Le 7 août courant, 31 détenus s’évadaient du centre de rétention du Palais de justice de Beyrouth, mieux connu sous le nom de prison de Adliyé. Selon la version officielle, « les fugitifs, dont 4 ont été arrêtés à ce jour, ont fui à l’aube par une étroite fenêtre dont ils ont scié les barreaux ». Le processus s’est déroulé « à l’aide d’une vis », précise une source sécuritaire à L’Orient-Le Jour. « Il a nécessité quelque 24 heures de préparation dans le plus grand secret », sans que les geôliers ne se doutent de rien, ajoute-t-elle, rejetant formellement les accusations de complicité avec des éléments des forces de l’ordre qui ont fusé après l’incident.
Des semaines après ce qui a été qualifié de « grande évasion » par le site marocain d’information L’Opinion, l’enquête toujours en cours n’a révélé que des bribes d’informations distillées au compte-gouttes. Sans nul doute, l’incident a mis dans l’embarras les organismes sécuritaires libanais, et plus particulièrement les Forces de sécurité intérieure (FSI), organisme officiel responsable du centre de rétention de Adliyé. À plus grande échelle, c’est le ministère de l’Intérieur, le ministère de tutelle des prisons, qui est montré du doigt.
L’embarras des FSI
Et pour cause, le site situé en sous-sol dans un lieu initialement construit pour servir de garage aurait dû être fermé depuis des décennies sur insistance d’organisations locales et internationales des droits de l’homme, et de l’Union européenne notamment. Ce qui n’a jamais eu lieu. « À maintes reprises, j’ai recommandé aux autorités de fermer définitivement cette prison non conforme aux normes et où les prisonniers sont littéralement enterrés. Ma dernière intervention dans ce sens remonte à un mois à peine », rappelle le criminologue Omar Nachabé, auteur d’études sur les prisons au Liban.
Aménagé dans une structure inadéquate, le centre de rétention viole systématiquement les droits humains et toutes les normes carcérales. Non seulement les détenus y sont maintenus en sous-sol, privés de la lumière du jour et d’aération appropriée, mais ils sont aussi parqués comme du bétail dans des cellules d’une trentaine de prisonniers, bordées de barreaux, sous l’œil scrutateur de leurs geôliers 24 heures sur 24. Sans compter qu’ils doivent compter sur leurs familles pour leurs repas et leurs médicaments.
« C’est un lieu inhumain. C’est un parking de voitures et non pas une prison. Nous parlons bien de vie et de mort », dénonce Bassam Kantar, membre de la Commission nationale libanaise des droits humains, exhortant l’État, dont il dénonce le « manque de volonté », à « envisager une solution alternative immédiate » et à « lever tous les obstacles » dans cet objectif. Après avoir longtemps servi à la Sûreté générale de centre de rétention pour la main-d’œuvre migrante en situation irrégulière, ce centre d’incarcération provisoire a été repris par les FSI pour sa proximité du Palais de justice. « Dans l’attente d’un lieu plus adéquat, il faut faire avec », se résigne la source sécuritaire. L’embarras des FSI découle aussi de la mise en cause de l’appareil sécuritaire dans cette évasion retentissante, le poussant ainsi à tenter de se dédouaner. « Nous écartons formellement toute complicité avec des geôliers », réagit la source sécuritaire. « Lorsque autant de prisonniers prennent le large à la fois, ce n’est généralement pas le résultat d’une collusion à l’intérieur du centre de détention. Mais plutôt d’une fatigue, à la rigueur d’une négligence » (de la part des surveillants), précise-t-elle. Et ce dans un contexte d’effondrement étatique depuis 2019, de dépréciation record de la livre et de grogne généralisée des fonctionnaires dont les salaires ne valent plus rien (moins de 50 dollars mensuels parfois). Car, outre leurs conditions de vie déplorables, les geôliers doivent faire avec « la surpopulation carcérale » et « la détention prolongée » de prévenus dans ce lieu inapproprié. « Le centre de rétention est un lieu consacré à recevoir des personnes placées en garde à vue juste pour quelques jours. Après avoir été entendues au Palais de justice (à quelques centaines de mètres), elles sont soit remises en liberté soit transférées à la prison de Roumié », explique ce responsable sécuritaire. Mais vu l’exacerbation de la crise, les grèves du corps judiciaire, le report des audiences, l’absentéisme des éléments sécuritaires, le manque de fourgons cellulaires, le coût élevé du carburant, le retard dans les procédures administratives…, les gardes à vue se prolongent de manière démesurée. « Au lieu d’être maintenus quelques jours, ces détenus sont entassés des semaines, voire des mois, au centre de Adliyé, reconnaît le responsable. Ils ont donc largement le temps d’étudier le lieu et ses failles, ainsi que les habitudes des surveillants. »
Sans complicité, une telle évasion est impossible
Au-delà de ce fait divers rocambolesque dont les dessous risquent fort bien de ne jamais être révélés au grand public, secret de l’enquête oblige, l’affaire est bien le signe de la déliquescence de l’État. Un État paralysé par les divisions politiques, par l’absence de redevabilité et par le ras-le-bol de ses fonctionnaires, forces de l’ordre y compris, dont certains éléments pourraient fort bien accepter d’être soudoyés pour arrondir leurs fins de mois difficiles. « Dans un cas d’évasion aussi grave que celui-ci, au centre de rétention du Palais de justice, il faut penser à des complicités. Et qui plus est, dans un contexte où l’État est quasiment inexistant », se désole l’ancien ministre de la Justice Ibrahim Najjar. « Les conditions de vie des soldats sont désormais si misérables que la probabilité est grande que les fuyards aient été aidés (par des éléments des forces de l’ordre, NDLR) », renchérit Bassam Kantar, reconnaissant toutefois ne pas avoir de preuves. Même certitude de la part de Omar Nachabé qui persiste et signe : « Il n’est pas possible d’organiser une telle évasion sans complicité de l’intérieur même de la prison, au vu de l’effondrement économique et des salaires miteux des surveillants », confirme-t-il. L’expert indique se baser sur une théorie scientifique selon laquelle une personne en position de pouvoir qui perçoit un salaire insuffisant risque de recourir à l’intimidation et la menace pour une contrepartie financière.
