
Ghassan Oueidate et Ghada Aoun. Photos d’archives Ani
Le procureur général près la Cour de Cassation, Ghassan Oueidate, a engagé hier devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation des poursuites contre la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun, suite à une plainte portée contre elle, mercredi, par le chef du Parlement, Nabih Berry.Dans un tweet posté la semaine dernière, Mme Aoun avait affiché un document comportant une liste de personnalités, dont M. Berry et son épouse, qui détiendraient en Suisse des comptes gelés par les États-Unis. Les poursuites de M. Oueidate se basent sur des griefs de « diffamation, abus de pouvoir et incitation aux dissensions confessionnelles ainsi qu’à la discorde entre les composantes de la nation ». Cette affaire survient peu après l’expiration du mandat de l’ancien président Michel Aoun, dont la juge Aoun est réputée proche, et qui entretient des rapports détestables avec le chef du Législatif.
Ce n’est pas la première fois que Ghassan Oueidate prend des mesures à l’encontre de Ghada Aoun. Il avait en effet restreint son champ de compétences en décidant, en avril 2021, de la dessaisir des dossiers liés à des crimes financiers, suite à ses poursuites contre le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et ses perquisitions spectaculaires dans les locaux de la société de change Mecattaf. Mme Aoun avait fait appel de la décision de son supérieur hiérarchique devant le Conseil d’État, qui n’a pas tranché. De son côté, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), plus haute instance administrative de la justice, l’avait déférée devant l’Inspection judiciaire, notamment pour non-respect de la décision de M. Oueidate. Il lui était également reproché de ne pas se conformer à son devoir de réserve et de ne pas répondre aux convocations du procureur de cassation pour s’expliquer sur les infractions qu’elle commettait. À ce jour, rien n’a filtré des enquêtes de l’Inspection judiciaire, les investigations se tenant toujours sous le sceau du secret. Outre la plainte au pénal, la magistrate fait l'objet d'une plainte devant l'Inspection judiciaire qu'a présentée lundi l'avocat de M. Berry.
Dans son tweet de la semaine dernière, Mme Aoun avait pris soin de se demander « à quel point les informations de la liste sont vraies », tout en appelant les personnes concernées à dévoiler leurs comptes, « par souci de transparence ». La procureure a toutefois supprimé rapidement ce document, déclaré faux il y a plus de trois ans, lorsqu’il avait été attribué à tort à WikiLeaks, en mai 2019.
Demande de récusation
Ghada Aoun ne s’est pas présentée hier devant le patron du parquet, se contentant de mandater une avocate, Pascale Fahd. À l’issue de l’audience, celle-ci a indiqué avoir présenté une demande de récusation contre Ghassan Oueidate devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Elle a soutenu que l’article 346 du code de procédure pénale impose qu’une plainte contre un procureur d’appel doit être présentée devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation et non devant le parquet de cassation. Selon l’avocate, le parquet est donc incompétent pour se pencher sur la plainte de M. Berry. Or l’article précité dispose que « lorsque le délit est imputé au procureur général près la cour d’appel (…), le défendeur est poursuivi d’office par le ministère public près la Cour de cassation ou sur base d’une plainte de la personne lésée. L’affaire est portée devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation ». Ali Rahal, avocat du chef du législatif, se base sur ce texte pour prôner le contraire des affirmations de Mme Fahd. « Le parquet de cassation est en l’espèce compétent. C’est à lui de transmettre le dossier à l’assemblée plénière », affirme-t-il à L’Orient-Le Jour.
