De nouveaux protagonistes potentiels dans les affaires impliquant Riad Salamé ? Le nom de Taha Mikati, le frère du Premier ministre désigné, apparaît ainsi dans une demande d’entraide judiciaire envoyée le 30 juin dernier par le tribunal de première instance du Liechtenstein à la justice libanaise, selon le média en ligne Daraj. La principauté avait déjà confirmé en novembre 2021 avoir ouvert une enquête pour « blanchiment d’argent » en relation avec le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), déjà dans le collimateur de plusieurs juridictions européennes. Contacté par L’Orient-Le Jour, Michael Jehle, le juge en charge du dossier, a confirmé dans une courte réponse écrite avoir envoyé cette demande à la justice libanaise, mais indiqué ne pas pouvoir confirmer si la traduction en arabe publiée par Daraj « correspond à cette demande ». Le service de presse de la BDL n’a pas donné suite à nos questions.
La fuite permet d’apporter des informations inédites sur le contenu du dossier liechtensteinois. Selon le document, l’enquête fait suite à la procédure ouverte par le ministère public suisse visant Riad Salamé et son frère Raja pour suspicion de blanchiment, aggravé de plus de 330 millions de dollars au détriment de la BDL via Forry Associated Ltd., une entreprise détenue par Raja, avec qui la BDL a signé un contrat de courtage. Selon « des informations obtenues via la police allemande », les revenus de Forry sont soupçonnés d’avoir été « transférés et blanchis, en particulier via des investissements immobiliers », notamment par des sociétés luxembourgeoises et allemandes.
Selon le courrier, deux autres entités basées au Liechtenstein sont aussi dans le collimateur de la justice suisse : Crossland Limited et son actionnaire unique, Salamandur Trust reg. La propriété de ces entreprises n’est pas publique, les trusts de la principauté n’étant pas tenus de dévoiler leur actionnariat, mais une enquête de Daraj et de l’OCCRP (Organization Tracking and Transnational Corruption Project) publiée en décembre 2020 a mis en lumière les nombreux indices qui les relient au gouverneur. « Étant donné que Riad Salamé est soupçonné d’avoir détourné jusqu’à 400 millions de dollars (…) il existe donc un soupçon de blanchiment d’argent sur les transactions financières liées à Salamandur et Crossland », lit-on dans le courrier du juge liechtensteinois.
Transferts bancaires
Ce n’est pas la première fois que Crossland attire l’attention : selon l’enquête de Daraj et de l’OCCRP, l’entreprise était enregistrée au Panama sous le nom de Crossland Assets avant son déménagement en 2018 au Liechtenstein. Elle a acheté des actions dans Crossbridge Capital, une société de gestion de patrimoine dans laquelle Nady Salamé, le fils du gouverneur, a été employé, puis les a ensuite vendues à des filiales de Bank Audi en 2016. La transaction supposée entre Bank Audi et une entreprise liée à son régulateur avait soulevé la question d’un possible conflit d’intérêts et de favoritisme, que les principaux intéressés avaient alors nié.
La justice liechtensteinoise s’intéresse plus spécifiquement à des transferts financiers effectués en 2016, en pleines ingénieries financières, par le groupe M1 – détenu par le Premier ministre Nagib Mikati et son frère Taha –, vers Crossland pour un montant de 14 millions de dollars. « C’est la première fois que la justice mentionne des transactions directes entre deux entités liées aux Mikati et à Riad Salamé. En ce qui concerne M1, il s’agit juste d’une demande de renseignements », explique Alia Ibrahim, cofondatrice de Daraj.
Quatre questions sans réponses
Dans son courrier, la justice du Liechtenstein pose quatre questions à son correspondant local. La première concerne les éléments contenus dans la procédure au Liban pour détournement de fonds publics, enrichissement illicite, blanchiment d’argent et évasion fiscale visant Riad et Raja Salamé. Une procédure encore dans les limbes, après les multiples désistements du procureur général près la cour d’appel de Beyrouth Ziad Abou Haïdar, chargé du dossier.