L’évasion de Adliyé n’est d’ailleurs pas la seule dans son genre. Elle a été précédée de fuites assez récentes tout aussi spectaculaires. Le 21 novembre 2021, 70 détenus au centre de détention rattaché au Palais de justice de Baabda prenaient le large après avoir réussi à déjouer les dispositifs de sécurité des lieux. Ce jour-là, l’évasion a viré au drame, lorsque cinq fugitifs ont perdu la vie dans un accident de voiture. Le 4 août 2020, juste après la double explosion au port de Beyrouth, le centre de rétention de Adliyé était aussi au cœur d’une tentative d’évasion massive. Secoués par les explosions, les lieux avaient alors été envahis d’une dense poussière, poussant les prisonniers à briser les cadenas de leurs cellules et à s’engouffrer vers la sortie. Ils avaient été rapidement rattrapés par les forces de l’ordre qui les ont ramenés manu militari dans leurs geôles.
Un système carcéral en manque de réformes
Immanquablement, l’affaire du 7 août courant remet sur le tapis le désintérêt officiel pour un système carcéral lamentable, en mal de réformes. « Non seulement les détenus vivent dans la grande promiscuité, dans des conditions dégradées par la crise économique et la pandémie de Covid-19 (humidité, mauvaise alimentation, manque de médicaments, eau insalubre…), mais ils subissent également les lenteurs de la justice qui retardent leur jugement et leur remise en liberté », déplore le père Nagib Baaklini, président de l’Association justice et miséricorde (AJEM) engagée auprès des prisonniers de Roumié. « Ajoutés à cela, les obstacles qui entravent le transport des détenus vers les Palais de justice, notamment le manque ou le coût élevé du carburant et l’absence de fourgons cellulaires », rappelle Ibrahim Najjar.
Selon les chiffres communiqués par Omar Nachabé, environ 260 personnes sont incarcérées dans le centre de rétention de Adliyé sur un total de 8 000 prisonniers au Liban, dont 3 500 au centre pénitentiaire de Roumié. Et dans les prisons sous le contrôle des FSI, « seulement 21 % des prisonniers ont été jugés, 79 % d’entre eux étant toujours en attente de jugement ».
Ce qui est encore plus grave, c’est que la détention au Liban se contente de sanctionner l’individu. La réhabilitation des prisonniers y est absente. « Le but de la détention doit permettre à toute personne de retrouver la possibilité d’une insertion sociale », martèle l’ancien ministre Najjar. « L’atteinte aux droits de l’homme dans les prisons est le dernier des soucis des autorités », accuse aussi Bassam Kantar, observant une situation qui va en empirant dans toutes les prisons du pays. « Il est urgent de réveiller les consciences et mettre le dossier des prisons entre les mains d’experts », insiste aussi le père Nagib Baaklini.
Mais pour l’instant, retour au dur quotidien des détenus, à cette pandémie de Covid-19 qui resurgit à la prison de Roumié depuis des semaines déjà.
Un prisonnier s'échappe d'un hôpital à Baalbeck
Un prisonnier s'est évadé hier de l'hôpital Dar el-Hikmé à Baalbeck, rapporte l'Agence nationale d'information. L'homme, Y. A. N., suivait un traitement à l'hôpital après avoir été blessé au niveau de l'estomac lors d'une perquisition de l'armée il y a quelques jours. Il était recherché pour vols et tirs à l'arme à feu.
commentaires (6)
Quel état.? Quelle ferme quel bordel Quel noeuds de vipère ….
Robert Moumdjian
04 h 49, le 23 août 2022