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Idées - Turquie

L’enjeu électoral de la politique syrienne d’Ankara

L’enjeu électoral de la politique syrienne d’Ankara

Le président turc Recep Tayyip Erdogan. Photo d’archives AFP

La Syrie a été l’un des sujets brûlants du débat politique turc cet été. Après avoir annoncé une nouvelle opération militaire dans le nord de la Syrie, le président turc Recep Tayyip Erdogan n’a pas réussi à faire accepter son plan à ses homologues russe et iranien lors des sommets internationaux successifs. L’armée turque a préféré intensifier ses frappes de drones et de missiles dans la région, où les derniers mois se sont révélés être parmi les plus sanglants de ces dernières années.

En août, le premier anniversaire d’une violente émeute contre une communauté syrienne à Ankara a constitué un autre rappel de la montée des sentiments antiréfugiés en Turquie. Plus récemment, les déclarations d’Erdogan et du ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavuşoglu, semblent avoir ouvert la voie au rapprochement de la Turquie avec le président syrien Bachar el-Assad, après des années d’acrimonie.

Volte-face

Il y a quelques années à peine, le président turc qualifiait pourtant Assad de « terroriste qui a tué près d’un million de ses citoyens ». Le 19 août dernier, le même a déclaré que « la Turquie n’a pas de problème à vaincre ou à ne pas vaincre Assad », avant d’ajouter qu’« il n’y a pas de ressentiment en politique ». Cette volte-face vis-à-vis du régime de Damas ne contredit toutefois pas les principes de la politique syrienne d’Ankara. Elle indique que les dirigeants turcs sont prêts à travailler avec le régime syrien pour atteindre ses objectifs, qui restent la lutte contre le terrorisme et la sécurité des frontières, et non un changement de régime.

Guidé par ces priorités, le gouvernement turc a ordonné quatre opérations militaires en territoire syrien depuis août 2016 et a constamment utilisé son activisme en Syrie pour rallier le pays autour du drapeau et améliorer ses chances électorales. À quelques mois des prochaines élections générales, Ankara calcule qu’il peut tirer des avantages internes en faisant une ouverture au président syrien.

Ce calcul repose sur trois raisons. Premièrement, en montrant sa volonté de s’engager auprès d’Assad, le gouvernement turc vole l’un des arguments de l’opposition. Les dirigeants du Parti républicain du peuple et du Parti du bien ont fait du rétablissement des relations avec Assad l’une de leurs premières mesures une fois au pouvoir, et la coalition d’opposition à six partis discute de l’opportunité d’inclure le dialogue avec Damas dans son manifeste électoral. Une relation plus positive avec le président syrien accélérerait le rapatriement des presque 4 millions de réfugiés vivant en Turquie, soit une promesse électorale clé à un moment où le ressentiment à leur égard est exacerbé par la crise économique.

Deuxièmement, s’il n’est pas certain que l’amélioration des liens avec Damas incitera les Syriens à rentrer chez eux, négocier avec Assad est l’une des rares initiatives que le gouvernement turc peut prendre pour persuader l’électorat qu’il tente de résoudre la crise des réfugiés. D’autres mesures, comme la construction de camps dans les zones du nord de la Syrie sous contrôle turc, ne se sont pas avérées décisives.

Troisièmement, l’ouverture de canaux de dialogue avec le régime syrien donnerait de l’importance à la question kurde dans le débat politique interne. Ankara et Damas ont un intérêt commun à mettre fin à l’indépendance partielle du Rojava (selon l’appellation kurde), une région contrôlée par les Forces démocratiques syriennes (FDS) – un groupe dominé par les Unités de protection du peuple kurde (YPG), qu’Ankara considère comme une excroissance de son ennemi farouche du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Adopter une position dure à l’égard des Kurdes syriens galvaniserait l’électorat nationaliste d’Erdogan, ce qui compliquerait les plans de l’opposition visant à atteindre les Kurdes turcs, un électorat-clé pour la victoire dans les urnes.

Politique moins belliqueuse

Pourtant, toute négociation entre Ankara et Damas achoppera sur la question de savoir qui dirige le nord de la Syrie. Pour modifier le statu quo, il faudrait que la Turquie renonce aux zones qu’elle contrôle, que le régime syrien reprenne les territoires contrôlés par les FDS dans le Nord-Est et que les deux gouvernements parviennent à un nouvel accord de sécurité pour la frontière turco-syrienne.

D’autres obstacles se dressent sur la route d’une grande négociation Erdogan-Assad. Il s’agit notamment de négociations difficiles sur les garanties de retour en toute sécurité des réfugiés. Elles incluent également des discussions sur le sort de l’opposition syrienne armée soutenue par la Turquie. Et, de manière générale, celles sur les grandes lignes d’un nouvel ordre constitutionnel syrien.

Les récentes ouvertures à l’égard d’Assad marquent aussi un pas supplémentaire vers le retour de la Turquie à une politique étrangère moins belliqueuse. Ce changement de cap a été visible sur plusieurs fronts au cours de l’année écoulée, la Turquie ayant resserré ses liens avec Tel-Aviv, Riyad et Abou Dhabi. Les Émirats arabes unis, dont la Turquie a obtenu le soutien économique et financier crucial en février dernier, ont pris la tête des pays arabes appelant à une normalisation avec Damas.

De même, l’ouverture à Assad n’est que le dernier résultat en date du jeu d’équilibre continu entre la Turquie et la Russie, qui est devenu de plus en plus complexe après l’invasion de l’Ukraine par cette dernière. Pour la Russie, le dialogue turco-syrien aura pour avantage de diminuer les chances d’une expansion de l’empreinte militaire turque dans le nord de la Syrie tout en creusant un fossé entre Ankara et ses alliés occidentaux, qui s’opposent à toute réconciliation avec le régime syrien.

Pour la Turquie, le maintien de sa relation avec la Russie apporte des avantages financiers cruciaux dans la situation économique actuelle. Les intérêts respectifs d’Ankara et de Moscou englobent des accords financiers, militaires et énergétiques, ainsi que des règlements géopolitiques en Ukraine, dans le Caucase et en Méditerranée orientale. En fin de compte, le jeu de la Turquie consiste à équilibrer sa position de manière à maximiser les avantages chez elle et améliorer ses chances de survie politique. L’enjeu étant de taille en cette année électorale, la politique syrienne de la Turquie continuera d’être dictée par les intérêts électoraux.

Ce texte est aussi disponible en anglais sur « Diwan », le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Francesco SICCARDI

chercheur principal à Carnegie Europe.

La Syrie a été l’un des sujets brûlants du débat politique turc cet été. Après avoir annoncé une nouvelle opération militaire dans le nord de la Syrie, le président turc Recep Tayyip Erdogan n’a pas réussi à faire accepter son plan à ses homologues russe et iranien lors des sommets internationaux successifs. L’armée turque a préféré intensifier ses frappes de drones et de...

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The implementation of the Adana Agreement concerning the border region between Syria and Turkey will be an important step for the improvement of relations between the two countries. M.Z

ZEDANE Mounir

13 h 32, le 11 septembre 2022

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Commentaires (1)

  • The implementation of the Adana Agreement concerning the border region between Syria and Turkey will be an important step for the improvement of relations between the two countries. M.Z

    ZEDANE Mounir

    13 h 32, le 11 septembre 2022

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