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Moyen-Orient - Entretien express

« Une normalisation entre Erdogan et Assad changerait la dynamique en faveur de la Russie »

Anna Borshchevskaya, spécialiste de la politique russe au Moyen-Orient au sein du Washington Institute, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

« Une normalisation entre Erdogan et Assad changerait la dynamique en faveur de la Russie »

Le président syrien Bachar el-Assad (à g.) aux côtés de son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’un meeting à Istanbul, en juin 2010. Osman Orsal/AFP

Près d’un mois après l’apparition de signes laissant penser que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, pourrait reprendre langue avec son ennemi de longue date Bachar el-Assad, le rapprochement entre les deux puissances se serait accéléré sous l’impulsion de Moscou. Au cours des dernières semaines, de multiples réunions se seraient ainsi tenues à Damas entre le chef des services de renseignements turcs et son homologue syrien, selon quatre sources proches du dossier interrogées par Reuters sous le couvert de l’anonymat. La dernière rencontre aurait eu lieu pas plus tard que cette semaine, selon l’une de ces sources, proche de Damas. Des développements qui auraient été impensables il y a encore quelques années, alors que le pouvoir turc s’est érigé en principal soutien de l’opposition au régime syrien depuis le déclenchement en 2011 du soulèvement populaire anti-Assad. Dès 2011, Ankara accueillait ainsi des millions de réfugiés syriens tout en parrainant des forces rebelles dans le nord du pays voisin. Mais alors que le ressentiment antisyrien s’est accru en Turquie et que la quasi-totalité des partis politiques d’opposition ont promis de les renvoyer dans leur pays, le reïs semble contraint de revoir sa politique d’accueil, à moins d’un an des élections générales fixées en juin 2023 qui menacent de lui coûter sa réélection.

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Parrain de Damas, Moscou aurait été à l’initiative des récentes réunions rassemblant des officiels turcs et syriens. Concentrant ses efforts sur son invasion de l’Ukraine débutée en février dernier, la Russie a récemment expédié une batterie de son système de défense aérienne S-300 jusqu’ici établie au nord de Damas vers l’un de ses ports situé près de la Crimée, selon Reuters. Un redéploiement qui peut notamment bénéficier à Téhéran – l’autre parrain de Damas – qui aurait occupé au début de l’été des zones situées dans le sud de la Syrie, le long de la frontière avec Israël, dont Moscou se serait en partie retiré. Les efforts récemment fournis par le Kremlin pour rapprocher Ankara et Damas peuvent s’expliquer par la volonté russe de contrebalancer l’influence iranienne en Syrie, suggèrent certains observateurs. Anna Borshchevskaya, spécialiste de la politique russe au Moyen-Orient au sein du Washington Institute, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.

Quel rôle peut avoir joué Moscou dans les rencontres qui auraient récemment rassemblé les chefs des services de renseignements turc et syrien à Damas ?

La Russie a probablement encouragé un rapprochement entre Damas et Ankara, d’autant plus que Moscou continue de subir des pertes en Ukraine. Certes, la dernière fois qu’Erdogan a déclaré qu’Assad devait partir remonte à des années – au début de la guerre civile syrienne, le reïs turc s’est opposé à la position de Poutine sur la Syrie et a exigé le départ d’Assad–, mais il a cessé d’exprimer cette demande après l’intervention russe en Syrie (en 2015). Pourtant, le mois dernier, Erdogan a opéré un changement de position sur Assad lorsqu’il a déclaré qu’il ne pouvait jamais exclure le dialogue et la diplomatie avec Damas. Jamais auparavant Erdogan n’avait laissé entendre qu’il était ouvert à une normalisation des relations avec Assad. Le président turc soutient les rebelles syriens qui combattent le régime de Damas, notamment à Idleb – dernier bastion rebelle (situé dans le Nord-Ouest syrien, NDLR) –, alors que Moscou reste du côté d’Assad, de sorte qu’une normalisation entre Erdogan et Assad changerait la dynamique sur le terrain en Syrie en faveur de la Russie, de l’Iran et d’Assad.

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Le timing suggère que Moscou pourrait être désireux de pousser plus loin cette question, car il doit concentrer son attention et ses ressources sur l’Ukraine mais ne veut pas perdre sa position stratégique en Syrie. C’est également un signe que, malgré les énormes difficultés rencontrées en Ukraine, la Russie conserve un moyen de pression en Syrie pour obtenir le résultat qu’elle souhaite.

Quelles concessions peuvent avoir été mises sur la table à propos de la situation dans le Nord syrien et, plus largement, sur les autres enjeux opposant Ankara à Damas jusqu’à présent ?

Le sort des Kurdes syriens ainsi que le soutien de la Turquie aux rebelles syriens sont à surveiller, en plus de la présence militaire de la Turquie en Syrie. Pour leur part, les Kurdes syriens ont craint par le passé qu’un rapprochement entre Erdogan et Damas n’entraîne la perte de leur autonomie de facto. L’impact sur la politique intérieure turque est également à scruter car, pour Erdogan, la question kurde a des implications nationales et il sera bientôt en campagne électorale. Cela dit, on ne sait pas encore très bien dans quelle mesure chaque partie est réellement intéressée à faire de réelles concessions plutôt qu’un simple spectacle symbolique.

Dans quelle mesure le rôle de Moscou dans ce rapprochement peut s’expliquer par la volonté russe de contrebalancer l’influence iranienne en Syrie ?

Moscou voudra très probablement s’assurer qu’il peut conserver ses intérêts en Syrie à un coût minimal. Il n’est pas clair dans quelle mesure l’Iran a réellement remplacé les positions de la Russie en Syrie à ce stade.

Il y a eu quelques repositionnements tactiques des forces russes, mais ce n’est pas la même chose que de partir. Mais quoi qu’il en soit, Moscou voudra s’assurer que sa position de principal acteur en Syrie reste sécurisée, à un coût minimum.

Près d’un mois après l’apparition de signes laissant penser que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, pourrait reprendre langue avec son ennemi de longue date Bachar el-Assad, le rapprochement entre les deux puissances se serait accéléré sous l’impulsion de Moscou. Au cours des dernières semaines, de multiples réunions se seraient ainsi tenues à Damas entre le chef des services...

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