L’idée avait pris forme au lendemain de la double explosion du 4 août 2020 et de l’inoubliable arrivée d’Emmanuel Macron au chevet de Beyrouth dévastée. Le quartier le plus impacté était celui où prévalait une vibrante communauté d’artistes et d’artisans dont le travail donnait du Liban une image autrement séduisante que celle de la corruption et de la déliquescence au sommet de l’État. « Nous avons voulu être résolument aux côtés de ceux qui font battre le cœur du Liban dans lequel ils aspirent à vivre : un Liban ouvert, pluriel, libre, en paix, prospère. La France a voulu être du côté du souffle de la vie. Cet état d’esprit irrigue toute notre action au Liban, pour les Libanais. C’est précisément cet état d’esprit qui nous a guidés dans la création du programme Nafas », a souligné l’ambassadrice Anne Grillo dans son discours de bienvenue et de clôture du programme.
« Prendre le recul nécessaire dans ce moment traumatique »
Qu’est-ce que Nafas ? Une respiration, bien sûr, mais concrètement ? « Il s’agissait d’accompagner des artistes et des créateurs, de leur offrir un moment indispensable de respiration hors du Liban, pour leur permettre de continuer à créer et de prendre le recul nécessaire dans ce moment traumatique et de sidération, afin de mieux revenir, plus apaisés, plus forts et déterminés à continuer à aller de l’avant, à construire le Liban de demain », a précisé Mme Grillo. C’est ainsi qu’à ce jour, a ajouté l’ambassadrice, « 101 artistes et artisans sont partis grâce à des bourses de mobilité sur deux ans, avec une quasi-parité femmes/hommes. Des projets aboutis ont vu le jour dans 21 disciplines différentes. Des relations pérennes ont été créées avec 56 structures d’accueil dans toute la France. Les domaines couverts ont été d’une très grande diversité : théâtre, mode, musique, cinéma, danse, arts visuels, architecture, photographie, littérature, mais aussi traduction, philosophie, textile, céramique, verre ou encore street art ».
Galop renouvelle son partenariat avec Nafas
Le succès de Nafas auprès de la communauté des artistes a encouragé Michèle et Nicolas Garzouzi, à travers la société Galop, représentante de la maison Hermès au Liban, à prendre en charge cette fois vingt artisans, entre céramistes, verriers, vanniers, tisserands et travailleurs du bois et des métaux. « Inspirés par le projet Nafas, nous avons souhaité le compléter par un volet dédié à l’artisanat libanais s’inscrivant parfaitement dans l’ADN d’Hermès, artisan contemporain. Notre soutien s’est donc orienté auprès des femmes et des hommes libanais qui détiennent des savoir-faire ancestraux ou plus récents de l’artisanat libanais », a expliqué Nicolas Garzouzi qui réservait, pour finir, une belle surprise : « Enchantés par cette première expérience et par le retour des artisans avec un enthousiasme qui nous a fait chaud au cœur, j’ai le plaisir de vous annoncer ce soir que nous avons décidé de renouveler notre partenariat afin de permettre à nouveau à d’autres artisans de bénéficier du programme Nafas d’accueil en France. »
Ce programme d’urgence, donc temporaire comme l’a souligné Anne Grillo, est ainsi reparti pour un tour grâce au mécénat de Galop. Il reste à espérer que d’autres mécènes s’impliquent de leur côté pour parrainer encore plus d’artistes et d’artisans, et contribuent ainsi à développer et faire rayonner les talents libanais. Pour sa part, dans le but de maintenir cette respiration et cette inspiration, la France a lancé dès la fin 2020, à Deir el-Qamar, le programme de résidence international Villa al-Qamar « pour nourrir ces rencontres dans les deux sens en permettant à des artistes français ou des duos franco-libanais d’entrer en immersion artistique et régionale dans le pays », comme l’a rappelé Mme Grillo.
