"Lorsque la volonté politique est là, le Liban est capable d’accomplir des réalisations historiques. Il vient tout juste de réaliser le 27 octobre dernier l’exploit majeur de finaliser sa frontière maritime avec son voisin du sud. Et cet accord qui représente une lueur d’espoir sur le plan économique pour les Libanais, pave la voie à d’autres concrétisations. Le Liban ne doit donc pas s’arrêter en si bon chemin, mais mener un panier de réformes et prendre une série de décisions difficiles sur les plans économique et politique. C’est alors qu’il sera capable de montrer à la communauté internationale sa volonté de dépasser la crise économique".
C’est sur ces questions que l’ambassadrice américaine Dorothy Shea s’est penchée vendredi au siège de l’ambassade des États-Unis, lors d’une rencontre entre autres avec L'Orient-Le Jour, assortie d’une séance de questions réponses.
Le besoin désespéré du FMI
"Je voudrais adresser mes félicitations au Liban", souligne l’ambassadrice US qui reconnaît dans la délimitation de la frontière maritime commune entre le pays du cèdre et Israël, "un accomplissement historique dont les Libanais doivent être fiers". "Je savais au plus profond de moi que cet accord était à portée de main, lorsque les trois présidents libanais (l’ancien chef de l’Etat Michel Aoun, le Premier ministre sortant Nagib Mikati, et le président du Parlement Nabih Berry) ont reçu ensemble Amos Hochstein, (le médiateur américain)", révèle-t-elle, évoquant des visions et objectifs communs, et cette entente entre les dirigeants libanais.
"Des décisions difficiles peuvent être prises et appliquées, lorsqu’il y a la volonté politique", insiste Dorothy Shea, invitant à "s’inspirer de cet esprit pour les autres décisions en suspens". Car le danger plane sur la possibilité pour une classe politique en crise "de marquer une pause" sur les dossiers épineux et les réformes attendues. "C’est la fausse conclusion à tirer. Le Liban a absolument besoin de la même énergie pour se diriger vers un panier de réalisations", dit-elle.
Alors après la frontière maritime, le Liban a "désespérément besoin de l’accord d’assistance financière avec le Fonds monétaire international". Un accord qui lui fournirait trois milliards de dollars sur une période de quatre ans. Mais pour ce faire, "il doit remplir les huit conditions pré-requises". Autrement dit mener des réformes préalables, comme la restructuration du secteur bancaire, l’audit de la banque du Liban, la levée du secret bancaire, la restructuration de la dette à moyen terme… "C’est le dernier recours pour le Liban pour huiler son économie", souligne la diplomate. Et en réponse à ceux qui estiment cette somme trop modique, elle assure ne voir "personne d’autre que le FMI frapper à la porte du Liban pour lui proposer ces fonds". "Mais au-delà de ces trois milliards, les réformes rendront l’économie plus attractive pour les investisseurs", affirme-t-elle. Sans oublier "le sceau d’approbation qui viendra du FMI". Et en réponse aux détracteurs du l'institution financière internationale, Dorothy Shea assure qu’il "n’y a pas d’autre alternative, d’autant qu’il n’y a plus de liquidités".
"La pression vient déjà des Libanais qui sont au bout du rouleau, alors qu’ils ne peuvent même pas obtenir un permis de conduire ou un certificat de naissance", constate-t-elle, rappelant l’effondrement des infrastructures comme celle de l’eau, qui permet à la bactérie du choléra de se propager.
L’accord sur l’énergie régionale
"Egalement dans le panier, l’accord sur l’énergie régionale", note l’ambassadrice Shea. Car l’importation par le Liban de gaz égyptien et de courant électrique de Jordanie tarde à se concrétiser. "Nous travaillons sur ce dossier depuis presque un an maintenant, cela fait trop longtemps", déplore-t-elle, sous prétexte de raisons dont certaines "sont inacceptables". "Il n’y a aucune raison pour laquelle le ministère de l’Energie n’a pris aucune initiative de recrutement afin de mettre en place l’Autorité de régulation de l’électricité", lance-t-elle. Ce recrutement étant l’une des conditions que la Banque mondiale avait proposées pour que le prêt au Liban de 150 millions de dollars soit soumis au vote de son comité de direction. Et si les tarifs de l’électricité ont bien augmenté au 1er novembre, "ce qu’ils auraient dû faire il y a longtemps", "ils doivent encore travailler sur un plan de recouvrement des coûts, parce que trop de personnes se servent en courant électrique sans rien payer, ce qui ne peut pas durer", regrette Dorothy Shea. Car pour la diplomate, avant de financer une intervention énergétique, la BM doit avoir une indication de l’existence d’un plan approuvé par le gouvernement pour rectifier ces pertes. "Une fois ces conditions remplies, nous pourrons obtenir un vote à Washington. Les Etats-Unis sont certainement prêts à soutenir cela", fait-elle remarquer.
Présidence : surtout pas de remake
Place à la politique, à l’élection présidentielle et à la formation d’un gouvernement habilité à travailler. Sur ce point, la diplomate US évoque la prise de parole de la secrétaire d’Etat adjointe aux affaires du Proche-Orient, Barbara Leaf, vendredi soir, faisant état de "propos musclés sur le manquement au devoir que personne ne devrait tolérer, si le Parlement ne fait pas son travail et n’élit pas un président".
"Les Libanais ne peuvent pas se permettre un remake de ce qui s’est passé la fois précédente, lorsque l’élection d’un président a pris deux ans et demi", martèle-t-elle. Refusant d’entrer dans le jeu du soutien à un candidat donné, elle énumère néanmoins les caractéristiques du candidat idéal, qui "ferait passer les intérêts du pays avant ses intérêts personnels, avant ceux des partis et des intérêts communautaires", qui devrait "être qualifié, avec des compétences en résolution de problèmes pour relever les défis auxquels le pays est confronté (…) et construire les coalitions au sein des structures de gouvernance et avec la communauté internationale". Qui devrait enfin "avoir les compétences pour traiter avec le FMI et la BM, et ne pas être entaché de corruption". Une fois que ce président est élu, il faudra "un gouvernement pleinement habilité et que ces deux éléments de l'Exécutif travaillent en étroite collaboration et en partenariat avec le Parlement, pour poursuivre l’élan qui a été généré pour concrétiser ces réformes". "C’est alors, assure-t-elle enfin, que le Liban pourra faire valoir de manière crédible son argumentation auprès du monde entier, et mieux encore, auprès du secteur privé".
Quand allez-vous cesser de vouloir éduquer le monde, après tout le mal que vous y avez fait?
17 h 30, le 07 novembre 2022