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Petits brigandages entre amis


La mer a beau être chargée de promesses gazières et pétrolières, il faut croire qu’elle n’est guère prodigue, pour autant, de cadeaux à répétition.


Avec l’accord Hochstein qui sera signé en grande cérémonie demain à Naqoura, c’est d’extrême justesse que le mandat présidentiel trouve, à quelques jours de son expiration, de quoi étoffer, un tant soit peu, un palmarès qui avait désespérément besoin d’un bon coup de lifting : de finir en beauté, comme le veut en effet la propagande officielle. Un Liban accédant au statut d’État pétrolier après avoir mis en ordre sa frontière maritime avec Israël, voilà que se trouve enfin concrétisé, du moins sur le papier, un slogan cher au cœur de Michel Aoun. Mais pourquoi donc s’arrêter en si bon chemin et ne pas s’en aller titiller par son autre bout, le syrien, notre arpent de Méditerranée ?


Malheureuse à plus d’un titre s’est avérée toutefois l’idée, un peu comme ces initiatives prises à la hâte, dans la fiévreuse agitation accompagnant d’ordinaire tout déménagement, toute fin de règne. Comme avec l’ennemi israélien, notre contentieux maritime avec la Syrie ne date pas d’hier. Face à notre voisin du sud, de précieuses années avaient été perdues, en querelles intestines ou coupables inhibitions, par les gouvernements qui se sont succédé au Liban; entretemps, les autres pays riverains s’entendaient entre eux pour établir et régulariser leurs zones économiques exclusives. En appelant Bachar el-Assad au téléphone samedi dernier, en décrétant l’envoi à Damas d’émissaires, Michel Aoun espérait-il dépoussiérer pour le moins, au finish, un dossier qui, à son tour, n’en finit pas de traîner ?


Pour protocolairement correct qu’il fût dans sa formulation, le refus syrien de négocier à ce stade constituait bel et bien une rebuffade : un camouflet à peine camouflé, dont la République et sa plus haute instance se seraient bien passées. Ces considérations d’amour-propre national ne font cependant que rappeler aux esprits la vieille, classique, viscérale et persistante répugnance de Damas à lever l’hypothèque qui n’a cessé de peser sur la question territoriale syro-libanaise. Car non seulement la Syrie a superbement ignoré les timides tentatives libanaises visant à la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays, mais le tracé qu’elle s’est octroyé d’autorité empiète largement sur les eaux libanaises.


Et surtout, il n’ y a pas en jeu que cette histoire d’eaux salées surgie de fraîche date, même si elles passent pour receler de forts appétissants gisements d’hydrocarbures. Parce que la Syrie ne s’est jamais vraiment résignée à l’émergence d’un Liban pleinement souverain et indépendant, c’est la terre que l’on s’évertue, depuis des décennies, à faire mariner dans l’imprécis, l’inachevé, le provisoire et l’équivoque, en dépit de maintes résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. De faire obstinément la sourde oreille, de se garantir aussi la complaisance du pouvoir libanais, aura même permis à Damas d’imposer la survivance de ce brûlot que sont toujours, aux confins du Liban-Sud, les fermes de Chebaa : territoire qu’Israël, pour sa part, affirme avoir arraché aux Syriens lors de la guerre de 1967.


En attendant, la fantomatique frontière demeure outrageusement poreuse, favorisant d’une part l’acheminement de matériel militaire iranien au Hezbollah et, en sens inverse, la contrebande vers la Syrie d’essence, de médicaments et d’autres produits fréquemment inaccessibles pour les Libanais. Le pire étant, bien évidemment, que tous ces actes de brigandage sont pratiqués entre pays amis et même supposés être frères, selon la phraséologie d’usage…


De parvenir à un accord avec un ennemi qu’il se refuse même à reconnaître était déjà un exercice des plus acrobatiques pour le Liban. Que l’on imagine un peu ce qu’il en serait avec une Syrie pas encore résignée, elle, à l’émancipation du Cèdre …

Issa Goraieb

igor@lorientlejour.com

La mer a beau être chargée de promesses gazières et pétrolières, il faut croire qu’elle n’est guère prodigue, pour autant, de cadeaux à répétition. Avec l’accord Hochstein qui sera signé en grande cérémonie demain à Naqoura, c’est d’extrême justesse que le mandat présidentiel trouve, à quelques jours de son expiration, de quoi étoffer, un tant soit peu, un palmarès qui...