Le 31 octobre prochain, dans deux mois exactement, l’un des piliers du régime bancal qui a achevé le Liban devra se résigner à quitter son poste. Tel qu’on le connaît, il aurait tout fait pour remettre le couvert si son âge le lui avait permis, lui qui n’a jamais hésité à paralyser les institutions – et par-delà, la vie quotidienne des gens – pour obtenir ce que bon lui semble. Mais il semblerait disposé à prendre enfin sa retraite après avoir incarné la pire présidence que le Liban ait connue. Certes, il n’est pas seul, parmi les dinosaures qui gouvernent directement ou indirectement ce pays depuis les années 1980, à instiller son poison dans l’irrespirable cloaque de la scène politique. Mais il s’appelle Michel Aoun. En lui, tant de citoyens ont mis leur fierté et leurs espoirs. Il a dit à ses adulateurs qu’ils étaient un peuple formidable. Ils avaient besoin de l’entendre. Ils l’ont ovationné avant d’être sommés à plusieurs reprises de la boucler. Il s’est posé en fédérateur, mais ses faits d’armes se sont résumés à jouer l’alliance avec le Hezbollah contre les sunnites, l’Iran et la Syrie contre l’Arabie saoudite et le Golfe ; à s’entourer d’une claque grossière et inculte qui a achevé de ruiner son image et celle de son parti ; à entretenir un vocabulaire ordurier et une attitude de soudard ; à cultiver le népotisme avec une navrante complaisance ; à jouer les illusionnistes en promettant aux crève-la-faim que nous sommes devenus sous son ère des richesses gazières qui ne sont pas près de voir le jour ; à lancer une chasse aux sorcières selon le principe que « tous sont corrompus » sauf ses proches. Il a aussi prétendu restituer à la fonction présidentielle ce que la Constitution de Taëf lui a retiré dans l’objectif de rééquilibrer les pouvoirs entre les différentes communautés, au lendemain des guerres internes donquichottesques par lui menées et qui ne se sont arrêtées que faute de combattants, dont lui-même.
On ne tire pas sur une ambulance. Ses défenseurs continueront à soutenir qu’il a été victime d’une machination, qu’on ne l’a pas laissé faire, qu’on a mené contre lui des guerres incessantes et que, malgré son grand âge, il a réussi à rester en place. Pour ses détracteurs, en admettant tout ce qui précède, rester en place, avec toutes les tragédies qu’a traversées le Liban depuis son accession à la présidence, n’est pas une victoire, ou alors à la Pyrrhus, dans le genre de celle du Hezbollah contre Israël en 2006. Quitter ce fauteuil la tête haute, en sachant que cette rentrée aura été l’une des plus difficiles que le Liban ait connues, relève tout simplement du déni. N’avoir gardé à ce pays aucun ami relève de l’imprévoyance en ces temps où le monde entier est ébranlé par la guerre en Ukraine. Il ne s’agissait pas, à son niveau de responsabilité, de rendre coup pour coup, mais d’anticiper les catastrophes et de voir venir les crises. Or, dès l’été 2019, ce sont des incendies ravageurs qui ont déclenché les révoltes en l’absence de gardes forestiers dont il avait rejeté la désignation au prétexte de la parité confessionnelle. Et tout à l’avenant, alors que tout le monde voyait venir l’effondrement monétaire dès le moment où les grands déposants retireraient leurs avoirs par manque de confiance, aucune mesure de prévention n’a été prise pour arrêter l’hémorragie. Ce n’est peut-être pas le rôle d’un président de la République d’intervenir dans ces domaines, mais il était de sa responsabilité de mener des politiques extérieures salvatrices au lieu de se confiner dans des partis pris étriqués, relayés par les ministres et députés de son propre camp.
Au final, les aounistes ont beau former des vœux pour que « l’histoire rende justice à Michel Aoun », l’histoire ne retiendra de lui que le souvenir d’un dirigeant obtus, sous le mandat duquel les Libanais auront connu la pauvreté la plus noire, le manque, l’épuisement et la faim, la dangereuse obsolescence d’infrastructures confiées à des entrepreneurs véreux, l’absence d’eau et d’électricité, et où les jeunes qui le pouvaient auront émigré en masse. Peut-être pire que tout le reste aura été sa manifeste absence d’empathie lors de la monstrueuse double explosion du 4 août ou alors la lâcheté qui l’aura empêché de se déplacer au chevet des habitants éprouvés, endeuillés, de Beyrouth qui lui en garderont rancune sur plusieurs générations.
Bien pathétiques seront, à cet égard, les festivités orange prévues pour accompagner sa sortie du palais de Baabda. Pour quels bienfaits voudra-t-on ce jour-là le remercier, on se le demande.
commentaires (16)
Merci chére Madame pour cette analyse complète et objective de ce triste panorama que le "père de tous et le régime fort" ont offert au peuple libanais pendant six ans... La misère, la pauvreté, la corruption, le mensonge, la mort de tous les valeurs, le délitement de l'entité libanaise, l'anéantissement de son identité, le vol de sa souveraineté nationale
Salim Dahdah
12 h 27, le 13 septembre 2022