Faute de quorum, la réunion du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à laquelle avait convié le ministre sortant de la Justice Henri Khoury n’a pas eu lieu hier. Cette réunion devait être consacrée au vote pour ou contre la nomination de Samaranda Nassar, proche du Courant patriotique libre (CPL), comme juge suppléante au juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020). Au final, une nouvelle séance de vote est prévue mardi prochain. Le président du CSM, Souheil Abboud, avait annoncé dès lundi en soirée qu’il n’assistera pas à la séance, en signe de protestation contre ce qu’il avait appelé des « tentatives d’ingérence politique » dans l’enquête sur le 4 août. Des ingérences dont le point d’orgue s’est manifesté, avait-il dit, à travers « la convocation à une séance dont les motifs sont politiques, même si elle est légale ». Le président du CSM résiste contre la nomination de la juge, parce qu’il considère que celle-ci est susceptible d’être partiale dans les demandes de remise en liberté qui lui seraient présentées.
La proposition de nommer un juge suppléant répond, selon le CPL, au besoin de trancher l’affaire des détenus dans l’enquête de l’explosion au port.
On sait que le nom de la première juge d’instruction au Liban-Nord, Samaranda Nassar, avait été proposé par le ministre de la Justice, lui aussi proche du camp aouniste, vraisemblablement pour faciliter une demande de mise en liberté, notamment du directeur des douanes Badri Daher, proche de Gebran Bassil.
Jusqu’à 11h hier, l’heure prévue de la réunion, il était impossible de savoir si le quorum allait être assuré malgré l’absence de Souheil Abboud. Il suffisait en effet que le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, assiste à la séance pour que le quorum soit assuré.
Or ce dernier ne l’a pas fait, s’étant récusé du dossier de la double explosion au port en raison de son lien de parenté avec le député berryste Ghazi Zeaïter, ancien ministre des Transports, mis en cause dans l’affaire. S’il avait décidé d’y assister malgré tout, le CPL aurait gagné sa bataille contre Souheil Abboud. Or Ghassan Oueidate s’est contenté de participer à la discussion du premier point mis à l’ordre du jour par le ministre Khoury, à savoir le projet de nomination de présidents des chambres de la Cour de cassation, visant à compléter l’assemblée plénière.
Un magistrat affirme sous le couvert de l’anonymat qu’en se comportant ainsi, M. Oueidate a été « conséquent avec lui-même », vu qu’il s’était désisté du dossier du port. Selon lui, la loi permet pourtant au juge Oueidate d’assister à toute séance du CSM en tant qu’un de ses membres et son vice-président, même s’il ne peut pas voter sur les questions liées à l’affaire du port de Beyrouth.
Cette opinion est contredite par le constitutionnaliste Saïd Malek. « Ghassan Oueidate s’étant dessaisi de l’affaire de la double explosion, il ne peut donc pas participer aux réunions qui y sont liées », affirme-t-il, notant que « sa seule présence pourrait faciliter la publication d’une décision du CSM susceptible d’un recours en annulation ». Pour M. Malek, si le procureur de cassation n’a pas assisté à la réunion, c’est parce que la loi ne le lui permet pas. « S’il décide mardi prochain de prendre part aux discussions conduisant au vote lié à la nomination de la juge Samaranda Nassar, toute décision en rapport avec ce sujet serait entachée de nullité », insiste-t-il.
Dans l’entourage du président du CSM, on stigmatise le fait que le conseil se soit réuni en l’absence de Souheil Abboud, même pour traiter de la composition de l’assemblée plénière. « Lorsque le président du CSM refuse de prendre part à une réunion, tous les membres de l’organe devraient se solidariser avec lui en refusant également d’y participer », martèle-t-il.
Pour leur part, les membres qui se sont réunis ont justifié leur position à travers un communiqué, évoquant avoir agi « par devoir et en conformité avec la loi, loin de toute atmosphère politique, afin d’assurer la continuité du travail du corps judiciaire (…) ».
Abboud devant l’inspection judiciaire, exige le CPL
En concomitance avec la réunion du CSM, des dizaines de proches des victimes manifestaient devant le Palais de justice de Beyrouth pour apporter leur soutien à Souheil Abboud, ainsi que pour rejeter toute division dans l’affaire du port, entre les questions liées aux détenus et celles ayant trait à l’enquête proprement dite. En parallèle, les proches de détenus ont eux aussi effectué un sit-in au même endroit, pour protester contre le report de la nomination d’un juge suppléant.
Du côté du CPL, on semble furieux que la désignation de Samaranda Nassar ne soit pas passée. Le parti a publié hier en soirée un communiqué dans lequel il accuse le président du CSM d’« entraver le cours de la justice », réclamant qu’il soit déféré à l’Inspection judiciaire pour trafic d’influence et abus de pouvoir.
Ils se compromettent tous jusqu’à arriver à un point où ils sont piégés par leurs propres alliés de la veille. Je n’ai, mais alors aucune compassion pour tous ces vendus aussi importants soient ils. Ils ont participé tous au délabrement de notre pays et paient le prix de leur collaboration le moment venu.
12 h 54, le 13 octobre 2022