Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Reportage

À Djerba, le président tunisien en quête d’une nouvelle image à l’international

Plus d’un an après son coup de force, Kaïs Saïed a accueilli durant le week-end le 18e sommet de l’Organisation internationale de la francophonie. Une occasion de faire oublier la crise institutionnelle que traverse le pays, tandis qu’une trentaine de dirigeants se sont déplacés sur l’île de Djerba.

À Djerba, le président tunisien en quête d’une nouvelle image à l’international

Un garde présidentiel devant le site accueillant le 18e sommet de la francophonie, le 18 novembre 2022, sur l’île tunisienne de Djerba. Photo AFP

La sécurité maximale est de mise sur l’île de Djerba, située dans le sud-est de la Tunisie : présence policière et militaire renforcée, routes interdites d’accès… « Il n’y a pas autant de policiers généralement. C’est juste ce week-end », explique Hassen*, qui tient une épicerie dans le quartier de Midoun, où plusieurs hôtels se succèdent. Alors que la Tunisie devait accueillir en 2020 la 18e édition du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), l’événement avait été reporté du fait de la pandémie de Covid-19. L’année suivante, le coup de force institutionnel du président Kaïs Saïed, qui s’était arrogé le pouvoir exécutif, avait de nouveau retardé l’échéance. L’organisation avait alors justifié ce report par un manque de préparation sur l’île de Djerba afin de permettre à la Tunisie un accueil « dans les conditions les plus optimales ». Mais aujourd’hui, tout semble réussir au président tunisien. Une trentaine de dirigeants se sont ainsi rendus au cours du week-end écoulé au Grand Casino de l’île où s’est tenu le sommet, parmi lesquels le Premier ministre canadien Justin Trudeau, qui avait émis des doutes sur le lieu de la rencontre au vu de la situation démocratique dans le pays. Si les deux chefs d’État n’ont pas tenu d’échange bilatéral, le président tunisien s’est notamment entretenu avec son homologue français. Une réunion au cours de laquelle ce dernier a rappelé que « les libertés fondamentales » étaient « intrinsèques » à « l’acquis démocratique » en Tunisie, avant d’annoncer l’octroi d’un prêt de 200 millions d’euros au pays traversé par une profonde crise économique.

« On se croirait presque dans un autre pays »

Seize mois après son coup de force institutionnel, qui avait été salué par de nombreux Tunisiens exaspérés des querelles politiques et de l’aggravation de la situation socio-économique, le virage autoritariste pris par Kaïs Saïed avait refroidi une partie de la population. En juillet dernier, à peine 30 % des électeurs avaient participé au référendum ayant débouché sur l’instauration d’une nouvelle Constitution qui avait ouvert la voie à un régime hyperprésidentiel. À moins d’un mois des élections législatives prévues le 17 décembre prochain, peu d’observateurs parient sur un regain d’enthousiasme, tandis que les préoccupations sont avant tout économiques à l’heure où la guerre en Ukraine pèse lourd sur la situation dans le pays. Mais à Djerba, les critiques qui se font entendre dans le reste de la Tunisie semblent absentes.

Lire aussi

La Francophonie réunie en Tunisie pour renforcer son rôle international

« On a notre propre mentalité d’île. Tout le monde est cool ici », explique Hassen en riant. « Tout ce qu’on veut, c’est la stabilité et la sécurité, les libertés on en a déjà », ajoute-t-il. Comme la majorité des habitants, Hassen confie que Djerba s’en sort mieux que d’autres villes tunisiennes grâce au tourisme qui fait vivre l’île. En marge du sommet de la Francophonie, de nombreux événements culturels ont été proposés aux Tunisiens et aux touristes, à l’instar de concerts donnés par des artistes étrangers ainsi que des circuits touristiques autour du patrimoine. « Nous sommes très contents de ce sommet, ça nous fait de la pub et ça nous ramène de l’activité », renchérit Hassen.

Dans le centre-ville, Monsef*, la cinquantaine, est attablé à la terrasse d’un café aux abords du souk. Ce chauffeur d’engins confie avoir été touché par la crise économique. « Comme tous les Tunisiens. Les prix des produits alimentaires se sont envolés », raconte-t-il, alors que le pays a connu un taux d’inflation de près de 12 % en un an. Pourtant, il fait rapidement de Djerba un cas à part. « Le niveau de vie est bien mieux ici. Il y a toujours du travail. On se croirait presque dans un autre pays », précise-t-il. Pendant la révolution tunisienne en 2010, tandis que le pays se soulevait après l’immolation par le feu d’un jeune marchand de fruits et légumes à Sidi Bouzid (centre de la Tunisie), aucune manifestation d’ampleur n’a secoué l’île de Djerba. « Il y a eu de petits soulèvements, mais c’est resté très calme », raconte le quinquagénaire. Interrogé sur le coup de force institutionnel du président, Monsef économise ses mots. Pour lui, un retour en arrière, à l’époque Ben Ali, est impossible, se contente-t-il de dire.

À deux pas de là, Houda*, commerçante de 45 ans, partage la même réserve. « Il fait bien son travail, je pense que les habitants sont contents », dit-elle seulement avant de basculer sur la situation économique : « Tout va bien, les affaires marchent après la période du Covid, regardez le sommet, c’est un plus pour la Tunisie. » Elle aussi rappelle le calme propre aux habitants de Djerba, « c’est notre habitude, on n’aime pas les problèmes », s’esclaffe-t-elle.

Lire aussi

Prêt de 200 millions d'euros de la France

Si beaucoup ne souhaitent pas s’épancher sur leurs avis politiques, Adel*, guide touristique dans la ville, estime qu’il s’agit plus d’un ras-le-bol que de peur. « Les gens sont fatigués de parler tout le temps politique, avance-t-il. Ils veulent juste bien vivre, dans de bonnes conditions. »

Alors que le calme règne à Djerba, des centaines d’habitants de la ville voisine de Zarzis sont pourtant venus ramener le président à la réalité. Vendredi, un jour avant l’ouverture du sommet, ces derniers ont manifesté pour alerter sur le sort de leurs proches, décédés dans le naufrage d’une embarcation de fortune au mois de septembre. Selon un communiqué publié par 37 ONG tunisiennes ainsi que des médias locaux, les forces de l’ordre ont empêché la foule de rejoindre Djerba. Ils l’auraient alors dispersée en usant de gaz lacrymogènes, avant que des heurts n’éclatent sur la ville de Zarzis.

* Les prénoms ont été modifiés.

La sécurité maximale est de mise sur l’île de Djerba, située dans le sud-est de la Tunisie : présence policière et militaire renforcée, routes interdites d’accès… « Il n’y a pas autant de policiers généralement. C’est juste ce week-end », explique Hassen*, qui tient une épicerie dans le quartier de Midoun, où plusieurs hôtels se succèdent. Alors que la...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut