
Le directeur général du ministère de l’Énergie israélien, Lior Schillat, faisant une déclaration à Ras Naqoura, à la suite de la signature de l’accord sur la frontière maritime. Photo AFP
« Le Liban a reconnu l’État d’Israël dans l’accord sur la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays. Il s’agit d’une réalisation politique, ce n’est pas tous les jours qu’un État ennemi reconnaît l’État d’Israël dans un accord écrit, et ce devant l’ensemble de la communauté internationale. » Ces propos du Premier ministre israélien, Yaïr Lapid, tenus hier, viennent contredire le rejet officiel par l’État libanais, et derrière lui le Hezbollah, de toute idée de normalisation avec l’État hébreu.
S’il a été conclu hier dans deux salles séparées et sur des documents distincts, après avoir été négocié indirectement via les États-Unis, l’accord ne représenterait-il pourtant pas un début de coopération susceptible de mener à la normalisation ? Le président de la République, Michel Aoun, a vite répondu à la question. « L’accord délimitant la frontière maritime avec Israël est purement technique et n’a aucune dimension politique », a-t-il écrit sur son compte Twitter, aussitôt après la signature en matinée de la lettre officielle de Washington sur l’accord. Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est exprimé dans le même esprit lors d’une allocution télévisée. « Le président Michel Aoun n’a pas signé un traité international. Il ne s’agit donc pas d’une reconnaissance d’Israël », a-t-il martelé. « Le processus ayant conduit à la signature de l’accord et la forme de cet accord confirment que tout propos sur une normalisation est sans fondement. (…) Les négociations ont été indirectes et les délégations (des deux pays) ne se sont pas rencontrées », a ajouté le chef du parti chiite.
Nadim Shehadi, ancien membre de Chatham House (Institut royal des affaires internationales), basé à Londres, revient sur la déclaration de Yaïr Lapid, qui a fait polémique. « Les propos du Premier ministre israélien s’inscrivent dans sa volonté de faire monter son score sur la scène interne, à la veille des élections législatives de début novembre », affirme-t-il. « Il s’agit de slogans politiques liés à l’actualité », insiste M. Shehadi. « Le Hezbollah, qui tient pratiquement les rênes du pouvoir, est attaché pour sa part à sa “résistance”, qui est sa raison d’être », affirme-t-il, indiquant que « ce positionnement lui permet à tout moment de déclarer la guerre. »
« Les propos du Premier ministre israélien visent les électeurs de son pays et ne sont pas un défi lancé au Liban », estime dans le même ordre d’idées Karim el-Mufti, enseignant et chercheur en sciences politiques et droit international. Il juge en outre qu’au-delà du contexte interne, Yaïr Lapid veut être en phase avec le désir de la communauté internationale de « voir le Proche-Orient pacifié ». « L’Occident se félicite du contexte de stabilité auquel l’accord va mener et Yaïr Lapid essaie de s’arrimer à cette vague en montrant qu’il fait un pas vers la paix. »Le spécialiste note que chacun des protagonistes tient le discours qui l’arrange. Il fait ainsi observer que « le Hezbollah décline toute approche de reconnaissance de l’ennemi israélien ». Pour M. Mufti, une reconnaissance nécessite d’abord des négociations, dont l’idée n’effleure pas les décideurs au Liban. « Les négociations ne peuvent être entamées que dans un cadre arabe, à l’instar de l’initiative de paix arabe », proposée par l’ancien roi Abdallah d’Arabie saoudite, lors du sommet arabe de Beyrouth, en 2002. Cette initiative avait pour objectif de résoudre le conflit israélo-arabe sous certaines conditions, notamment la création d’un État palestinien qui aurait pour capitale Jérusalem-Est. « Or il n’y a plus de volonté arabe de résoudre le conflit dans son ensemble », affirme Karim el-Mufti, notant que « chaque État gère ses propres relations en négociant une normalisation à l’écart des autres pays arabes, dont le Liban ».
Dans ce contexte, aucun acteur politique libanais ne voudrait « se mouiller » en préconisant de s’engager dans un processus de reconnaissance, estime Karim el-Mufti. « Même les parties opposées au Hezbollah (Forces libanaises et autres) ne manifestent pas une telle volonté, estimant qu’il n’y a rien à gagner puisque Israël n’est pas prêt à lâcher du lest. »Pour le politologue Karim Bitar, professeur à l’USJ, le Hezbollah a vraisemblablement adopté le compromis avec Israël pour éviter « l’escalade ». « Le (parti chiite) a probablement jugé qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », en référence à son acceptation de la ligne 23 plutôt que de miser sur la ligne 29 (maximaliste) qui n’aurait peut-être pas été obtenue. « Qu’a donc reçu le Hezbollah en contrepartie de son approbation du rôle d’intermédiaire des États-Unis dans la conclusion de l’accord et de la compétence des Américains à trancher en cas de litige dans l’exécution ? » s’interroge M. Bitar, sans apporter de réponse. « Ce parti n’a jamais été aussi loin dans la reconnaissance d’Israël, fut-elle tacite », constate-t-il néanmoins, estimant que « sa position relève du pragmatisme ». « Il ne se permettrait pourtant pas de faire un pas vers une normalisation, d’autant que ce serait contraire à son idéologie », nuance l’expert.
Sans traité, pas de reconnaissance
Au point de vue juridique, l’accord du tracé des frontières maritimes ne constitue pas un élément de reconnaissance implicite, juge pour sa part Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit et de sciences politiques de l’USJ. « Pour qu’il y ait reconnaissance, il faut un traité bilatéral. En l’espèce, il s’agit seulement d’un acte concerté », affirme M. Zgheib, faisant observer qu’« un montage juridique adéquat a été soigneusement concocté pour ne pas donner à l’accord la forme d’un traité ». Le fait que l’acte conclu ne prévoit pas de sanctions en cas de non-respect de ses dispositions ne permet pas de qualifier l’acte de traité, martèle le juriste. Il le compare à l’accord d’armistice conclu en 1949 entre les deux pays. Cet accord n’avait pas non plus prévu d’obligations juridiques contraignantes. Le différend avait ainsi été réglé sans une reconnaissance de l’État d’Israël.
« Le Liban a reconnu l’État d’Israël dans l’accord sur la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays. Il s’agit d’une réalisation politique, ce n’est pas tous les jours qu’un État ennemi reconnaît l’État d’Israël dans un accord écrit, et ce devant l’ensemble de la communauté internationale. » Ces propos du Premier ministre israélien,...
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En résumé : pendant que nos leaders politiques déjeunaient ou dînaient avec l’émissaire américain, les israéliens, après un compte à rebours médiatisé, ont appuyé sur un bouton pour commencer à extraire le gaz. Quelle victoire et q Yelle nouvelle réalisation grandiose de cet ex régime
Liberté de penser et d’écrire
14 h 58, le 29 octobre 2022