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Moyen-Orient - FÉMINISME

Cinq ans après, comment MeToo a résonné au Moyen-Orient ?

Le mouvement de libération de la parole a démarré en octobre 2017 aux États-Unis. Dans les pays arabo-musulmans, ses échos se sont fait sentir, mais les luttes féministes sont d’un tout autre genre.

Cinq ans après, comment MeToo a résonné au Moyen-Orient ?

Des manifestations de femmes contre le harcèlement en Égypte. Mahmud Khaled/AFP

La mère hausse d’abord les sourcils d’un air interrogateur. La fille, elle, voit très bien de quoi on parle : « MeToo n’a pas eu l’effet d’une bombe au Liban, mais dans ma génération les gens parlent de plus en plus de leurs histoires et exposent leurs agresseurs. Avant, tout le monde avait peur, certains ne savaient même pas ce que le harcèlement sexuel signifiait. Puis ils ont pu réaliser et dire : c’est arrivé à moi aussi. » Au-delà de la fracture générationnelle évidente qui entoure le sujet, l’échange entre Yara, 18 ans, et sa mère Elham, 57 ans, toutes les deux Beyrouthines, est symbolique. Propulsé il y a cinq ans depuis les colonnes du New York Times, le mouvement MeToo a rencontré des échos disparates au Moyen-Orient. 

Le 7 octobre 2017, plusieurs actrices de Hollywood accusent alors le producteur de cinéma Harvey Weinstein de nombreux faits de viol. Quelques jours plus tard, l’actrice Alyssa Milano essaime le mouvement à travers le monde en publiant sur son compte Twitter le hashtag #MeToo, comme un cri de ralliement à l’intention des femmes, pour les inciter à dire tout haut qu’elles ont, elles aussi, été victimes d’agressions sexuelles, de viols et dénoncer les agresseurs. Cinq ans plus tard, 53 millions de tweets reprenant ce hashtag ont été cumulés dans le monde, laissant penser que le sort des femmes suit un chemin universel d’oppressions. Pourtant, si la majorité des pays arabo-musulmans ont connu un mouvement de libération de la parole ces dernières années, il est certain qu’à Khartoum, Téhéran, Alger, Beyrouth ou Bagdad, MeToo n’a pas résonné de la même manière qu’à Hollywood.

#EnaZeda

Et pour cause, les voix des femmes se heurtent à de nombreuses barrières matérielles, politiques et culturelles. « Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux ont permis d’amplifier la parole des femmes en faisant circuler rapidement leurs récits de manière à faire pression sur l’État, résume Ola Galal, enseignante à la New York University et spécialiste de la Tunisie. Mais il y a des limites à s’appuyer sur la technologie, lorsque la fracture numérique est si flagrante. Le taux de connectivité à l’internet en Tunisie est d’environ 67 %, et les femmes ont moins de chance que les hommes d’avoir accès à un smartphone, dont le prix moyen équivaut à 100 dollars dans un pays dont le revenu moyen est de 480 dollars par mois. » Un obstacle majeur quand on sait que les dénonciations des femmes contre leurs agresseurs voient davantage le jour sur les réseaux sociaux que dans les commissariats.

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Octobre 2019, l’appropriation tunisienne de #MeToo se traduit par #EnaZeda (Je suis Zeda), du nom d’une adolescente suivie jusque devant son lycée par le député Zoheir Makhlouf, la harcelant sexuellement jusqu’à se masturber dans sa voiture. Filmées, les images du député font le tour de la toile. Depuis, un groupe Facebook réunissant plus de 40 000 membres a été créé et y affluent chaque jour des centaines de témoignages de personnes victimes de violence sexuelle.

Inscrit dans la loi organique tunisienne depuis 2017, le harcèlement sexuel est puni de 1 à 3 ans de prison. Mais les peines sont peu appliquées. Entre 2019 et 2020 par exemple, près de 4 000 affaires de violences étaient recensées par le ministère de la Justice, alors que 65 000 plaintes avaient été déposées. « L’application des lois se heurte aux attitudes sexistes et parfois misogynes qui prévalent chez les fonctionnaires. Une idée fausse très répandue chez les hommes en Tunisie est que les femmes ont trop de droit, même plus que les hommes », souffle Ola Galal.

Il faut souvent une fois de trop pour déclencher une mobilisation. En Égypte, où 99,3 % des femmes ont déclaré avoir été victimes de harcèlement (enquête de l’ONU, 2013), la goutte d’eau s’appelle Ahmad Bassam Zaki. Ancien étudiant de l’Université américaine du Caire, membre de la jeunesse dorée, il est accusé d’abus sexuels en juillet 2020 par plus d’une cinquantaine de femmes, majoritairement étudiantes. La campagne #AnaKaman (Moi aussi) voit le jour et un compte Instagram « Assault police » est créé pour reporter les cas de violences sexuelles et nommer leurs auteurs. « 2020 n’était pas l’année où les Égyptiens se mobilisaient pour la première fois. C’était le cas depuis longtemps, mais cette affaire a choqué par sa gravité. Au moins, cela avait ouvert une discussion sur la législation et les droits des femmes dans le pays », déclare Nehal Elmeligy, doctorante spécialiste de l’Égypte à l’université de l’Illinois. Approuvé par le Parlement égyptien, le harcèlement sexuel devient alors un crime.