« C’était trop court »
La chaleur de l’accueil dans les structures françaises, les rencontres, les échanges et partages de compétences étaient sur toutes les lèvres ce soir-là. À l’unanimité, les artisans revenus avec des étoiles plein les yeux répétaient que Nafas n’est pas une métaphore, que ce temps dérobé aux contingences, simplement consacré à la création, a constitué une véritable respiration. À l’unanimité ils ont aussi livré ce constat : « Un mois… c’était trop court. »
Yasmina Khalifé, la joie de vivre
La céramiste Yasmina Khalifé, architecte de formation, qui a passé un mois en résidence à Strasbourg, nous a confié : « J’ai été accueillie, dès mon arrivée, avec beaucoup de chaleur et de générosité, de sorte que je me suis tout de suite sentie chez moi. Dans un appartement du CEAAC (Centre européen d’actions artistiques contemporaines), près du centre-ville, partagé avec d’autres artisans et artistes. On a mis à ma disposition un vélo qui m’a permis de découvrir cette ville d’une richesse et d’un dynamisme incroyables. Nafas a été une extraordinaire opportunité de sortir d’un quotidien difficile qui ne nous permet pas de travailler comme on devrait pouvoir le faire. » Exprimant sa reconnaissance à l’IFL et à Galop, la créatrice dont le projet, développé à l’atelier Cobalt, s’inspire des ex-voto antiques exhumés au Liban affiche sa volonté de ne pas être assimilée à ses traumatismes et revendique, au contraire, sa joie de vivre.
Pour Élie Mouhanna, un nouveau métier à tisser
Pour Élie Mouhanna, artisan textile, qui a passé sa résidence à l’Atelier du Haut-Anjou, près d’Angers, Nafas a constitué une opportunité de diversifier ses compétences, au départ centrées sur le tricot, le crochet, la broderie et quelques bases de tissage. « J’ai demandé à être affecté spécifiquement à un atelier de tissage, parce que je voulais explorer cette technique à un niveau plus complexe, ayant en tête un projet lié à ce savoir-faire. Le choix de l’Atelier du Haut-Anjou s’est avéré idéal. Pour moi, ce n’était pas tant un lieu de travail qu’un mode de vie. L’accueil qui m’a été réservé, le soutien dont j’ai bénéficié m’ont permis de comprendre que les techniques sont liées à la manière dont nous menons nos vies dans tous les détails du quotidien. Pour la première fois, j’ai réalisé l’importance de prendre le temps qu’il faut pour bien faire les choses. Ma prochaine étape va être d’investir dans un métier à tisser élaboré, comme celui sur lequel j’ai fait mon apprentissage, pour terminer mon projet. »
Boutros Sawaya, un projet avec Matali Crasset
Pour Boutros Sawaya, souffleur de verre de laboratoire, à la fois artiste et scientifique, le séjour au centre d’art contemporain Vent des Forêts, dans la Meuse, a représenté l’occasion de développer, in situ, un travail de création en collaboration avec de grands noms du design industriel comme Matali Crasset. « Nous avons réalisé ensemble une théière et des tasses. Je vais aussi réaliser un projet pour elle à partir du Liban et le lui expédier.
D’autres artistes ont également souhaité prolonger leur collaboration avec nous à partir de notre atelier au Liban », nous a confié l’artisan verrier. Sawaya a surtout bénéficié de l’expertise de Frédéric Demoisson, Meilleur Ouvrier de France de la technique du verre au chalumeau.
Nada Zeineh, brasures et métal fondu
Nada Zeineh, architecte de formation et artiste confirmée notamment dans le travail du métal en bijouterie, a passé sa résidence Nafas chez les Mécènes du Sud, où elle a été mise en tandem avec l’artiste Martin Belou, leurs pratiques communes étant liées à la notion de feu. « “Toujours la vie invente”, écrit Gilles Clément. C’est fou combien cette petite phrase résonne en moi », nous confie celle qui expose en ce moment même, à la galerie Saleh Barakat, des bijoux et objets inspirés des œuvres d’Huguette Caland. Pour elle, Nafas, ce furent « quatre semaines de respiration, de rencontres, de découvertes, de visites dont deux passées dans le Domaine du Rayol avec, comme fil d’Ariane pour notre projet, la Méditerranée, la nature et le feu : celui des plantes pyrophytes, celui des brasures et du métal fondu, le feu créateur, transformateur ».