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Société - Prisons

Réduire l’année carcérale à six mois, est-ce vraiment la solution ?

Le dossier de la surpopulation dans les geôles libanaises pourrait figurer aujourd’hui à l’ordre du jour de la séance plénière du Parlement consacrée au budget.

Réduire l’année carcérale à six mois, est-ce vraiment la solution ?

À la prison centrale de Roumieh, la surpopulation carcérale est un problème endémique. H. Assaf/an-nahar

Une alimentation insuffisante, de mauvaise qualité. Des médicaments qui manquent, en quantité. Des soins de santé quasiment inexistants. Et des mois, voire des années d’incarcération souvent sans jugement. Les conditions de détention des prisonniers du Liban ont atteint l’intolérable depuis la crise multiple et l’effondrement économico-financier du pays. Intolérable car les problèmes dont souffre le système carcéral ne se limitent plus à la surpopulation et la promiscuité récurrentes, mais relèvent désormais de l’incapacité d’un État en déliquescence à nourrir, soigner et juger ses prisonniers. Au point que deux détenus sont récemment décédés faute de soins adéquats, et que la société civile s’inquiète des décès en augmentation. La situation a été exacerbée par la pandémie de Covid-19, par le nombre de toxicomanes placés en détention faute de structures spécialisées et par la grève ouverte des magistrats depuis la mi-août pour protester contre la dépréciation record de leurs salaires payés en livres libanaises. À la même période, six fournisseurs lançaient un ultimatum au ministère de l’Intérieur, menaçant de priver de nourriture les prisonniers de plusieurs centres carcéraux si l’État ne leur versait pas les montants dus depuis sept mois. Alors que la population libanaise, profondément touchée par la crise et par la dépréciation de la monnaie nationale, peine à joindre les deux bouts et affiche une indifférence criante face au sort des quelque 9 000 détenus sur l’ensemble du territoire (centres pénitentiaires et d’arrestation), la classe politique s’active dans un objectif annoncé de limiter la surpopulation carcérale. Et ce dans un contexte de recrudescence des opérations d’évasion. La dernière en date remonte à trois jours : vendredi 23 septembre, 19 détenus se sont échappés d’une prison de Jounieh.

Amnistie vs réduction de l’année carcérale

Deux brouillons de loi ont été présentés au Parlement en août dernier. Revêtue du caractère de double urgence, la proposition du député de Tripoli Achraf Rifi, ancien ministre de la Justice et ancien directeur des Forces de sécurité intérieure, porte le titre d’« amnistie exceptionnelle » pour certains crimes. « Elle préconise des mesures exceptionnelles pour désengorger les prisons, car la situation des détenus n’a jamais été pire », explique à L’Orient-Le Jour le général Rifi. « La peine capitale sera aménagée en 25 années d’emprisonnement et la perpétuité à 20 ans de prison, détaille-t-il. De plus, l’année carcérale sera réduite de 9 à 6 mois, même pour les condamnés à mort et à la perpétuité. » Quant aux prévenus, « ils bénéficieront aussi de la loi, s’il s’avère qu’ils ont suffisamment servi, poursuit le leader sunnite. Car la justice est complètement grippée. Les détenus en font malheureusement les frais, plus particulièrement ceux en attente de jugement ».

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Il révèle à ce propos que « les deux tiers des prisonniers du pays attendent toujours d’être jugés ». « Un chiffre controversé, nombre de détenus faisant l’objet de plusieurs condamnations », rectifie Omar Nachabé, spécialiste des prisons au Liban. Le projet de loi présenté par le gouvernement, par le biais du ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, préconise la réduction de l’année carcérale de 9 à 6 mois, applicable une seule fois. Ce projet ne concerne ni les condamnés à mort ni les condamnés à la perpétuité, dont une grande partie est constituée d’islamistes sunnites ayant perpétré des actes terroristes ou des attaques sanglantes contre l’armée libanaise, à Nahr el-Bared (2007), Denniyé (2000), Abra (2013) ou Ersal (2014), sans compter les gros trafiquants de drogue et nombre de criminels. « Les condamnés à mort voient leur peine commuée à 25 ans de réclusion et les condamnés à la perpétuité à 20 ans de prison. En revanche, leur année carcérale comptera 12 mois », selon le texte de loi que nous avons consulté.

Un consensus possible, après amendements

« Cinq textes de loi visant à régler le problème de la surpopulation carcérale attendent d’être discutés au Parlement », explique à L’Orient-Le Jour le député Michel Moussa, président de la commission parlementaire des Droits de l’homme. Et comme il est « hors de question que les autorités prononcent une amnistie », même à titre exceptionnel ou partiel, qui privilégierait les islamistes sunnites condamnés pour terrorisme (ils seraient 500, selon les instances religieuses sunnites, dont moins de la moitié de Libanais), « le projet de loi présenté par le ministre de l’Intérieur, assorti d’amendements, semble le plus à même de faire l’objet d’un consensus au sein de la classe politique », révèle le député proche du président de la Chambre Nabih Berry. La situation dans les prisons est tellement alarmante que la question pourrait même être abordée aujourd’hui, dans le cadre de la séance plénière consacrée au budget, selon les deux députés précités. « Jamais on n’a vu tant de surpopulation dans les prisons du pays, confirme Michel Moussa. À titre d’exemple, la prison de Roumieh, avec une capacité de 1 300 détenus, en abrite aujourd’hui près de 5 000. » « Le texte de loi devra néanmoins suivre la procédure normale, être présenté à l’hémicycle, transféré aux commissions parlementaires puis à l’assemblée générale pour un vote », affirme-t-il.

Quelle justice pour les victimes ?

Au-delà des faits, une question mérite d’être posée. Alors que la criminalité s’épanouit au pays du Cèdre face à l’effondrement généralisé de l’État, la réduction des peines de moitié – pour ne pas évoquer l’amnistie – et donc la libération prématurée de grands criminels, quelle que soit leur appartenance communautaire, est-elle vraiment la meilleure solution ? Qu’en est-il du devoir d’une nation d’instaurer la justice et le respect des droits des victimes et de leurs familles? De plus, aucun pays au monde n’a jamais réduit de moitié les sentences de sa population carcérale. Cette mesure est généralement limitée, décidée au cas par cas, conditionnée par le comportement exemplaire d’un détenu, à son obtention d’un emploi… Or, depuis leurs geôles, les criminels poursuivent leurs activités illicites. Ils ne bénéficient d’aucune réhabilitation, d’aucun apprentissage, d’aucun emploi.

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« Ils mènent une existence oisive faite de privations, sous la botte du chaouiche (un détenu qui détient un certain pouvoir pour organiser la vie à l’intérieur de la cellule, au risque d’en abuser), et nombre d’entre eux sombrent dans la dépendance médicamenteuse, voire sexuelle », confie Omar Nachabé. « Ils poursuivent leurs trafics au sein de la prison sans être inquiétés, renchérit le père Nagib Baaklini, président de l’Association justice et miséricorde (AJEM), active au centre carcéral de Roumieh. Et lorsqu’ils sont remis en liberté, ils n’ont d’autre perspective que le chômage ou la récidive, ce qui ne fait pas l’affaire de leurs proches. »

Une première tentative peu concluante

Les autorités libanaises n’en sont pas à leur première tentative de désengorger les prisons. Il y a une dizaine d’années, elles avaient déjà réduit l’année carcérale de 12 à 9 mois. Mais « aucune étude n’a jamais été conduite pour mesurer les conséquences de cette première réduction des peines », se désole M. Nachabé. Il semble toutefois que les résultats n’aient pas été à la hauteur des attentes. « Cela n’a rien résolu, dénonce une source informée sous couvert d’anonymat. Preuve en est, quelques années plus tard, les geôles du pays débordent de nouveau, centres d’arrestation compris. » « Réduire l’année carcérale à six mois permettra sans aucun doute de vider les prisons de 1 000 à 2 000 personnes », estime M. Nachabé, se disant en faveur de « tout ce qui est susceptible de restreindre la population carcérale en cette période difficile ». Il constate cependant « la hausse de la criminalité et les risques importants de récidive ». Même scepticisme du père Baaklini. « Nous ne pouvons qu’être en faveur du désengorgement des prisons. Mais je ne vois pas comment la réduction de l’année carcérale peut résoudre le problème de la surpopulation dans les lieux de détention », commente-t-il. Ce qui est davantage problématique pour les associations humanitaires présentes dans les prisons, c’est que « lorsque les hommes politiques se prononcent en faveur d’une amnistie ou d’une réduction de l’année carcérale, elles subissent les pressions des familles », révèle le responsable.

