afin d’économiser le loyer et les charges. Elle ne gagne plus que 450 dollars par mois. Ses voyages et ses dépenses extravagantes font partie du passé. Ses sorties ne dépassent pas le café entre amis. Malgré tout, « je fais partie des chanceux », conclut-elle avec un soupçon d’ironie.

Naji Khoury, 58 ans, charpentier

« Pour moi, cette crise a autant été une bénédiction qu’une malédiction », affirme Nagi Khoury. Sirotant un café noir, il poursuit : « Une armoire à six portes de qualité moyenne se vendait à 600 dollars. Avec la dépréciation de la livre et la hausse de l’inflation, la même armoire vaut maintenant 200 dollars », confie-t-il.

Grâce à cette baisse des prix, « mon activité a explosé », dit-il. Les clients payés en dollars frais ou ceux qui en reçoivent régulièrement de leurs proches à l’étranger peuvent désormais s’offrir de nouveaux meubles. «Normalement, je fabriquais deux de ces armoires par mois. Désormais, j'en fabrique entre deux et cinq par mois ».

Depuis le décès de sa épouse il y a plusieurs années, le charpentier s’occupe seul de leurs deux fils, étudiants en ingénierie mécanique à l’Université libanaise. « Ils ont chacun besoin de 150.000 livres par jour pour les aller-retour entre l’université et l’ancienne maison de mes parents, où nous vivons et pour laquelle je ne paie donc pas de loyer », explique-t-il.

Pour son abonnement mensuel au générateur électrique de 5 ampères, Nagi Khoury paie 280 dollars. Pour l’alimentaire, c'est 350 par mois. « J’ai 58 ans. Dans un pays normal, je serais en train de préparer ma retraite. Mais, ici, au Liban, je pense que je devrai continuer à travailler pendant la prochaine décennie, jusqu’à ce que mes enfants soient diplômés et trouvent un emploi. Alors seulement je pourrais compter sur eux », se plaint-il.

Le salaire minimum au Liban ne vaut plus que 122 dollars, soit un peu plus du quart de sa valeur avant la grave crise socio-économique et financière qui a commencé il y a trois ans. C’est en tout cas la conclusion tirée du rapport de Human Rights Watch (HRW) publié à la mi-décembre. Basé sur une enquête auprès de 1.209 ménages entre novembre 2021 et janvier 2022, ce rapport souligne...

commentaires (4)

CONTINUER À DORMIR ET RALER AU RÉVEIL. CHACUN COMPTE SUR LE VOISIN POUR RÉVOLUTIONNER ET CHACUN POUR SOI. UN PEUPLE LACHE QUI A VÔTÉ POUR ÉLIRE LA MÊME MAFIA. BON SOMMEIL.

Gebran Eid

12 h 29, le 27 décembre 2022

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Commentaires (4)

  • CONTINUER À DORMIR ET RALER AU RÉVEIL. CHACUN COMPTE SUR LE VOISIN POUR RÉVOLUTIONNER ET CHACUN POUR SOI. UN PEUPLE LACHE QUI A VÔTÉ POUR ÉLIRE LA MÊME MAFIA. BON SOMMEIL.

    Gebran Eid

    12 h 29, le 27 décembre 2022

  • 280 dollars par mois pour « le générateur électrique « !!!!! C’est de la folie…. En europe, nous payons environ 50 euros par mois l’électricité et nous trouvons ceci cher et … il y a des grèves à cause de ce prix estimé abusif !!! Pauvre liban. Rien que pour ces 250 dollars des révolutions auraient eu lieu ailleurs !!! Alors qu’ Au liban , personne ne bouge ?

    LE FRANCOPHONE

    18 h 16, le 25 décembre 2022

  • ecoeurant

    Jack Gardner

    15 h 44, le 25 décembre 2022

  • Les crises similaires : En Islande, sortie de crise en 6 mois seulement, A Chypre, deux ans, En Grece, malgre les mensonges de la classe politique, 3 ans Au Liban, apres trois ans, on continue de s'enfoncer dans un goufre sans fin, guides par une classe politique qui agit DÉLIBÉRÉMENT pour saboter toute solution. Ca suffit !

    Michel Trad

    13 h 20, le 25 décembre 2022

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