Jamais une Coupe du monde ne semble avoir autant déchaîné les passions. Depuis plusieurs mois, les appels au boycott et polémiques se multiplient : scandales de corruption autour de l’attribution de l’événement au Qatar, controverses sur le bilan écologique et humain ainsi que sur les restrictions vestimentaires ou d’alcool. Mais au Moyen-Orient, un tout autre sentiment domine : la joie de voir, pour la première fois dans l’histoire du Mondial, un pays arabe à la tête de l’événement sportif. Malgré les nombreux soucis du quotidien – coupures d’électricité à répétition, difficultés à boucler les fins de mois, parfois même à assurer le lendemain –, ils sont nombreux à vouloir en profiter autant que possible, enthousiasmés par l’aura que la région peut tirer de la compétition.
« C’est une source de fierté pour tous les Arabes, s’extasie Ahmad, jeune ingénieur civil d’origine jordanienne qui réside entre les Émirats arabes unis et le Koweït. Je suis convaincu que son organisation par le Qatar sera très spéciale. » Journaliste et chercheur indépendant irakien, Ahmad renchérit : « Tout le monde ici s’en réjouit. Les autres peuples regardent le Qatar comme un tout petit État, mais il est très puissant. Ce Mondial va rehausser la réputation des pays du Golfe. »
Il y a quelques jours, la publication par l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné d’une caricature représentant les joueurs de l’équipe de football qatarie en terroristes, armés de ceintures explosives ou de kalachnikovs, a suscité l’indignation de nombreux internautes. « (Les Occidentaux) veulent que le monde continue à considérer les Arabes comme des criminels et des arriérés, lâche Ahmad. Ils voient que la plupart des regards se tourneront d’ici à quelques années vers les pays arabes, comme on le constate déjà avec l’Exposition universelle de Dubaï ou la tenue en Égypte de la COP27 sur le climat. Et ils en ont peur. »
Rim*, Franco-Libanaise habitant à Beyrouth, est plus nuancée. Elle estime que les discussions soulevées autour du Qatar sont nécessaires. Mais elle souligne le deux poids, deux mesures des campagnes « racistes » de boycott actuelles, alors que « tout le monde a fermé les yeux lorsque la Russie a accueilli la Coupe du monde, malgré toutes les horreurs qu’elle a commises en Syrie ». « Je me suis posé la question du boycott. J’ai tranché en décidant de ne regarder que les matches de la France », ajoute-t-elle.
Échappatoire
Avec les coupures d’électricité, Rim sait que l’ambiance promet à la maison. « L’an dernier pendant l’Euro, j’avais raté un but de malade mental à cause de la connexion », se souvient-elle en riant. Sakr, Yéménite de 28 ans, est familier de ces problèmes. « Il n’y a pas d’électricité gouvernementale car les générateurs sont situés dans les zones proches des conflits et ne peuvent toujours pas opérer », raconte-t-il. Résidant à Taëz (Sud-Ouest), où l’électricité est gérée par des investisseurs locaux depuis que la guerre a ravagé le pays il y a huit ans, le jeune homme est contraint de payer 40 dollars par mois sa consommation d’électricité, « l’équivalent d’un mois de salaire qu’un fonctionnaire reçoit de l’État ». Tandis que son générateur de quartier ne lui donne pas d’électricité en continu, ce fan de sport s’inquiète aujourd’hui de savoir comment il va suivre les matches. Car pour lui, le football est bien plus qu’un loisir. « L’intérêt pour le sport a grandi dans le pays depuis la guerre, dit-il. C’est maintenant devenu le seul exutoire pour échapper à ce qu’on vit et rester à l’écart de la mauvaise réalité politique et économique du Yémen. » À la mi-décembre, la victoire inédite de l’équipe des moins de 15 ans du Yémen au championnat d’Asie de l’Ouest de football avait provoqué des scènes de liesse à travers tout le pays, soulevant l’espoir éphémère d’une unité retrouvée.
À Gaza aussi, le Mondial a des allures d’échappatoire. Ici, « le football est toujours un big deal », témoigne Racha, habitante de Gaza âgée de 37 ans. Tandis que les jeunes sont surreprésentés, c’est toute l’enclave qui vibrera au rythme de la Coupe du monde. Si elle confie avoir peu d’intérêt pour le football, elle s’impatiente de vivre cette parenthèse de communion et d’euphorie. Il y a encore trois mois, l’enclave palestinienne était la cible d’une campagne de bombardements israéliens officiellement justifiée par l’objectif de « neutraliser » les positions du Jihad islamique. Dans cette langue de terre parmi les plus densément peuplées au monde, sous blocus israélien depuis 2007, la pratique du sport a pris de l’ampleur face aux restrictions de mouvement imposées à la population. « Il y a davantage de terrains de football, mais aussi de basket, de centres d’arts martiaux… Les femmes y prennent davantage part », explique la trentenaire.