La deuxième demande concerne des informations sur de potentiels transferts bancaires impliquant Salamandur et Crossland. « Si ces deux sociétés ont des comptes au Liban, où si elles ont réalisé des transferts avec le Liban, c’est à la Commission spéciale d’investigation (CSI) de lever le secret bancaire sur demande », explique, sous le couvert de l’anonymat, un avocat qui rappelle que la CSI est présidée par le gouverneur – qui avait affirmé en mai dernier s’être mis à l’écart des dossiers le concernant.
La juge s’interroge ensuite sur l’existence d’un « contrat de mandat daté du 26 janvier 2016 (…) entre SI 2 SA (basée à Genève), affiliée à Riad Salamé, et le groupe M1, qui est affilié à Taha Mikati ». Selon le courrier, c’est sur la base de ce contrat que Taha Mikati aurait transféré un montant de 14 millions de dollars vers Crossland le 15 août 2016. Les raisons derrière le transfert de M1 à SI 2 SA ne sont pas explicitées par la demande d’entraide. Cette société genevoise est par ailleurs citée dans le dossier suisse pour avoir reçu plus de 970 000 francs suisses de Forry. « Dans l’hypothèse où les soupçons pesant sur Riad et Raja Salamé venaient à être confirmés, un élargissement de l’enquête par la justice libanaise et, le cas échéant, étrangère pourrait être décidé pour évaluer le degré et la nature de l’implication du groupe M1 et de Taha Mikati dans les faits et délits incriminés », explique l’avocat.Contacté par L’Orient-Le Jour, le groupe M1 a affirmé via le porte-parole de Nagib Mikati n’avoir « aucun accord avec SI 2 SA ». « Nous n’avons été approchés par aucun officiel ou organisme de réglementation au Liechtenstein ou dans toute autre juridiction en ce qui concerne cette enquête ou toute autre enquête. Le groupe M1 est une société respectueuse de la loi et est à la disposition de tout officiel ou organisme de réglementation pour répondre à leurs questions », ajoute-t-il dans la réponse écrite.La dernière question porte directement sur la stratégie de défense de Riad Salamé : depuis plusieurs mois, le gouverneur n’a cessé de justifier l’origine de sa fortune – qu’il estime à 23 millions de dollars en 1993 – par ses revenus accumulés lorsqu’il était encore banquier d’affaires, qu’il aurait fait ensuite fructifier grâce à des investissements. Le juge de la principauté cherche donc à en savoir plus sur ces éléments, ainsi que sur ceux relatifs à un héritage perçu en 1978 et son salaire à la BDL, afin d’évaluer si son patrimoine peut se justifier raisonnablement aux vues de ces données.
Prochaine étape : « Le procureur général près la Cour de cassation Ghassan Oueidate devra répondre aux questions posées par la justice liechtensteinoise et clarifier l’état d’avancement de l’instruction libanaise. Il devra en outre solliciter la CSI pour lever le secret bancaire – avec tous les risques de conflit d’intérêts que cela implique. Le risque est qu’avec le temps, les juridictions européennes n’arrivent pas à prouver l’infraction source au Liban et que le dossier soit enterré », craint l’avocat précité. Interrogé sur les suites données à sa demande d’entraide, le juge liechtensteinois a affirmé qu’elle était « toujours en attente » de réponse.
commentaires (12)
L'hypocrisie est un phénomène que nous pratiquons tous à des niveaux plus au moins élevés. Mais la somme de toutes les hypocrisies du monde n'arrivent même pas jusqu'à la cheville des banques étrangères, qui dénoncent à présent Monsieur Salamé, et nous la jouent - réveil tardif - "pardon l'on savait pas avant aujourd'hui". Ya haram, qu'est-ce qu'elles sont honnêtes !!!. J'invite l'OLJ à poser la question à la justice liechtensteinoise pour savoir qu'est-ce qu'elles risquent les banques qui ont accepté les comptes et les fonds? Je pense que la réponse sera "RIEN".
Céleste
14 h 43, le 10 septembre 2022