
Le Parlement libanais, place de l'Étoile, à Beyrouth. Photo J.R.B.
Alors qu’il avait suffi qu’un ministre annonce la mise en place d’une taxe WhatsApp de 6 dollars par mois pour provoquer le soulèvement du 17 octobre 2019, la rue et le Parlement sont restés jusqu’à présent étonnamment calmes malgré l’entrée en vigueur, le 15 novembre, d’un budget 2022 beaucoup plus lourd de conséquences pour les contribuables.
Une atonie à laquelle la députée issue de la société civile, Paula Yacoubian, ainsi que 10 autres élus – Michel Doueihy, Mark Daou, Melhem Khalaf, Élias Jaradé, Cynthia Zarazir, Neemat Frem, Michel Daher, Jamil el-Sayed, Adib Abdel Massih et Waddah Sadek – ainsi qu’un désormais ancien député, Ramy Fanj, ont mis un coup d’arrêt lundi en déposant un recours contre la loi de finances devant le Conseil constitutionnel, à la veille de l’expiration du délai prévu de dix jours ouvrés suivant la publication du texte au Journal officiel.
La juridiction dispose désormais de deux semaines pour statuer, a indiqué Paula Yacoubian, que nous avons contactée, ajoutant que le recours ne suspendait pas de facto l’exécution du budget 2022, qui inclut plusieurs mesures alourdissant la fiscalité, dont certaines applicables rétroactivement. Et ce alors même que le texte est entré en vigueur 10 mois et demi après le début de son année d’exécution, ce qui amplifie les répercussions sur les finances des contribuables, dont les dépôts sont toujours bloqués par les restrictions bancaires illégalement mises en place depuis le début de la crise, il y a trois ans.
Griefs et critiques
Ce retard par rapport au calendrier prévu par la Constitution – selon laquelle le budget doit être adopté au plus tard à fin janvier de son année d’exécution – fait partie des vices mis en avant pour motiver le recours en inconstitutionnalité. Les députés ont également souligné le fait que ce budget a été adopté sans que les comptes de l’année précédente n’aient été approuvés par le Parlement, comme l’impose l’article 87 de la Constitution. Le Liban n’a plus respecté cette procédure depuis des années et a adopté tous ses derniers budgets avec du retard. Et ce sans que le Conseil constitutionnel ne s’en émeuve, même lorsqu’il a pu être sollicité.
Pour renforcer les chances de voir leur procédure aboutir, les parlementaires ont soulevé plus d’une dizaine d’autres griefs, comme par exemple la violation de l’article 84 qui interdit au Parlement de « relever les crédits proposés dans le projet de budget (...) ni par voie d’amendement ni par voie de propositions indépendantes » pendant les discussions sur le budget.
En dehors des questions de constitutionnalité, ce budget a déjà été critiqué, notamment par la Banque mondiale, pour son iniquité fiscale, matérialisée par la « surdépendance sur les revenus issus d’impôts et taxes progressifs (dont le taux augmente en même temps que la valeur de ce qui est imposé) », selon les termes repris par l’économiste de la Banque mondiale, Dima Krayem, lors d’une récente conférence à l’Université américaine de Beyrouth.
Inquiétude côté secteur privé
Les autorités défendent, quant à elles, un budget dont la finalité semble d’abord de financer une hausse des rémunérations dans une fonction publique surdimensionnée par rapport au pays (les estimations les plus hautes tablent sur 350 000 employés). Le week-end dernier, le directeur général des Finances, Mohammad Louay Hajj Chehade, a justifié dans les médias locaux la rétroactivité de certaines mesures fiscales en soulignant que les députés avaient tardé à voter le budget. Un argument difficile à accepter dans la mesure où le ministère des Finances lui-même n’a pas envoyé le projet de budget au Conseil des ministres avant janvier 2022, soit bien au-delà des délais imposés par la Constitution.
L’adoption du budget 2022 fait partie des conditions préalables imposées par le Fonds monétaire international (FMI) pour débloquer une assistance financière au Liban. Mais son adoption doit s’inscrire dans un ensemble de mesures permettant de mettre le Liban sur la voie des réformes, ce qui est loin d’être le cas pour le moment.
Du côté du secteur privé, l’inquiétude prévaut alors que le ministère des Finances a commencé la semaine dernière la publication des décisions organisant la mise en œuvre des mesures fiscales contenues dans le budget. Les organismes économiques (l’organisation patronale dirigée par l’ancien ministre Mohammad Choucair) affirment s’en remettre à la décision du Conseil et contestent les entorses faites à la Constitution. Le président de la Confédération générale des travailleurs du Liban (CGTL), Béchara Asmar, et celui de l’ordre des journalistes, Joseph Kossaïfi, se sont réunis lundi pour dénoncer l’adoption d’une autre mesure induite par le budget, à savoir la hausse du « dollar douanier », soit le taux de change employé pour calculer les droits de douane en livres à partir des prix des marchandises importées en dollars. Aligné jusqu’à présent sur la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, ce taux doit passer à 15 000 livres jeudi. Les deux syndicalistes craignent que cette hausse ne fasse davantage dévisser la livre sur le marché, où le taux de change gravite actuellement à un peu plus de 40 000 livres pour un dollar, et appellent à son report.
Alors qu’il avait suffi qu’un ministre annonce la mise en place d’une taxe WhatsApp de 6 dollars par mois pour provoquer le soulèvement du 17 octobre 2019, la rue et le Parlement sont restés jusqu’à présent étonnamment calmes malgré l’entrée en vigueur, le 15 novembre, d’un budget 2022 beaucoup plus lourd de conséquences pour les contribuables.Une atonie à laquelle la...
commentaires (5)
Au moins le tiers des 350000 fonctionnaires, doivent trouver un travail utile pour eux et pour la collectivité. En allégeant ce fardeau, il n'y aurait pas besoin d'alourdir autant les taxes. Sans réforme de l'administration, pas de solution.
Esber
17 h 31, le 29 novembre 2022