Ce qui semblait une boutade lancée mercredi par le Premier ministre désigné après son énième entretien avec le chef de l’État reflète aujourd’hui une conviction de plus en plus ancrée chez les milieux proches de Baabda. Nagib Mikati avait lancé aux journalistes : « Nous ne pourrons pas publier les décrets relatifs au gouvernement aujourd’hui, parce que le président de la Chambre est occupé par la cérémonie à l’occasion de la disparition de l’imam Moussa Sadr. » Les journalistes ont alors cru que les négociations avaient avancé et que le Liban était à la veille de la formation d’un nouveau cabinet. Mais hier, il est apparu que les négociations n’ont pas avancé d’un iota et, selon les proches de Baabda, le véritable obstacle viendrait du président de la Chambre lui-même. Le Premier ministre lui-même ayant mis l’accent sur le rôle de Nabih Berry...
Dans son discours de mercredi après-midi, ce dernier a d’ailleurs clairement exprimé son opposition à la formation d’un gouvernement de 30 ministres, c’est-à-dire au rajout de 6 ministres dits politiques aux 24 actuels, selon la proposition du chef de l’État. Selon des sources concordantes, ce serait sur ce point précis que butent actuellement les discussions. Cela pourrait paraître un point secondaire, surtout en cette période particulièrement délicate dans la vie du pays, mais il résume l’ampleur du fossé entre les différents protagonistes.
Il ne s’agit donc nullement d’une question de forme, mais de fond. L’idée directrice est la suivante : à mesure que le spectre d’une vacance présidentielle se précise, il devient nécessaire de doter le pays d’un gouvernement de pleine fonction, capable de gérer cette période de vide présidentiel en cette période sensible. Les milieux proches de Baabda rappellent à ce sujet que, depuis Taëf, la grande majorité des gouvernements qui se sont succédé étaient formés de 30 ministres, selon le même schéma : 24 portefeuilles et six ministres dits politiques. Taëf a en effet retiré des prérogatives au chef de l’État pour les donner au Conseil des ministres réuni, d’où la nécessité d’avoir au sein du gouvernement une représentation politique et confessionnelle équitable pour qu’aucune des parties ne se sente lésée au sein de l’exécutif. D’ailleurs, un des plus farouches défenseurs de la nécessité d’avoir des ministres ayant une représentation politique, c’était bien le président de la Chambre lui-même qui pendant des années s’était opposé à l’idée d’un gouvernement de technocrates. De fait, dans les deux gouvernements en principe formés de technocrates, (celui de Hassane Diab, puis celui de Nagib Mikati), Nabih Berry avait insisté pour désigner des ministres « politiques ».
Pourquoi dans ce cas changer d’avis maintenant, alors que la crise actuelle est particulièrement difficile et exige la prise de décisions cruciales ? Ce que peuvent difficilement réaliser des ministres technocrates... Toujours selon les milieux proches de Baabda, dans le cas des gouvernements majoritairement formés de technocrates, les ministres passent leur temps à chercher à contacter les parties politiques qui les ont nommés pour obtenir leur avis sur tel ou tel autre dossier. Pourquoi dans ce cas ne pas gagner du temps, en incluant les parties politiques directement au sein du gouvernement ?
Pour ces mêmes milieux, le rejet de toute idée d’ajouter six ministres politiques aux 24 existants est incompréhensible. Surtout que le Liban est désormais doté d’un nouveau Parlement à la composition complexe et avec des groupes parlementaires décidés à s’exprimer et à prendre des positions. Alors que dans les précédents Parlements, la décision était entre les mains de trois ou 4 groupes. Si leurs chefs s’entendaient, les décisions étaient prises et s’ils n’étaient pas d’accord, le projet était oublié. Aujourd’hui, face à ce Parlement où il n’y a ni majorité claire ni alliances tranchées, le gouvernement devrait avoir une assise politique solide pour pouvoir affronter les éventuelles attaques dont il fera l’objet lors des débats parlementaires. Enfin, les prérogatives du chef de l’État sont-elles, aux yeux du président de la Chambre et du président du Conseil, si dérisoires qu’elles ne méritent pas un rajout de six ministres politiques pour permettre au gouvernement de prendre les rênes du pays en période de vacance présidentielle ?
Selon des sources proches de Baabda, ces questions ont été évoquées lors de la dernière rencontre entre Michel Aoun et Nagib Mikati et ce dernier aurait répondu que le pays ne supporterait pas à l’heure actuelle une équipe élargie avec les zizanies habituelles. Il préférerait donc continuer à présider un gouvernement comme l’actuel qui fonctionne grosso modo comme une équipe relativement homogène, malgré les récentes dissonances du ministre des Déplacés Issam Charafeddine. Au cours de cet entretien, aucun progrès dans les discussions n’aurait donc été enregistré et Baabda avait l’impression qu’il y avait une sorte de coordination entre Nabih Berry et Nagib Mikati.
La réponse du président de la Chambre est toutefois arrivée clairement le lendemain dans le discours qu’il a prononcé. Le bras de fer oppose donc désormais Aoun d’un côté, Berry et Mikati de l’autre. Pour les milieux proches de Baabda, les deux derniers voudraient tenir les rênes du pouvoir pendant la période à venir à travers l’exécutif et le législatif, pour faire passer les décisions qu’ils veulent. Par contre, pour les milieux proches des deux hommes, Michel Aoun ne songe qu’à maintenir son influence au sein du gouvernement pour conserver une place de choix au CPL et à son chef Gebran Bassil. Il voudrait donc d’une certaine manière maintenir son influence sur l’exécutif, même après la fin de son mandat.
Les deux camps restent ainsi sur leurs positions et rien n’indique pour l’instant qu’une entente est en vue. Mais à mesure que l’échéance du 31 octobre se rapproche, avec le spectre de la vacance présidentielle, le débat sur la possibilité pour un gouvernement démissionnaire de prendre les rênes du pouvoir devrait s’envenimer. Ce qui pourrait pousser les parties concernées à trouver un accord in extremis au sujet du cabinet...
commentaires (9)
Arrêtez de distraire les gens journalistes dépendants !
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11 h 59, le 05 septembre 2022