« Seuls les riches vont regarder la compétition »
Mais avec six heures d’électricité par jour et un prix d’abonnement aux chaînes de sport très élevé, la plupart des habitants se rassembleront dans la ville pour assister aux matches. « Les plateformes comme beIN Sports, c’est le luxe pour nous, confie Hurya, autre habitante de Gaza. On préfère aller dans les cafés, ce qui ne te coûte rien à part ta boisson et ta chicha. »
Rami* a aussi prévu de suivre les matches depuis les cafés et restaurants de la ville égyptienne de Dahab, située sur la côte est de la péninsule du Sinaï. À sa grande déception, l’équipe nationale égyptienne ne participera pas à la Coupe du monde cette année. Dans le pays, l’importance du football dépasse le cadre du sport pour déborder sur la politique. En 2012, les émeutes de Port-Saïd (Nord-Est égyptien), où des violences avaient éclaté à l’issue d’un match entre l’équipe locale et le club cairote al-Ahli, avaient fait 74 morts et un millier de blessés. Après leur victoire à domicile, les supporteurs de la première formation avaient pris d’assaut les tribunes et attaqué les membres de l’équipe rivale. Certains opposants politiques, Frères musulmans en tête, avaient critiqué l’assaut comme sous l’instigation des partisans du président égyptien déchu Hosni Moubarak, qui auraient voulu infliger une punition aux ultras du club al-Ahli, en première ligne des manifestations à l’aube de la révolution de Tahrir en 2011.
À Idleb, dans le Nord-Ouest syrien, de nombreux posters viennent signaler aux habitants les cafés qui retransmettent la Coupe du monde, explique Abdo*, salarié de 32 ans dans un cabinet vétérinaire. « Bien sûr, les personnes les plus démunies qui vivent dans les camps de déplacés et luttent pour vivre ne vont pas la regarder », précise-t-il. Dans la province, 70 % de la population, soit 3 millions de personnes, sont des déplacés internes, parmi lesquels près de 1,7 million vivent dans des camps. Même pour Abdo, salarié en dollars, regarder la Coupe du monde a un coût. « Mon salaire ne suffit pas face à toutes les dépenses du quotidien, déplore-t-il. Je ne peux pas me permettre d’aller dans les cafés, cela coûte très cher. Seuls les riches vont regarder la compétition. » Tandis que la monnaie syrienne poursuit sa chute, la ville d’Idleb a adopté en juin 2020 la livre turque, ayant elle-même perdu de sa valeur.
Lors de la Coupe du monde de 2010, une tout autre ambiance régnait dans la ville. « Partout, des drapeaux de différentes équipes nationales étaient suspendus aux balcons. » Depuis, le soulèvement populaire et sa répression sanglante aux mains du régime Assad sont passés par là. Dernière enclave aux mains des rebelles, Idleb est contrôlée en majorité par le groupe jihadiste Hay’at Tahrir el-Cham (HTC) – ex-branche d’el-Qaëda en Syrie –, qui gouverne la province d’une main de fer. Abdo ignore ainsi si les femmes seront autorisées à pénétrer dans les cafés, alors qu’aucune information n’a été communiquée à ce sujet. N’ayant pas la télévision chez lui, le jeune homme va néanmoins tenter de suivre la compétition sur les sites en streaming depuis son portable. Toujours au rythme des coupures d’électricité et de la stabilité du réseau.
*Les prénoms ont été modifiés
Prochain épisode : « Le Qatar, une histoire de pirates, de gaz et d’hubris »
Bravo pour cette belle prestation de ce superbe show. Bravo surtout qu’en occident surtout en france, les 2 commentateurs TV ( TF1) ont commencé leurs critiques négatives… à la pelle. . Et l’ensemble des médias en france n’ont pas arrêté de critiquer le Qatar sur leurs positions anti alcool et anti LGBT. On demande en france aux étrangers de respecter les mentalités et lois en france ET en même temps, on reproche au Qatar de ne pas appliquer les valeurs et règles occidentales… chez eux.. Le Qatar a démontré sa capacité à organiser et recevoir le monde entier ( dans la mesure où ce monde respecte le mode de vie du pays hôte). Superbe show d’ouverture
20 h 45, le 20 novembre 2022