La petite porte en fer rouge qui donne sur deux pièces renfermant une exposition de crèches en l’église Notre-Dame du Puits (qui relève du complexe Notre-Dame), à Sinn el-Fil, ne paie pas de mine : on ne s’attend pas au trésor qu’on va découvrir une fois le seuil passé. Sur des tables sobrement recouvertes de nappes blanches, sont disposées non moins de 186 crèches de toutes les tailles, de tous les styles, de toutes les provenances… Elles sont si diverses qu’à elles seules, elles vous feraient faire un tour du monde, reflétant les différentes cultures et leur manière de représenter la naissance de Jésus. Outre les crèches venues d’Italie et des autres pays d’Europe ou encore de Bethléem, berceau du christianisme, il y a des spécimens issus de lieux beaucoup plus inhabituels : Japon, pôle Nord (Inuits), Inde, Abou Dhabi, Soudan…
Le collectionneur à l’origine de cette initiative est un vrai passionné. Issam Azoury pointe du doigt la crèche qui lui tient particulièrement à cœur, celle de sa mère et de son enfance, exposée avec les autres. « C’est Jésus qui m’a amené à cette passion lorsque j’étais enfant et que je me tenais devant cette crèche », raconte-t-il.
Adulte, il a cependant fallu un déclic pour qu’il commence cette collection. « J’étais au Soudan pour du travail et je tombe sur une crèche avec des personnages confectionnés à l’image de la population locale. Et c’est là que j’ai compris combien les gens avaient besoin de se représenter Jésus à leur image. »
Intrigué par toute cette diversité culturelle dans la représentation de la Nativité, ce grand voyageur entame sa quête infatigable des crèches du monde entier, cherchant les pièces les plus rares quelle que soit leur valeur. Voilà une crèche miniature venue d’Italie… qui tient dans une demi-noix. Ou encore ces beaux personnages du Pérou avec leurs habits traditionnels, ceux du Japon en kimono ou d’autres du pôle Nord avec les traits et les vêtements des Inuits. Dans une crèche de Hongrie, les personnages paraissent « bien portants » parce que cela est un signe de prospérité dans ce pays. Les différentes crèches africaines en bois sont splendides, tout comme celle qui vient d’Égypte, magnifiquement taillée dans des os de chameau.
D’autres pièces ont une grande charge symbolique, comme ces crèches en fer forgé fournies par la Fondation Andrea Bocelli, le célèbre ténor : elles ont été confectionnées à Haïti avec le métal des trop nombreux conteneurs envoyés en renfort après le séisme qui a frappé ce pays. Ou encore ces crèches sculptées en forme de croix, sorties d’une usine de Syrie qui n’existe plus, bombardée par Daech.
Une lettre au pape
Très engagé dans ses efforts en vue de la propagation de l’esprit de Noël, Issam Azoury a toujours voulu partager ses trouvailles avec le public. Ayant embarqué sa femme, Émilie Asmar, dans sa passion, il a longtemps utilisé son propre domicile comme lieu d’exposition privé. « Très longtemps, nous n’avions même plus les moyens de dresser une table de Noël parce que la salle à manger était remplie de crèches diverses », raconte-t-il. L’idée d’une exposition en bonne et due forme lui trottait dans la tête depuis longtemps, mais il lui « manquait une pièce centrale d’une importance incontestable ».
Cette pièce inespérée, il l’a acquise d’une manière très insolite en 2016-2017. Le « baril du pape François » est un cadeau que la ville d’Assises, celle du saint qui porte son nom, a décidé d’offrir au Saint-Siège le 15 décembre 2016 : cette œuvre s’inscrit dans une tradition italienne vieille de plusieurs siècles. Il était d’usage de créer des crèches à l’intérieur de barils (en bois à l’époque) et de les envoyer à Rome par le fleuve (ce qui n’est plus possible aujourd’hui en raison des nombreux barrages). Le baril destiné au pape François est en métal et non plus en bois : il a été présenté au pontife lors d’une grande cérémonie au Vatican.
Ayant eu vent de cette affaire, Issam Azoury tente le tout pour le tout en envoyant un message au Saint-Siège, lui demandant de lui confier ce cadeau qui serait « un signe d’espoir » pour le Liban. Trois mois plus tard, il obtient gain de cause, notamment grâce aux efforts du consul Albert Samaha, et cette pièce symbolique trône dorénavant au cœur des expositions qu’il organise gratuitement depuis dans les églises.
Pourquoi ce goût du partage autour de ce sujet en particulier ? « La crèche est la vraie représentation de la naissance de Jésus, explique Issam Azoury. Je veux donner aux gens une occasion de parler de ce sujet. Et pour ceux qui ne peuvent se déplacer physiquement, nous avons organisé des expositions virtuelles. »
L’exposition de la saison 2022 se tient donc en l’église Notre-Dame du Puits, derrière le siège de la municipalité de Sinn el-Fil, jusqu’au 7 janvier. Le collectionneur, qui n’a pas fini de rêver, aimerait ouvrir un jour un musée des crèches.
commentaires (1)
Merci pour ce beau reportage !
F. Oscar
09 h 31, le 24 décembre 2022