À noter que l’assemblée ne peut à l’heure actuelle se réunir. Son quorum a en effet été perdu en janvier dernier, en raison de départs à la retraite de six de ses dix membres. Ces présidents de chambre de la Cour de cassation n’ont pas encore été remplacés, parce que le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, bloque le projet de décret de nominations sous des prétextes confessionnels. La question est de savoir si les magistrats intérimaires à la tête des chambres de la Cour de cassation ont compétence pour se pencher sur un recours intenté contre un procureur près la cour d’appel. Interrogé par L’OLJ, un haut magistrat déclare qu’il n’a pas la réponse, notant qu’un tel recours est « inédit ». « Il faudra attendre demain (aujourd’hui) ou ces quelques jours pour savoir ce que le Conseil supérieur de la magistrature décidera », indique-t-il.
Inimitié ancienne
Comme autre motif du recours présenté à l’encontre de Ghassan Oueidate, l’avocate de la procureure d’appel a évoqué « l’inimitié entre les deux parties, sur fond de mesures prises contre Mme Aoun par M. Oueidate dans d’autres dossiers, et de recours de la procureure contre ce dernier devant le Conseil d’État ».
Devant le Palais de justice, Mme Fahd a affirmé aux médias que sa cliente n’avait « pas d’intention criminelle ». Selon elle, l’élément moral de l’infraction n’existe donc pas. « Mme Aoun a publié le document sans accuser personne. Elle a donné l’opportunité à ceux qui y sont mentionnés de prouver leur innocence et la fausseté des informations publiées. Elle a précisé qu’elle ne savait pas si celles-ci sont vraies », avance-t-elle.
« Celui qui a engagé aujourd’hui (hier) des poursuites contre moi n’a pas le droit de le faire », a martelé, pour sa part, la procureure d’appel, dans un tweet publié en soirée. « Mon crime est d’avoir demandé l’application de la loi sur la levée du secret bancaire », a-t-elle déclaré. « Si cela continue ainsi, vous ne reverrez votre argent que dans vos rêves », a-t-elle prévenu les déposants, sans crainte d’être accusée de populisme.
« Ghada Aoun sait parfaitement qu’il s’agit d’une fausse liste », rétorque l’avocat de Nabih Berry. « Elle doit assumer la responsabilité d’avoir publié des informations erronées », clame-t-il.
Plainte de Myriam Skaff
M. Rahal évoque par ailleurs « une incitation à la discorde nationale ». « Comme le chef du législatif représente des centaines de milliers de citoyens, il était à craindre que le tweet génère des réactions et des remous qui auraient conduit à une bataille à l’intérieur du pays », note-t-il.
Mme Aoun avait pourtant rapidement pris le soin de retirer son tweet. Il n’empêche que le mal a été fait, réplique l’avocat de M. Berry. « Sa faute a causé un dommage moral aux personnes concernées », martèle-t-il, estimant qu’un tel acte relève de la calomnie.
C’est ce même sentiment d’offense qui a poussé Myriam Skaff, veuve de l’ancien député et ancien ministre Élie Skaff, citée dans la liste falsifiée, à porter un recours similaire contre Ghada Aoun. « Comment une magistrate haut placée se permet-elle de partager sur un réseau social de fausses informations relayées par des armées électroniques ? » s’indigne-t-elle. « Comment accepte-t-elle de diffuser de telles rumeurs sans en vérifier la véracité ? » s’interroge encore Mme Skaff. « En prétendant que je détiens un compte gelé par Washington, elle insinue que des suspicions pèsent sur moi », se désole-t-elle. « Son tweet met des doutes dans l’inconscient collectif et cherche donc à porter atteinte à ma réputation », lâche-t-elle.
commentaires (9)
Et cela continue! Quelle justice libanaise! Qui est dans le droit et qui ne l'ai pas. Cela dépend qui est le Président et qui détient la majorité au parlement. Voir un jour une justice impartiale, non politisée au Liban, est un rêve ! Irréalisable ? Non ! Il faut mettre les bonnes personnes aux postes clé qui ont la volonté d'amorcer ce changement, et faire le ménage ! Ok, je crois au Père Noël ! Cela m'arrive une fois par année! SO WHAT!
Marwan Takchi
23 h 52, le 15 novembre 2022