La colère des réformistes

Le dossier des prisons a toujours fait l’objet de tiraillements politiques et communautaires, exploités par des leaders à des fins électorales ou clientélistes. Il n’a jamais été abordé dans l’intérêt de la société libanaise, ni dans une perspective de réforme, mais dans l’intérêt de telle ou telle communauté religieuse. Les récentes initiatives n’échappent pas à la règle, provoquant la colère de personnalités longtemps engagées dans la réforme du système. « Ces textes de loi ressemblent fort à une déclaration d’impuissance. Réduire de moitié une année carcérale, c’est une forme d’amendement du code pénal », s’insurge l’avocat Ziyad Baroud, ancien ministre de l’Intérieur et activiste des droits de l’homme. « Une amnistie générale serait choquante. C’est une fuite en avant, une démarche populiste et électoraliste », déplore de son côté l’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar. En revanche, dans les circonstances actuelles, il affirme comprendre une solution à la surpopulation carcérale, comme celle de raccourcir l’année carcérale. Lorsqu’ils occupaient leurs fonctions, les deux responsables avaient coopéré pour la réforme du système carcéral et judiciaire, pour un réaménagement des peines et pour le transfert du dossier du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice. Mais leurs efforts n’ont jamais abouti. « Les équipements et infrastructures que nous avions installés à Roumieh pour améliorer le quotidien des détenus ont même été saccagés et brûlés lors d’émeutes », affirme M. Baroud.

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« Ils m’ont frappé en me disant que j’étais un terroriste »

Quelles alternatives dans ce cadre? « Il faut penser la politique judiciaire et carcérale, mais aussi activer le transfert du dossier au ministère de la Justice », insiste l’ancien ministre de l’Intérieur, rappelant que la gestion des prisons ne fait pas partie des prérogatives des forces de l’ordre. Et comme la population a augmenté, « il faut aussi construire des prisons de manière décentralisée, afin de permettre aux familles de rendre visite à leurs proches détenus sans que cela leur coûte des fortunes en déplacements ». Pour sa part, Ibrahim Najjar appelle inlassablement à « une stratégie pénitentiaire réfléchie » et « des tribunaux qui fonctionnent afin que les jugements soient rendus ». « Tout cela n’est pas la faute des détenus. Lorsque les tribunaux ne fonctionnent pas, des milliers de détenus sont maintenus dans les prisons sans que l’on sache s’ils sont coupables ou non », déplore-t-il, dénonçant « l’absence de l’État » et cette « situation de fin de règne ».

Treize des 19 fugitifs d’une prison de Jounieh arrêtés par l’armée, durant le week-end

Treize fugitifs parmi les dix-neuf qui s’étaient échappés vendredi soir d’une prison de Jounieh, principale ville du Kesrouan, ont été arrêtés durant le week-end écoulé. Douze d’entre eux ont été appréhendés samedi matin, selon une annonce des Forces de sécurité intérieure. Le treizième a été arrêté dimanche au Akkar par l’armée libanaise à un barrage de la troupe à Chadra, précise l’armée dans un tweet. La police a affirmé que les recherches se poursuivent pour appréhender les détenus toujours en cavale.

Les circonstances de l’évasion n’ont pas été dévoilées par les autorités.

Début septembre, dix prisonniers s’étaient évadés du poste de police d’al-Hisba à Saïda, chef-lieu du Liban-Sud. En août, plus de 30 détenus s’étaient échappés d’une prison par une fenêtre près du Palais de justice à Beyrouth. Seuls quelques-uns d’entre eux avaient finalement été retrouvés par la police.

Une alimentation insuffisante, de mauvaise qualité. Des médicaments qui manquent, en quantité. Des soins de santé quasiment inexistants. Et des mois, voire des années d’incarcération souvent sans jugement. Les conditions de détention des prisonniers du Liban ont atteint l’intolérable depuis la crise multiple et l’effondrement économico-financier du pays. Intolérable car les...

commentaires (3)

"… Réduire l’année carcérale à six mois, est-ce vraiment la solution ? …" - Si en plus les détenus dorment 12 heures par jour, il ne feront que trois mois effectifs…

Gros Gnon

16 h 59, le 26 septembre 2022

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Commentaires (3)

  • "… Réduire l’année carcérale à six mois, est-ce vraiment la solution ? …" - Si en plus les détenus dorment 12 heures par jour, il ne feront que trois mois effectifs…

    Gros Gnon

    16 h 59, le 26 septembre 2022

  • "L'annee carcérale sera réduite de 9 à 6 mois". Bonne nouvelle pour les politichiens corrompus, les hauts fonctionnaires vereux, les banquiers cupides et voleurs et les juges aux ordres. Mauvaise nouvelle pour leurs victimes .....

    Michel Trad

    10 h 59, le 26 septembre 2022

  • Réduire l'année carcérale de moitié, a un sens, compte tenu des conditions des détentions inacceptables. En temps de guerre: les années de service à l'armée comptent double et c'est logique en tenant compte de l'effort et de la dangerosité du métier.

    Céleste

    10 h 05, le 26 septembre 2022

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