Depuis la maison de ses parents dans la région de Dbayé (Metn), Fady n’a besoin que de son ordinateur et d’une bonne connexion internet pour travailler. Employé depuis neuf mois en tant que développeur de logiciels pour une compagnie américaine dont il préfère taire le nom, ce Libanais de 22 ans admet faire partie des chanceux qui, en ces temps de crise au pays du Cèdre, perçoivent la totalité de leur salaire en « dollars frais ». Ces devises qu’il reçoit en espèces lui permettent de vivre sa vie « sans restrictions ». « Mais je fais attention à ne pas dépenser plus que je ne devrais », précise-t-il. Son salaire de 1 400 dollars par mois vaut aujourd’hui 44,8 millions de livres libanaises, au taux du marché évalué dernièrement à 32 000 livres, et contre un équivalent d’avant-crise fixé à 2,1 millions de livres selon la parité officielle de 1 507,5 livres le dollar. Un salaire en livres qui a donc été multiplié par plus de vingt, la monnaie nationale ayant perdu plus de 95 % de sa valeur depuis le début de la crise, il y a trois ans. « J’ai la chance d’avoir entamé mon parcours sur le marché de l’emploi avec un tel salaire », reconnaît celui qui est sorti diplômé de l’Université libanaise en juin 2021. Et ce « qu’il y ait crise ou non au Liban ».
En vivant toujours chez ses parents, Fady arrive à économiser un peu moins de la moitié de son salaire. S’il participe activement aux frais de la maison, « rien n’est défini, tout dépend des besoins », explique-t-il. Le mois dernier, il a néanmoins décidé de calculer son budget mensuel. « Certes, mon salaire est plus que suffisant pour vivre au Liban mais, la crise se transformant au fil du temps, tout devient plus onéreux car la société “se redollarise”. » Autrement dit, les coûts se raccrochent de plus en plus à la valeur réelle du dollar.
Ainsi, Fady a évalué ses dépenses comme suit : 6,4 millions de livres pour les frais ménagers ; 2 millions de livres pour les courses alimentaires ; 2 millions de livres également pour diverses factures incluant la connexion internet et sa téléphonie mobile ; 400 000 livres pour son abonnement à la gym ; 3 millions de livres pour diverses activités de loisirs et 2,5 millions de livres pour des livraisons de repas. Le jeune salarié possède également une voiture, dont il ne paie pas l’assurance, et a dépensé 2,3 millions pour l’essence le mois dernier. « J’ai eu un aller-retour exceptionnel de six heures. Normalement, je dépense moins en transport », précise-t-il. Un total des dépenses atteignant ce mois-là 18,6 millions, soit 41,5 % de son salaire.
Ici ou là-bas
Si Fady vit donc bien, « percevoir des dollars frais ne signifie pas pour autant rester en dehors de la crise », souligne-t-il. Les files d’attente aux stations-service l’été dernier lors des pénuries de carburant dans le pays, Fady les a vécues. La pénurie de médicaments aussi. « Nous avons fait des pieds et des mains pour trouver les médicaments contre le cancer de ma tante », raconte-t-il. « Personne, dollars ou pas, n’échappe aux effets de la crise. » D’ailleurs, pour mener à bien son travail qu’il effectue donc à distance de 9 heures à 18 heures chaque jour, il a dû installer des batteries pour assurer l’approvisionnement en électricité. Avec le rationnement extrême de l’électricité publique et l’instabilité des générateurs, « nous avons également commencé à explorer l’idée d’installer des panneaux solaires, mais nous n’en sommes encore qu’au premier stade de réflexion ».
S’adapter à la crise est ainsi devenu une mission quotidienne pour Fady, à l’instar de tous les résidents du Liban. Une mission qui n’est ni impossible ni sans conséquences. « Avant la crise, jamais je ne me serais imaginé vivre autre part que dans mon pays. Aujourd’hui, quand je me projette, je me vois partout sauf ici », dit-il à regret. Grâce à son emploi actuel, Fady pourrait se relocaliser aux États-Unis ou en Europe, au sein des bureaux de sa compagnie. Mais « là-bas, c’est évident qu’un tel salaire ne suffirait pas pour vivre correctement et faire des économies, contrairement à ici ». Alors, Fady attend de voir les choses venir. Et puis, l’ambitieux jeune homme mijote un projet : créer et développer sa propre application. Ici ou là-bas, seul l’avenir lui dira.
*Le prénom a été modifié
Je comprend Fadi! Dans son boulot il doit suivre le courant... électrique
01 h 25, le 30 août 2022