
Un graffiti à Beyrouth représentant un pis de vache, avec inscrit au-dessus en arabe : « Vous nous avez traits. » Photo P.H.B.
Le budget de l’État pour 2022 est entré en vigueur le 15 novembre dernier, soit 10 mois et demi après le début de sa période d’exécution, ce qui constitue une des irrégularités qui ont motivé un recours en début de semaine par un groupe de députés devant le Conseil constitutionnel.
Parmi les mesures fiscales que contient ce document, dont la juridiction suprême n’a pour l’instant pas accepté de suspendre les effets, figurent une série de modifications des modalités de calcul de l’impôt sur le revenu, supposées mettre à jour la loi libanaise par rapport à la réalité économique et financière du pays, en crise depuis 2019. Une crise qui est marquée par un effondrement de la monnaie – le taux sur le marché atteint plus de 41 000 livres pour un dollar, soit 27 fois plus que la parité officielle de 1 507,5 livres –, des restrictions bancaires illégales et une contraction majeure du PIB.
Précisés par une série de décisions – notamment les n° 686/1 et n° 687/1 du 23 novembre 2022 – du ministre sortant des Finances Youssef Khalil, ces amendements apportés à un impôt qui touche aussi bien les salariés que les employeurs sont décriés de toutes parts.
Dans le sillage d’une grogne croissante des syndicats, les organismes économiques, la principale organisation patronale du pays, ont critiqué jeudi des changements « portant le coup de grâce au secteur privé » et appelé le ministre à revoir sa copie. Si certaines sociétés ont commencé à mettre les nouvelles mesures en œuvre, d’autres attendent encore, pendant que leurs salariés commencent à réaliser l’ampleur de ce qui les attend si le cap est maintenu.
L’Orient-Le Jour fait le point sur les conséquences de cet ajustement, qui concerne aussi bien les entreprises que les employés et retraités du secteur privé comme de l’administration, avec Nadim Daher, expert-comptable et membre du conseil de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic).
Quelles dispositions posent problème ?
Les mesures décidées par le gouvernement sortant de Nagib Mikati et approuvées par les députés qui ont adopté le budget 2022 s’articulent en trois dispositions.
• La première, dispensée par l’article 33, a rehaussé les 7 tranches progressives pour les impôts sur les traitements, salaires et pensions de retraite, mais sans changer les taux d’imposition applicables, soit successivement 2, 4, 7, 11, 15, 20 et 25 % pour des montants de salaires mensuels.
Avant le budget de 2022, les 7 tranches de revenu imposables après abattements (rabais fixés par la loi en fonction de la situation du contribuable) allaient de moins de 6 millions à 225 millions de livres par an. Pour coller à la dépréciation, le budget augmente les tranches existantes, qui passent de 18 à 675 millions de livres par an. « Elles ont été multipliées par trois », souligne Nadim Daher.
Ces nouvelles tranches s’appliquent rétroactivement au calcul de la base imposable à compter du 1er janvier 2022. Le calcul se fait toujours de la même manière : un salaire mensuel imposable après abattement de 41 millions de livres (1 000 dollars frais) va se faire imposer à 2 % pour la tranche allant de 1 à 1,5 million de livres ; à 4 % pour la tranche allant de 1,5 million à 3,75 millions, etc.
Les tranches sont rétroactives, mais les impôts payés jusqu’à octobre ne doivent pas en principe être actualisés, à en croire la lettre des décisions du ministre, qui sont assez floues sur ce point.
• La deuxième disposition est dictée par l’article 35 et introduit la notion de « taux (de change) effectif », en lieu et place de l’ancienne parité officielle, pour désigner le montant en livres de l’impôt sur les traitements et salaires retenu à la source par l’employeur et qui est dû par les employés à l’administration fiscale.
Or, dans sa décision n° 687/1, le ministre sortant des Finances a décidé que le taux de la plateforme Sayrafa serait applicable pour convertir les salaires payés en devises en espèces ou transférés depuis l’étranger, soit l’équivalent des « dollars frais », par opposition à ceux bloqués dans le secteur bancaire appelés « lollars », ou « dollars bancaires ».
La plateforme Sayrafa est opérée par la BDL et elle est mise à jour chaque jour ouvré, en début de soirée, selon un mécanisme qui n’a jamais été clairement présenté. Son taux, fixé à 30 300 LL pour un dollar depuis plusieurs jours, a toujours été inférieur à celui du marché, ce qui représente actuellement 20 fois le taux officiel.
Pour les salaires payés en dollars bancaires, le taux de 8 000 livres pour un dollar est fixé pour les retraits prévus dans le cadre du dispositif de retrait en livres de dollars bloqués, selon la circulaire n° 151 de la BDL. Le multiplicateur est de 5.
• À noter que les abattements ont également été mis à jour (article 27) et s’appliquent aussi sur l’ensemble de l’année. Pour donner un exemple, l’abattement annuel pour un célibataire était de 5 millions de livres et il est passé à 37,5 millions, affirme Nadim Daher, soit une multiplication par 7,5 dans ce cas précis.
Les implications pour les salariés
Ces modifications augmentent fortement le montant de l’impôt que les salariés, qui ont été augmentés ou sont payés en partie en dollars frais, doivent régler à l’administration fiscale. Elles risquent également de faire exploser le montant des cotisations que les employeurs doivent verser à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS), même si aucune décision n’a pour l’instant été publiée par le ministre sortant des Finances pour en clarifier les conséquences.
« Le déséquilibre est simple à détecter : alors que le taux de change est multiplié par 20 pour les cas où le taux de Sayrafa s’applique et par 5 pour ceux pour lesquels le taux du dollar bancaire s’applique, les tranches n’ont été multipliées que par 3 », explique Nadim Daher. Mécaniquement, quelqu’un qui gagne à peu près autant qu’avant la crise en valeur réelle, soit en équivalent dollars frais, va payer plus d’impôts, en livres comme en dollars, et ce bien que son pouvoir d’achat soit quand même érodé par l’inflation en livres comme en dollars.
Avant l’entrée en vigueur du budget 2022, un salaire imposable de 1 000 dollars « frais », ou « lollars », après abattements pouvait être déclaré à environ 1,5 million de livres auprès de l’administration fiscale. Pour rappel, au taux réel du marché, cela ne représente que 37 dollars. L’impôt à payer atteignait donc 57 500 livres, selon nos calculs vérifiés auprès d’un expert-comptable cité sous anonymat. Cela représente 38 dollars au taux officiel et 1,4 dollar au taux de 41 000 livres.
Après l’entrée en vigueur du budget 2022, le même salaire de 1 000 dollars frais vaut plus de 30,3 millions de livres au taux de Sayrafa actuel (30 300 livres pour un dollar), et l’impôt prélevé atteint 3 532 000 millions de livres, soit l’équivalent de 86 dollars frais. En suivant la même méthodologie, l’impôt à payer pour un salaire de 1 000 dollars bancaires (convertissables au taux de 8 000 livres pour un dollar) atteint dans ce cas 437 500 livres, soit 10,6 dollars frais.
Les implications pour les employeurs
Les conséquences de ce changement pour l’employeur sont tout aussi lourdes, dans la mesure où les tranches s’appliquent rétroactivement à compter du 1er janvier 2022.
Le revenu imposable, à partir duquel l’employeur doit calculer les cotisations à verser à la CNSS comme les 8,5 % à régler pour les indemnités de fin de service, pour ne citer que celles-là, va être multiplié par plus de 5 pour les salaires réglés en dollars bancaires (en prenant le taux de 8 000 livres) et par 20 pour ceux payés en dollars frais (en se basant sur Sayrafa). « Les conséquences sont incommensurables pour le calcul des indemnités de fin de service, ce qui pourrait pousser certaines entreprises à la faillite », constate Nadim Daher.
Un système déséquilibré
Il n’est pas étonnant dans ce contexte que l’adoption de ces mesures suscite une levée de boucliers encore plus grande que l’entrée en vigueur mercredi du dollar douanier, à savoir le relèvement à 15 000 livres pour un dollar du taux de change pris en compte pour calculer les droits de douane.
Non seulement ces changements font potentiellement exploser les charges sociales des employeurs qui ont augmenté leurs salariés pendant la crise ou les ont payés en dollars frais pour pallier l’effondrement de la monnaie, afin de les empêcher de partir ailleurs. Mais ils alourdissent aussi de façon brutale les impôts payés par les salariés du privé qui, même s’ils ont pu bénéficier d’un tel traitement, restent confrontés à un coût de la vie toujours plus important.
