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Culture - Exposition

L’art au naturel à l’ombre des ficus de l’ESA

Dans les jardins nouvellement aménagés de l’ESA Business School, 15 sculptures de 9 artistes disséminées dans ce petit poumon vert du secteur Clemenceau.

L’art au naturel à l’ombre des ficus de l’ESA

Le troupeau de béliers de Katya Traboulsi sur un tapis de gazon. Photo Michel Sayegh

D’abord, il y a l’écrin... Un magnifique jardin à l’ombre d’énormes ficus, aux allées verdoyantes, ponctuées tantôt par des gradins en pierre, tantôt par des bancs en bois, pour accueillir les élèves de l’établissement et les événements culturels que l’École supérieure des affaires (ESA) organise au fil de l’année. Inauguré le 23 juin dernier, ce projet est une initiative des familles Obegi et Ibrahimchah et a été réalisé par le bureau d’architecture de Raed Abillama. Les jardins Henry et Nadège Obegi ont été le théâtre du lancement de la saison artistique et culturelle par le vernissage de l’exposition « Sculptures au jardin ». Sur un banc en marbre blanc on peut lire : « Humilité, courage et respect des autres », une phrase qui fait rêver. Si seulement chaque Libanais(e) pouvait l’appliquer…

Abdul Rahman Katanani se joue des barbelés et de la tôle une fois de plus pour ses lotus en couleur. Photo Michel Sayegh

Que deviendrait l’art sans ses mécènes ?

Initiatrice de l’exposition, la banque BEMO a toujours cru que la culture et l’art sont essentiels voire nécessaires en période de crise pour maintenir un souffle de vie et d’espoir. Au galeriste Saleh Barakat, elle a confié le soin d’agrémenter la déambulation en implantant des sculptures qui tantôt viennent se fondre dans le décor naturel, tantôt marquent leur présence en se détachant dans un rayon de soleil. Le galeriste juge qu’à l’heure de l’effondrement total que subit le pays, économiquement, socialement et politiquement, l’art peut faire une différence. Avec Riad Obegi, président du conseil de la banque BEMO, l’initiative pour animer ce nouvel espace est prise. « Il est important de donner à réfléchir aux Libanais, insiste Saleh Barakat. Lorsqu’ils aménageront leur jardin, y introduire de l’art est un acte de résistance culturelle. L’art comme arme contre l’obscurantisme et le fanatisme. L’art pour rassembler, pour résister. » Et d’ajouter : « Je souhaiterais que l’art (de plus en plus présent dans nos vies) prenne encore plus de place dans notre quotidien, réaliser une installation dans un espace public, c’est assister à une démocratisation de l’art, c’est l’opportunité d’améliorer la nature sans l’envahir, c’est laisser l’art prendre place dans une majorité de lieux où nous allons, c’est permettre aux visiteurs de vivre des expériences uniques par la simple déambulation dans un jardin ou dans un parc, c’est faire sortir les œuvres d’art de leurs musées ou de leurs galeries pour les partager avec les autres, c’est mettre l’art dans la rue, dans les jardins, à la portée de tous. Lorsque les Émirats et les pays du Golfe organisent des biennales, se procurent les plus grandes œuvres d’art et invitent les plus grands sculpteurs, nous ne pouvons pas rester inactifs, même à petite échelle. »

Serwan Baran, peintre et sculpteur irakien basé à Beyrouth, se penche sur le monde carcéral et sa violence. Photo Michel Sayegh

Dialogue avec la nature

À l’ombre des ficus géants, neuf artistes ont investi cet espace pour lui insuffler une âme supplémentaire et inviter les visiteurs à une déambulation artistique. Une installation non préméditée qui donne pourtant l’impression que chaque sculpture est en parfait dialogue avec la nature. Les œuvres de Serwan Baran, Anachar Basbous, Ginane Makki Bacho, Bernard Ghanem, Joseph Hourani, Abdul Rahman Katanani, Samar Mogharbel, Hady Sy et Katya Traboulsi prennent l’air. L’architecte et urbaniste libanais Joseph Hourany, également titulaire de deux licences en philosophie et en musicologie, propose une sculpture en bois de hêtre à hauteur d’homme. Chez lui, le processus de création est en relation avec le chemin vers une autre forme. L’œuvre peut ainsi absorber spontanément des ajouts, des retraits, des modifications techniques, sans perturber son ordre essentiel. Les lotus en acier ondulé et fil barbelé de Abdul Rahman Katanani, artiste palestinien né dans le camp de réfugiés de Sabra, flottent paisiblement à la surface d’un plan d’eau.

Les nénuphars de Abdel Rahman Katanani. Photo Michel Sayegh

Les petits béliers en bronze de Katya Traboulsi (qui ne sont pas sans rappeler ceux du célèbre artiste français François-Xavier Lalanne), artiste multimédia basée à Beyrouth, semblent prêts à brouter l’espace vert sur lequel ils évoluent. L’artiste les avait conçus dans une dynamique de protestation pour dénoncer l’attitude des peuples en moutons de Panurge. Hady Sy, artiste multimédia qui travaille principalement avec la photographie, réalise que les minutes qui ont suivi la double explosion du 4 août 2020, celles durant lesquelles tous les miraculés se sont levés pour réaliser qu’ils étaient vivants, était l’instant 6,09 ! Or le nombre 609, selon les adeptes de la numérologie, garantit le soutien des anges, annonce des changements drastiques qui mèneront peut-être à briser un cycle de vie actuel.

Hady Sy, Serwan Baran, Anachar Basbous, Ginane Makki Bacho et leurs sculptures tout en verticalité et symbolique. Photo Michel Sayegh

Un nombre angélique qui sera le début d’une évolution. Si Anachar Basbous, le sculpteur de Rachana, joue avec l’acier pour lui extorquer des formes dont l’équilibre improbable paraît menacé par la précarité, il faut faire le tour de sa sculpture en acier haute de 2 mètres pour en mesurer toute la complexité et la beauté. Le vocabulaire noir de Ginane Makki Bacho est toujours présent dans ses réalisations. Sa réplique de Burj el-Murr en acier donne des frissons à ceux qui ont connu la guerre. On y entend presque le bruit de la violence qui fait rage. Et le prisonnier en bronze coincé sur une chaise de Serwan Baran, peintre et sculpteur irakien basé à Beyrouth, ne demande qu’à se lever. Samar Mogharbel, artiste dont la pratique est basée sur la céramique, ponctue le parcours de ses formes en polystyrène pigmenté recouvert de résine, animant le parcours de couleurs fraîches. Bernard Ghanem, lui, n’a pas fini d’explorer les silhouettes féminines et de les styliser. Alors venez parcourir les jardins Henry et Nadège Obegi, vous arrêter à chaque œuvre et participer à la résistance de l’art.

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