Il y a déjà plus de deux ans, le 1er août 2020, Imad recevait un mail lui signifiant que la banque dans laquelle il travaillait, à l’instar de tout le secteur bancaire libanais plongé dans une crise économique et financière depuis l’été précédent, cherchait à réduire ses effectifs. Tout départ volontaire et anticipé bénéficiait alors d’une compensation. À l’époque, Imad était directeur d’une agence à Chehim, dans le Chouf, après avoir passé 36 ans à gravir les échelons au sein du même établissement.
« Il ne me restait que six mois de travail avant d’atteindre l’âge légal de la retraite. Et leur proposition était intéressante, alors j’ai sauté le pas », raconte-t-il. Car, en plus d’obtenir une indemnisation « juste » qui équivalait à six mois de salaire, lui et sa famille bénéficiaient d’une assurance pour l’année suivante et d’un accès à des avantages normalement réservés aux employés de banque, dont la possibilité de convertir en dollars ces montants au taux de 1 500 livres libanaises pour un dollar, avant de les retirer en livres de nouveau, mais à un taux de change supérieur (3 900 et puis 8 000 livres pour un dollar). De quoi engranger une jolie plus-value.
Ce mécanisme, il l’utilisera justement pour convertir son indemnité de fin service en dollars. En ayant déjà retiré une partie après 20 ans de service, comme le permet le code du travail libanais, Imad n’avait alors droit qu’à 103 millions de livres libanaises. Si ce montant représentait quelque 68 000 dollars au taux officiel, il n’en vaut aujourd’hui qu’à peine un peu plus de 3 200 (au taux du marché parallèle de plus de 32 000 livres pour un dollar), soit une décote d’environ 95 %. Mais grâce au système dont il bénéficie, Imad a réussi à retirer son argent avec une décote plutôt proche des 75 %.
Contraint de s’adapter à cette nouvelle réalité, le sexagénaire a revu ses habitudes de consommation. Entre l’explosion du coût de l’abonnement à un générateur (entre 1,5 et 2 millions de livres par mois), le remboursement d’un prêt pour la scolarisation de son benjamin (1,6 million de livres par mois) ou les récentes augmentations des factures de téléphone (300 000 livres par mois) et d’internet (350 000 livres par mois) décrétées par le ministère des Télécommunications, les dépenses mensuelles sont de plus en plus lourdes. « Heureusement que ma femme assure un revenu grâce à son emploi à temps partiel de comptable », indique-t-il. Le problème, aussi, c’est que, dans le contexte mouvant de la crise, il n’arrive plus à calculer un budget mensuel exact. Selon lui, les dépenses mensuelles du foyer avoisinent désormais les 10 à 11 millions de livres.
Pour s’adapter, tout y passe : annulation des assurances santé et auto, réduction des déplacements ou encore baisse des quantités de nourriture achetées. « Nous avions l’habitude de faire un barbecue chez nous chaque dimanche par exemple. Cela est désormais hors de question. Nous ne pouvons nous le permettre qu’à peine une fois par mois. Et encore, nous avons réduit la quantité de nourriture préparée », continue Imad. En revanche, « il n’est pas question de lésiner sur les médicaments et surtout pas ceux pour l’hypertension artérielle. Mon père, n’ayant pas bien été suivi, est décédé de ses conséquences. Je ne vais pas refaire cette même erreur ».
Des économies, des antiquités et des terrains
Compte tenu de cette dépréciation et de l’inflation, il est conscient que cette enveloppe ne lui permettra pas de tenir longtemps. « Chaque sou compte », lance-t-il, mais « grâce à Dieu, notre situation est bien meilleure que celle d’une grande majorité de Libanais ».
Pour arrondir les fins de mois, l’ancien banquier compte aussi sur un mécanisme d’arbitrage légal et limité grâce auquel il peut convertir chaque mois un certain montant de livres libanaises en dollars en banque au taux de Sayrafa puis revendre ces devises sur le marché parallèle à un taux plus élevé. « Ce genre d’opération nous permet depuis quelques mois de profiter de quelque deux millions de livres supplémentaires en fonction de l’écart entre les deux taux », précise-t-il. « Notre situation est bien meilleure que celle d’autres Libanais, que Dieu soit loué », répète le retraité.
Imad peut également compter sur 25 000 dollars d’économies accumulées au cours de sa carrière et bien gardées chez lui. Passionné d’antiquités, il dit aussi être prêt à vendre une partie, voire l’intégralité, de sa collection si nécessaire. Et puis, « s’il le faut, je vendrai une ou plusieurs des trois parcelles de terrains que j’ai achetées pour mes enfants. Mais nous n’en sommes pas encore là », lâche-t-il. Et l’on comprend, à son ton, que ce jour-là est redouté.
commentaires (3)
Ce fléau, malheureusement, impacte plus de quatre vingt pour cent de la population, qui malheureusement, fait montre d'une certaine apathie, le problème avec ces "dirigeants " c'est qu'ils semblent être complètement déconnectés des réalités et des contraintes (financières, particulièrement) de la vie quotidienne : Des technocrates hors-sol. A la veille d'une "élection présidentielle" aucun des candidats n'est en mesure de proposer un programme...qui tiendrait facilement sur un post it... leur seul leitmotiv est de dénoncer et critiquer..l'un infeodė à un pays qui ne nous souhaite que du mal, le deuxième prêt à sacrifier, père et mère, afin d'assouvir son ambition au détriment de son peuple, ayant par ailleurs largement demontrė son incompétence à la tête du ministère de l'énergie et enfin le troisième qui s'abstient systématiquement à toutes les décisions, pourtant cruciales ( présidence au parlement et autres nominations) qui de toutes les façons est irrémédiablement disqualifié en raison des ardoises qu'il traîne... un des trois candidats serait il capable de nous dire, question éliminatoire, à combien se vend un litre d'essence ou le prix d'un paquet de pain ?
C…
07 h 55, le 27 août 2022