Une prise de conscience à deux vitesses

« Ce sont toujours les féministes actives dans la société civile qui portent et soutiennent le mouvement », déplore Meryem Sellami, docteure en sociologie et enseignante à la faculté des sciences humaines et sociales de Tunis. Face à l’inaction des pouvoirs publics, un peu partout dans les pays arabes, des militantes féministes montent au créneau pour dénoncer les cas de féminicides, ces femmes tuées parce que femmes. Alors qu’en Algérie, l’auteur d’un féminicide peut bénéficier de circonstances atténuantes en cas d’adultère, les militantes Narimene Mouaci Bahi et Wiame Awres répertorient méticuleusement le nombre d’assassinats de femmes, le plus souvent tuées par leurs conjoints. Leur veille permanente a permis d’identifier plus de 32 féminicides depuis le début de l’année 2022.

En Turquie, pays qui s’est récemment retiré de la convention d’Istanbul pour la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ce sont 26 femmes mortes sous les coups d’un homme qui ont été recensées, seulement pour le mois de septembre.

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Au Liban, c’est l’affaire Fatima Fouad qui lève doucement le voile sur le tabou du viol. Le 25 juin dernier, la jeune femme de 27 ans livre un témoignage glaçant sur ses réseaux. Elle affirme avoir été droguée puis violée par deux musiciens pendant la soirée du réveillon de 2019, dans un Liban alors en pleine thaoura. Si l’affaire a quelque peu été relayée en ligne, les répercussions n’ont guère dépassé le monde de la nuit où l’affaire a eu lieu. « Nous avons découvert qu’il y a des confusions concernant les terminologies et les notions chez les femmes, entre harcèlements, violences sexuelles et viols », note Leila Awada, avocate de l’association Kafa au Liban, qui œuvre pour les droits des femmes, à l’origine d’une campagne de sensibilisation pour pallier ces confusions. Comme souvent avec les questions de société, le pays semble avancer à deux vitesses, coincé entre une société civile relativement réceptive à l’ère MeToo et des autorités qui font l’autruche. D’autant plus que le Liban est tout en bas de la liste en termes de représentativité féminine en politique. « Il y a un énorme fossé entre le rôle actif que les femmes jouent dans de nombreux domaines publics, comme lors des manifestations de 2019, et les lois discriminatoires qui les traitent toujours comme des citoyens secondaires, s’indigne Diana Moukalled, journaliste et activiste pour les droits des femmes. Lorsque les femmes ne sont pas libres et égales dans leurs familles et n’ont pas le droit de décider qui épouser, divorcer ou hériter, comment pourraient-elles être actives dans des postes de direction ? »

Soulèvements

À bien des égards, le mouvement issu de Hollywood n’est que la pointe de l’iceberg qui cache une mobilisation active des femmes, mais souterraine car peu relayée par les autorités. « MeToo est souvent crédité de libérer la voix des femmes, mais en réalité il s’agit simplement d’un continuum dans la longue lutte féministe pour la reconnaissance et la participation à la vie publique des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes », pointe Ola Galal. C’est ainsi que des luttes féministes jaillissent à l’occasion d’une révolution, sans que le monde ne s’y attende. Au Soudan notamment, le soulèvement de 2018 aboutissant à la chute du dictateur Omar el-Bachir a marqué le point d’orgue d’un mouvement féministe qui agissait jusqu’alors masqué. Au premier plan des manifestations, les Soudanaises qui conquièrent la rue sont surnommées « Kandaka », en référence aux reines qui ont guidé la civilisation nubienne. « Le mouvement de protestation a eu un impact important sur l’émancipation et le sentiment d’autonomie des manifestantes et même celles restées à la maison. Les voix des femmes sont plus fortes aujourd’hui qu’elles ne l’ont jamais été. Elles réclament leurs droits parce qu’elles ont la conviction qu’elles ont eu leur propre révolution dans la révolution », témoigne Nazik Kingston, fondatrice de la branche soudanaise de Women Human Rights Defenders. Mais le retour de bâton n’est jamais très loin : quatre ans après le déclenchement de la révolution, les droits des Soudanaises repassent au second plan. « Les femmes espéraient un changement dans les lois contre lesquelles elles s’étaient battues, mais même les changements apportés par le gouvernement de transition, comme l’interdiction des mutilations génitales et la liberté de voyager sans l’autorisation d’un tuteur, ont été rétablis », relate Malaz Emad, activiste féministe soudanaise. Énième obstacle pour l’émancipation des femmes de certains pays arabes, la prégnance du blâme familial qui paralyse toute forme de contestation.

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En Irak, où la justice accepte les arrangements entre familles dans le cas d’un crime dit « d’honneur », les mouvements de femmes apparus en Irak et dans le Kurdistan irakien ces dernières années ont très vite été étouffés. Pour Basma Habib, directrice de l’académie des femmes en Irak : « Exprimer une opinion en tant que femme n’est pas une priorité dans les questions politiques, et cela à cause des restrictions sociales qui peuvent nuire aux femmes si elles parlent ouvertement d’être harcelées ou même violées. La société a tendance à cacher ces questions parce qu’elle croit qu’elles offensent la réputation de la famille. »

La mère hausse d’abord les sourcils d’un air interrogateur. La fille, elle, voit très bien de quoi on parle : « MeToo n’a pas eu l’effet d’une bombe au Liban, mais dans ma génération les gens parlent de plus en plus de leurs histoires et exposent leurs agresseurs. Avant, tout le monde avait peur, certains ne savaient même pas ce que le harcèlement sexuel signifiait....

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