Le fait qu’aucune réforme sérieuse n’ait encore été lancée pour dégraisser la fonction publique, réhabiliter les services publics et mettre fin aux restrictions bancaires que subissent les déposants depuis trois ans rend la mesure encore moins acceptable pour le secteur privé. Il y a en outre le fait que tous ces calculs doivent s’effectuer via le taux de Sayrafa dont le fonctionnement opaque limite la visibilité des employeurs, surtout dans la mesure où l’écart avec le taux du marché n’est jamais réellement stable.
En face, les autorités défendent cette actualisation comme un mal nécessaire pour ajuster un système d’imposition déséquilibré par la coexistence de plusieurs taux de change, dont la parité officielle qui était maintenue jusqu’ici. S’exprimant à la télévision il y a une semaine, le directeur général des Finances, Mohammad Louay Hajj Chehadé, a fait remarquer que quelqu’un comme lui qui travaille dans l’administration et qui était payé 4,7 millions de livres (plus ou moins 3 100 dollars au taux officiel et 115 dollars au taux actuel du marché) payait un impôt sur le revenu plus important qu’un salarié du privé qui encaisse 2 000 dollars frais (3 millions de livres déclarées au taux officiel, mais valant 82 millions de livres au taux du marché).
Alternative nécessaire
Pour Nadim Daher, la classe dirigeante n’a pas tort sur ce point, mais ne prend pas le problème par le bon bout. « Le problème, c’est que les 41 millions de livres que valent actuellement les 1 000 dollars frais que gagnerait un salarié ne pèsent pas lourd face à l’inflation. Il y a un vrai problème d’équité fiscale quand un même salaire en valeur réelle (en dollars frais) voit son taux d’imposition doubler, voire tripler, sans qu’il ne se soit vraiment enrichi », résume-t-il. « Le système qui a été adopté avec le budget n’est pas viable, mais il n’est pas possible non plus de rester sur l’ancien système. Il faut trouver une formule alternative qui permette de mitiger l’impact de l’actualisation de la fiscalité sur les entreprises, compte tenu de l’inflation (en gelant par exemple les indemnités de fin de service à leur valeur ancienne jusqu’en 2021), tout en adaptant les tranches à la réalité du pouvoir d’achat des salaires, pour commencer », suggère-t-il. Enfin, à l’image de la prise de position des organismes économiques jeudi, Nadim Daher considère que tout aménagement de la fiscalité doit impérativement s’inscrire dans une réforme globale du pays, les solutions parcellaires étant fatalement vouées à provoquer de nouveaux déséquilibres.
Pour imposer des taxes et des impôts, il faut qu’il y ait un ÉTAT. Or ce qui est appelé État libanais n’existe pas. Il n’existe pas car il n’assure aucun service au citoyen. Il n’existe pas parce que une milice armée qui se fait appeler résistance (résistance à qui ou à quoi?) a la décision sur les passages aux frontières, sur la politique extérieure et sur la déclaration de guerre a tout moment. Il n’existe pas car il n’y a aucun dirigeant politique compétent, intègre et patriote. Tous les dirigeants politiques n’ont cherché qu’à s’enrichir en volant l’argent public notamment les 6 dernières années où l’on a vu la dette exploser. L’Etat libanais n’existe pas car il a fait défaut sur son engagement à payer ses emprunteurs, il n’a pas respecté sa signature, il n’est plus digne de la moindre confiance. L’Etat libanais n’existe pas car il a été incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens bien au contraire il les a terrorisés, les a volés et continue à inventer tous les jours des moyens nouveaux pour le voler. J’accuse tous les présidents de la république depuis 1988, tous les premiers ministres, tous les président du parlement, tous les ministres, tous les députés, tous les hauts fonctionnaires d’avoir contribué de façon active ou passive à détruire le pays, à appauvrir la population, à avoir provoqué toutes sortes de pénuries jusqu’à nous faire arriver à l’effritement total où plus aucun service de l’Etat ne fonctionne. Qu’ils aillent tous au Diable
21 h 27, le 03 décembre 2022