Une pure coïncidence ? Peut-être. Mais la symbolique est bien là. Le président de la Chambre, Nabih Berry, a choisi de sortir d’un long silence politique le 31 août, à la veille du début du délai constitutionnel pour élire un successeur au président Michel Aoun, dont le mandat expire le 31 octobre. Cette fois-ci, M. Berry n’a pas tiré un lapin de son chapeau afin de faciliter la tenue de la présidentielle. Il a surtout défini les lignes rouges que ses adversaires politiques, à savoir le président et son gendre Gebran Bassil, ne devraient pas selon lui franchir. Il a également critiqué le camp aouniste tant sur la crise gouvernementale que sur le tracé de la frontière maritime, un dossier dont il se considère le parrain.
Pour la 44ème commémoration de la disparition du fondateur du mouvement Amal, l’imam Moussa Sadr, le chef du législatif a prononcé un long discours devant un parterre de personnalités politiques et une foule de partisans lors d’un rassemblement à Tyr, fief incontestable du mouvement Amal. Outre le panorama politique qu’il a l’habitude de dresser lors de ce rendez-vous annuel, Nabih Berry a pris soin de consacrer une bonne partie de son discours à envoyer des messages directs à Baabda et ses satellites. « Il est interdit de manipuler la Constitution pour répondre aux ambitions de certains candidats », a lancé le président du Parlement, dans une pique à Gebran Bassil, accusé de vouloir succéder à son beau-père. Nabih Berry a, dans ce contexte, insisté sur l’importance de respecter le calendrier constitutionnel et de tenir l’élection dans les délais, mettant en relief le rôle du Parlement, « représentant du peuple ». Mais il reste que Nabih Berry a pris soin de ne pas donner une date précise pour la convocation de la Chambre à la première séance consacrée à l’élection du futur locataire de Baabda. Comprendre que l’entente autour du prochain président n’a toujours pas mûri, et c'est pour cette raison que le chef du législatif s’est montré favorable à « toute rencontre qui pourrait aboutir à un accord ».
Dressant par la suite le profil du président pour lequel sa formation voterait, Nabih Berry a énuméré des caractéristiques dont aucune ne correspond au chef du CPL. « Tout comme il a besoin de l’acceptabilité chrétienne, le président a besoin d’une acceptabilité musulmane et nationale », a lancé Nabih Berry à un Gebran Bassil qui brandit la « représentativité chrétienne » comme condition première à l'élection du successeur de Michel Aoun. « Nous voterons pour celui qui croit en l’arabité du Liban, et pour un candidat rassembleur, et dont l’élection ne serait pas (interprétée comme) un défi à la volonté des Libanais », a-t-il dit. Une façon pour le chef d’Amal de couper l’herbe sous le pied de Gebran Bassil, l’homme politique le plus conspué par le peuple, du moins depuis le soulèvement populaire de 2019, et qui ne s’est toujours pas officiellement déclaré candidat à la magistrature suprême.
La flèche de Nabih Berry vise également son autre adversaire, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, avec qui les rapports se sont complètement détériorés depuis les affrontements d’octobre 2021 à Tayouné entre des miliciens armés d’Amal et des éléments chrétiens présumés proches des FL. Là aussi, Nabih Berry barre la voie de Baabda au leader de Meerab mais aussi à sa vision, en s’opposant à l’élection du « président de défi » au camp du Hezbollah, prôné par le leader chrétien.
