Rechercher
Rechercher

Culture - Peinture

Kamiran Khalil, quand le regardeur devient regardé

À la galerie Missionart, immersion dans l’univers particulier de l’illusion à travers les œuvres de l’artiste syrien, aussi singulières par leur étrangeté ou leur poésie. Les créatures sur toile investissent l’espace dans un rapport de réciprocité avec le spectateur qui ne peut s’empêcher de se poser la question : « De nous deux, qui regarde qui ? »

Kamiran Khalil, quand le regardeur devient regardé

L’artiste devant ses créatures étranges et mystérieuses. Photo DR

Après la galerie Khawatem en 2015, « Illusion » est la deuxième exposition en solo à Beyrouth que Kamiran Khalil présente à la galerie Missionart.

Plus qu’un simple accrochage statique composé de toiles suspendues aux cimaises de la galerie, c’est un voyage interstellaire où traverser l’espace, c’est pénétrer une autre dimension, où le parcours soumet l’œil et l’esprit à de surprenants échos à la limite de la science-fiction. On évolue dans un monde extraordinaire et on se laisse prendre. Oui, Kamiran Khalil nous surprend visuellement et nous happe dans son monde très particulier, comme si l’artiste était au service de quelque chose de plus grand que lui. « Je suis dans un dialogue permanent avec mes peintures, soutient l’artiste et mes personnages me confient souvent : “Nous sommes une illusion mon ami.” » Et Khalil d’ajouter : « L’illusion serait-elle la création d’une nouvelle réalité, un des niveaux de la conscience de l’homme qui plongerait notre réalité dans le flou absolu ? Serions-nous, entraînés par le rythme effréné de la vie moderne, contraints de nous créer des mondes parallèles à travers l’illusion ? » Et voilà le conflit existentiel qui rejaillit dans la façon qu’a l’artiste de laisser son art s’exprimer.

Qui sont ces personnages qui habitent les toiles de Kamiran Khalil ? Photo DR

D’un monde violent à celui imaginé

Né à Alep, en Syrie, en 1986, Kamiran Khalil a passé son enfance à dessiner, sur les murs, sur les cahiers de ses frères et sœurs, sur le pupitre et les sièges de la classe. « J’étais reconnu comme étant l’artiste de l’école et mes copains me sollicitaient pour leur faire leur portrait. » Dans sa famille, nombreux sont les artistes, et ses parents, voyant le talent incontestable de Kamiran, l’ont toujours encouragé sur cette voie, non sans lui rappeler que le chemin de l’artiste est un chemin ardu et difficile. Il avoue avoir toujours eu un univers particulier dans lequel il aimait naviguer et se perdre. C’était un enfant rêveur qui avait besoin de ses moments de solitude, qui se préoccupait de l’astrologie, de l’étude des planètes et du système solaire, et qui passait ses heures de loisir à effeuiller les magazines de sciences. En 2009, il est diplômé de l’Académie des arts de Damas. En 2011, Kamiran Khalil est honoré d’une première exposition personnelle au célèbre Art House de Damas, suivie en 2015 d’une deuxième exposition personnelle à la galerie Khawatem à Beyrouth. Installé à Berlin, il obtient en 2017 son master en beaux-arts à l’Université des Beaux-Arts, UdK et vit depuis lors dans la capitale allemande. Kamiran Khalil a été représenté à plusieurs reprises dans des expositions collectives en Suède, mais aussi à Alep, Bahreïn, Berlin et encore à Damas et Beyrouth.

Qui sont ces personnages qui habitent les toiles de Kamiran Khalil ? Photo DR

Étrangeté et poésie

L’artiste a longtemps réfléchi ce monde dans sa tête et dans son imaginaire. Et de se poser la question sans toutefois pouvoir y répondre : « Est-ce un monde intermédiaire entre la vie et la mort ou un monde parallèle où vit une communauté inconnue des terrestres ? » Il est certain, dit-il, que l’approche demeure très philosophique et peut se modifier avec le temps ou simplement ne plus exister. Ce qui est sûr, c’est que la religion n’intervient pas dans ma vision des choses, ce n’est ni le paradis promis ni l’au-delà, ni même l’entre-deux-mondes. À travers l’exposition « Illusion », il avoue avoir matérialisé ses idées et construit ce monde qu’il avait imaginé. Les personnages sont debout et nous regardent, comme si pour eux nous étions le monde illusoire. C’est en fait un rapport de réciprocité. Entre le regardant et le regardé. Les figures, bien que traitées avec des couleurs loin de la réalité (des bleus, des verts futuristes), demeurent d’un hyperréalisme bluffant. La maîtrise de l’expression avec une précision étonnante fait oublier la nature bidimensionnelle de la surface peinte.

Lire aussi

Entrez dans la cité des femmes de Kareen Abdelnour

Leur visage est saisissant de réalisme et quand bien même les yeux fermés, ces créatures semblent dotées d’un pouvoir hypnotique. Tandis que les corps, aux traits évanescents, restent d’une facture très abstraite. L’artiste explique : « Mes créatures sont aussi en mode de déplacement entre deux mondes et interrogent finement le spectateur sur sa perception d’un éventuel autre monde. » Certains des visiteurs, confie l’artiste, ont avoué avoir ressenti le besoin de sortir de la salle pour y pénétrer à nouveau, tant l’énergie de la pièce était présente. L’art de Kamiran met en lumière l’étrange et l’intrigant plutôt que le beau.

Ses œuvres combinent des éléments surréalistes dans un style inspiré de la science-fiction. Son trait brillant est si lisse qu’on pourrait croire que ses peintures semblent d’abord avoir été élaborées avec beaucoup de patience ensuite réalisées à l’aérographe.

Le personnage debout penchant sa tête à l’arrière contre un miroir a été pensé en période de Covid et de confinement. « Une période où chacun de nous, précise l’artiste, était seul avec lui-même, avec pour unique compagnie sa réflexion dans le miroir, et le vide de la toile est celui avec lequel la population mondiale a cohabité. Tandis que celui à coté essaye de sortir de ce monde. » Pour un autre meilleur ? Une expo qui propose de nous aider à nous poser les bonnes questions, à réfléchir en amont pour bâtir nos fictions et à s’écarter du canevas. Une expo qui peut déranger, surprendre ou faire rêver, mais qui ne trompe pas sur la qualité. Et quant à la question : « Pourquoi vos personnages ne sourient-ils pas ? » l’artiste répond : « Ils nous regardent et voient notre monde s’effondrer, ils sont tristes, trop tristes pour nous… ».

« Illusion » de Kamiran Khalil à la galerie Missionart, Mar Mikhaël, rue d’Arménie, jusqu’au 23 septembre 2022

Après la galerie Khawatem en 2015, « Illusion » est la deuxième exposition en solo à Beyrouth que Kamiran Khalil présente à la galerie Missionart.Plus qu’un simple accrochage statique composé de toiles suspendues aux cimaises de la galerie, c’est un voyage interstellaire où traverser l’espace, c’est pénétrer une autre dimension, où le parcours soumet l’œil et...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut