Dans sa clinique privée, située à Zalka, à l’entrée nord de Beyrouth, Marc* accueille chaque jour, de 8h à 18h, une bonne dizaine de patients venus soigner leurs dents et essayer, par la même occasion, de retrouver un sourire trop souvent effacé par l’effondrement financier que vit le Liban depuis trois ans.
Est-ce urgent ? Faut-il payer en dollars ou en livres libanaises ? Y a-t-il une alternative moins coûteuse ? « Ces questions reviennent comme un leitmotiv et ponctuent mes journées de travail. Elles proviennent aussi bien de personnes démunies que d’autres jadis aisées que la crise a plongées sous le seuil de pauvreté », constate le dentiste de 28 ans, qui exerce depuis six ans. S’il estime être aujourd’hui « plus favorisé » que la majorité des Libanais, son revenu mensuel n’ayant perdu « que » 20 % de sa valeur depuis 2019, Marc sait que sa clinique n’aurait pas tenu le coup s’il ne l’avait pas ouverte en 2017, soit deux ans avant le début de la crise.
Un revenu « plus que suffisant »
Implants, greffes de gencive, détartrage... Tarifés en dollars, les soins dentaires qu’il prodigue lui rapportent actuellement 4 000 dollars par mois. Un montant certes inférieur aux 5 000 dollars mensuels qu’il encaissait avant la crise, mais qui reste « plus que suffisant » pour rentabiliser les investissements en équipements de sa clinique, dont l’entretien absorbe 37,5 % de ce qu’il gagne actuellement. Plus que suffisant, aussi, pour ne pas avoir à se priver de quoi que ce soit. Aujourd’hui, Marc parvient en effet à sortir deux fois par semaine, dans un bar, restaurant ou night-club, et arrive même à voyager trois fois par an, avec un budget équivalent à 1 500 dollars par séjour. Pour couronner le tout, le dentiste habite toujours chez ses parents et n’est pas mis à contribution par ces derniers, propriétaires d’un commerce qui a le vent en poupe. Une situation qui lui permet de bien vivre, tout en mettant de côté près de 30 % de ses revenus, un capital qu’il compte investir dans l’immobilier.
« Divan pour parler »
Mais s’il vit confortablement et commence déjà à économiser pour ses vieux jours, Marc est totalement conscient de la situation que vit le Liban. L’impact de la crise, il le voit chaque jour, à travers ses patients. « Certaines personnes m’envient peut-être, mais elles ne savent pas que j’ai un pincement au cœur à chaque fois qu’un patient me raconte son quotidien. Quand on est dentiste, on devient aussi confident. Le fauteuil dentaire se transforme en divan pour parler ».
« À ce jour, les murs de mon cabinet abritent mille et une histoires de déception », confie le jeune praticien. « “Je saute le petit déjeuner et le dîner pour pouvoir nourrir mes trois enfants”, m’a confié, un jour, un patient quinquagénaire. Après avoir perdu sa femme, sa voiture et ses dents dans un accident, il enchaîne deux shifts de garde dans un hôtel afin de pouvoir payer la scolarité de ses filles. “Sans dents, je suis la risée de la société, mais je ne peux dépenser mes économies pour poser un implant” », m’avait-il expliqué, en peinant à cacher sa honte. « Comment rester indifférent face à ces cris de détresse ? » raconte Marc, qui lui a offert les soins.
Aujourd’hui, le dentiste se dit lui-même surpris d’avoir pu évoluer aussi bien professionnellement malgré la crise. « Alors, en contrepartie, je me dois d’être là pour mes patients », dit-il, assurant « adapter, autant que possible, ses prix à la situation des uns et des autres ».
*Le prénom a été modifié.
Bravo Marc. En temps de crise c'est humain.
10 h 50, le 27 août 2022