Le gouvernement
En attendant que l'horizon s'éclaircisse au niveau de la présidentielle, Nabih Berry a les yeux rivés sur le gouvernement. Car la formation d'un cabinet de pleins pouvoirs ôterait tout prétexte au camp aouniste pour un maintien de Michel Aoun à Baabda au-delà du 31 octobre. Après avoir exercé des pressions sur le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, pour relancer le processus gouvernemental après un long gel, le président de la Chambre s’est dit prêt à « collaborer pour faciliter la formation d’un cabinet qui puisse faire face aux défis qui guettent le pays ». Il a toutefois, là aussi, tracé les lignes rouges. Il a ainsi critiqué l’option appuyée par la présidence qui consiste à incorporer six figures politiques à l’équipe sortante pour lui donner un cachet politique. « Nous ne voulons pas réitérer l’expérience Salam où chaque ministre est devenu président », a-t-il dit en référence à la période 2014-2016. Le cabinet alors dirigé par Tammam Salam avait exercé les prérogatives du chef de l’État de la fin du mandat de Michel Sleiman jusqu'à l’élection de Michel Aoun. En réponse aux menaces aounistes de ne pas permettre au cabinet sortant de Nagib Mikati d'assumer les fonctions du chef de l'État, Nabih Berry a mis les points sur les « i », en bon maître du perchoir. Il s’est opposé aux interprétations erronées de la Constitution, rappelant que cette tâche relève exclusivement de la compétence de la Chambre. Dans une interview accordée mardi au quotidien pro-Hezbollah al-Akhbar, le leader du CPL n’a pas exclu le maintien du président au palais ou encore de presser pour retirer au milliardaire sunnite son statut de Premier ministre désigné.
Ce dernier semble déterminé à éviter de polémiquer davantage avec M. Bassil et continue de faire des efforts d'ouverture en direction de Baabda. Mercredi, il s’est de nouveau réuni avec le président Aoun, une semaine après leur dernier entretien. A en croire les milieux de la présidence contactés par L’OLJ, la rencontre n’a permis aucune percée et les points de vue sont toujours divergents. Mais selon les informations obtenues par notre journal, les deux hommes ont examiné une nouvelle fois l’option de la modification de la composition du cabinet sortant. Nagib Mikati se serait de nouveau montré favorable à ce que le chef de l’État nomme deux nouveaux ministres qui remplaceraient Amine Salam (sunnite, relevant du lot de Baabda) à l’Économie et Issam Charafeddine (druze proche du chef du parti démocratique libanais, Talal Arslane) aux Déplacés. C’est alors que M. Aoun se serait prononcé en faveur d’un plus large remaniement. Il aurait ainsi réclamé le remplacement du vice-président du Conseil, Saadé Chami, par l’homme d’affaires Wadih Absi. Pourquoi M. Chami, un vétéran du Fonds monétaire international qui dirige la délégation libanaise négociant un accord avec cette instance pour sortir le pays de la pire crise économique de son histoire ? Fin septembre 2021, Michel Aoun avait tenté de greffer deux de ses conseillers à la délégation libanaise, dans une volonté d’avoir son mot à dire dans un dossier aussi important. Mais sa démarche n’avait pas abouti, Nagib Mikati et Saadé Chami s’y étant opposés.
commentaires (13)
Les Constitutions dans tous les pays du monde sont des textes majeurs, supérieures par rapport à toutes les lois, mais souvent subjectifs. Elles donnent aux législateurs des orientations et répondent à des situations particulières. La vacance de la présidence au Liban n'est pas provoquée par événement exceptionnel (guerre, catastrophe naturel, etc.) pour aller interpréter la Constitution. Le Parlement devrait convoquer chaque semaine les députés pour essayer d'élire un président et continuer inlassablement à le faire. Qui nous dit que dans le secret des bulletins de vote un sursaut de patriotisme ne prendrait pas le dessus sur les divisions des partis politiques? et qu'un président soit élu contre toute attente. Je pense que tous les candidats doivent se déclarer le plutôt possible pour qu'ils/elles ne soient pas accusés plus tard d'avoir contribué à retarder l'échéance. Le Président Berry ne doit pas anticiper que le Corum ne sera pas atteint, il doit essayer, essayer et essayer. A l'époque de l'élection du président Chéhab d'après un consensus, Raymond Eddé s'est présenté aussi, malgré son soutien du général, pour que l'élection ne soit pas considérée comme une désignation.
Céleste
10 h 19, le 02 septembre 2022