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Nos Lecteurs ont la Parole

Quand les mots ont de la pudeur

Les paroles ont un pouvoir magique. Ce sont des sortilèges, des dieux vivants et qui, comme les divinités, veulent qu’on les conjure. L’empêchement et le regret, imposés par la peur, l’amour-propre, les règles de la politesse et de la courtoisie, sont de toutes les langues, mais fleurissent surtout dans la langue française et certaines langues orientales.

Autrefois, à l’âge de grande piété, on tenait pour une faute grave de jurer par « le nom de Dieu ou de la Sainte Vierge et des saints ». Dieu dans les jurons était remplacé par l’inoffensif « sur mon honneur », qui a même consonance mais non même gravité.

Comme le mot mouchoir exprime l’idée de se moucher, on baptise le mouchoir « kleenex ». Mais le mot « mouchoir » est resté jusqu’à nos jours celui qui orne une poche de veston dans les occasions uniques.

Recevons-nous un hôte, il s’informera des « lavabos » et non des « cabinets ». « Où pourrais-je me laver les mains ? » demandera-t-il. « Où pourrais-je me mettre un peu de parfum ? » dira une dame. Les enfants bien élevés demandent le « petit endroit » ou diront gentiment qu’ils « ont un peu mal au ventre ».

Est-on à table, il est de mauvais goût – si nous osons dire – depuis des trentaines d’années d’appeler les choses par leur nom.

Il est de bon ton d’offrir les mots de « fin gourmet » et de « cordon-bleu » aux cuisiniers des restaurants. Un certain mot de trois lettres dans « cul-de-sac » a fait bannir du langage les composés mêmes où il se trouvait. On utilise aujourd’hui « impasse ».

Tourner par des périphrases certaines choses est d’un usage courant. « Je vous demande la permission d’aller aux W.-C. », dit celui qui veut satisfaire un besoin naturel qu’il serait indécent de préciser, ou « excusez-moi, je suis un peu pressé ».

L’amour-propre et l’orgueil interviennent aussi dans la création d’« un langage simple ». Les répétiteurs des écoles ont obtenu d’être appelés des « professeurs adjoints » ; les croque-morts « employés des pompes funèbres »…

L’État, qui sait ce que parler veut dire, ne nomme-t-il pas les économiquement faibles les « nécessiteux » et les enfants à problèmes des « délinquants juvéniles » ? Quant aux dictateurs, ils n’exécutent plus leurs ennemis, ils les « liquident » et, bien loin d’occuper un pays étranger, ils le « libèrent ».

D’un homme en prison, on dit qu’il est à « l’ombre » ; d’un commerçant qui a fait faillite, qu’il a eu une « défaillance pécuniaire » ; d’un voleur de bonne famille que c’est un « kleptomane ».

Ainsi est le pouvoir mystérieux des mots. Nous-mêmes qui écrivons, nous sommes trop courtois pour dire d’une personne qu’elle est « vieille ». Elle est, insinuons-nous, « d’un certain âge » ou à « l’âge d’or ».

Conventions du langage, rites d’élégance mondaine, courtoisie, politesse, ce sont les variables selon les pays et les époques ! Mots tabous aujourd’hui qui ne l’étaient pas hier, et vice versa !

Admettons, et même respectons toutes ces bienséances et décences qui révèlent, qui reflètent la civilisation et les mœurs d’un pays. Regardons-les avec les yeux de la pudeur. Les mots et les locutions sont des sortilèges vénérables : ils créent les choses en nous d’une façon pudique, polie et respectable.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Les paroles ont un pouvoir magique. Ce sont des sortilèges, des dieux vivants et qui, comme les divinités, veulent qu’on les conjure. L’empêchement et le regret, imposés par la peur, l’amour-propre, les règles de la politesse et de la courtoisie, sont de toutes les langues, mais fleurissent surtout dans la langue française et certaines langues orientales.Autrefois, à l’âge de...

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