Financé par le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, le projet des cliniques juridiques universitaires bénéficiera à une vingtaine d’universités venant du Liban, de l’Égypte, la Palestine, la Jordanie et l’Irak. « Dans sa genèse, pour le bailleur de fonds, le projet est lié à l’accès aux droits, une problématique majeure dans la région. Or, la principale barrière réside souvent dans la mauvaise connaissance des citoyens de leurs droits, leur capacité à les faire valoir et les coûts prohibitifs liés à la défense », explique Jean-Noël Baléo, directeur régional de l’AUF Moyen-Orient. Dans ce contexte, le projet, novateur dans la région MENA de par son modèle, porte sur la création de cliniques juridiques dans les universités ou sur la redynamisation de celles déjà existantes, tout en s’adaptant aux cas et aux besoins de chaque établissement. L’objectif de ce projet est triple selon le directeur régional de l’AUF. Il s’agit, tout d’abord, de la « gouvernance et des droits de l’homme pour favoriser l’accès aux droits des populations défavorisées, par l’entremise des cliniques juridiques qui ont une vocation sociale » ; ensuite, axé sur l’amélioration de l’employabilité des jeunes, le deuxième objectif porte sur « la préprofessionnalisation des étudiants en droit qui vont délivrer des consultations juridiques gratuites », sous la supervision de leurs enseignants chercheurs et de professionnels et praticiens du droit. Enfin, le troisième objectif vise à la « construction d’un réseau juridique régional », qui s’articulera « avec un réseau international de cliniques juridiques francophones dont font partie plusieurs universités en France ». Loin d’être une concurrence déloyale vis-à-vis des avocats, ce projet se veut complémentaire à leur travail. « Ça se situe avant le conseil que donne un avocat, c’est une première aide », note ainsi Sophie Molinier, maître de conférences en histoire du droit et des institutions à l’Université Paris 8 et responsable du diplôme d’université de clinique juridique-justice, procès, procédure, venue participer à la formation Enseignement clinique du droit, organisée les 7, 8 et 9 décembre, à Beyrouth. « L’idée est de pouvoir donner du conseil à des populations qui, sinon, en seraient complètement dépourvues », poursuit Jean-Noël Baléo. Par ailleurs, le projet permettra, avec le temps, « aux barreaux de pouvoir disposer de jeunes juristes bien formés », assure le directeur de l’AUF Moyen-Orient. Concernant les formations pratiques des étudiants, de par leur nature, elles sont différentes des stages. « C’est mettre les étudiants dans la vraie vie. Ils vont se confronter à de vrais justiciables qui ont besoin d’aide. C’est une formation très professionnalisante. On leur apprend à savoir répondre à un justiciable, à savoir se tenir. On leur apprend ainsi le savoir-être et le savoir-faire », indique Sophie Molinier.
Identifier les besoins et les obstacles
Dans ce contexte, au cours des trois jours de la formation Enseignement clinique du droit, les représentants des universités bénéficiaires du projet de la région MENA et les trois représentantes des cliniques juridiques de Paris 8, Aix-Marseille et Lyon 3 ont échangé autour de leurs expériences. La formation a permis aux cliniques françaises de « montrer aux bénéficiaires comment créer en pratique une clinique juridique, quels sont les problèmes qui se posent dans les universités et comment faire pour expliquer aux ordres des avocats qu’il ne s’agit pas d’une concurrence déloyale », raconte Sophie Molinier. Celle-ci ajoute que la formation a « expliqué en pratique comment encadrer les étudiants, pour leur apprendre le savoir-être utile afin de prendre de la distance avec le justiciable ». En parallèle, il a été question d’identifier les besoins des universités bénéficiaires participantes, de mettre en lumière les difficultés rencontrées par celles qui disposent déjà d’une clinique juridique ou encore de comprendre les modalités et les obstacles de création, ainsi que le fonctionnement des cliniques juridiques universitaires et l’établissement de partenariats. Pour Reina Sfeir, directrice de la clinique juridique pour les droits de l’homme à l’Université La Sagesse, première en son genre au Liban selon elle, participer à ce projet opéré par l’AUF permettrait de mieux gérer « les défis financiers » mais aussi « d’être formé à ce modèle de clinique juridique ». Créée en 2007 à l’initiative de l’American Bar Association, la clinique de cet établissement n’avait d’autre choix que de placer les étudiants pour des stages dans des ONG qui s’occupent d’assistance judiciaire ou qui sensibilisent aux droits de l’homme. Souhaitant disposer de son propre local à l’université, afin d’y accueillir la population pour des consultations gratuites, il était nécessaire ainsi pour les responsables de la clinique juridique de participer aux formations. Participant également à ces journées en tant que représentante du dispensaire juridique de l’Université Saint-Joseph qui est hébergé à la faculté de droit, Aline Tanielian Fadel, avocate et enseignante dans cet établissement, indique que faire partie de ce projet implique non seulement de « faire partie du réseau francophone », mais aussi de recevoir de l’aide pour « se faire connaître au Liban et régionalement ». « Même si nous sommes sur les réseaux sociaux, les populations vulnérables n’y ont pas forcément accès », rappelle Aline Tanielian Fadel. Celle-ci ajoute que le projet contribuera, dans un premier temps, à « stabiliser financièrement le dispensaire », étant donné qu’il va falloir faire appel à des professionnels et rémunérer les professeurs qui encadrent les étudiants. Participer aux formations prodiguées dans le cadre du projet permet aussi d’apprendre les mécanismes d’autofinancement. « Nous voulons aussi associer des crédits au travail bénévole de nos étudiants et en faire un diplôme universitaire », poursuit-elle. Jean-Noël Baléo précise qu’en somme les cliniques juridiques « ont une bonne capacité à se maintenir dans la durée, étant des structures peu coûteuses qui peuvent ensuite être entretenues par les universités une fois intégrées dans le cursus universitaire ». Il s’agit d’activer, dans la durée, un réseau francophone pérenne de cliniques juridiques. Un réseau qui se démarque de par son aspect pédagogique, mais aussi par son apport social, à travers l’engagement des universités auprès des populations vulnérables.