« Gebran Bassil est directement responsable du blocage de la formation du gouvernement. » Face au chef du Courant patriotique libre et gendre du président de la République, le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, ne mâche plus ses mots, se rapprochant un peu plus du point de non-retour. C’est ce qui ressort de la virulente guerre de communiqués à laquelle se sont livrés les deux hommes dimanche soir. Résultat : la naissance du gouvernement pourrait être de nouveau retardée, à une dizaine de jours du début du délai constitutionnel pour élire un nouveau président. Une éventualité qui risque de plonger le pays dans l’inconnu à l’ombre d’un cabinet d’expédition des affaires courantes dont la compétence pour gérer le pays en cas de vacance présidentielle ne fait pas l’unanimité.
Le tout dernier round de la querelle entre le Premier ministre désigné et le leader du courant aouniste s’est déclenché à la suite de l’introduction du journal de 20 heures de la chaîne al-Jadeed, dimanche. Selon celle-ci, Gebran Bassil aurait poussé le chef de l’État, Michel Aoun, à rejeter une proposition de M. Mikati, présentée lors du dernier entretien entre les deux hommes, mercredi dernier. Toujours selon la même chaîne, le Premier ministre désigné se serait montré ouvert à ce que le président Aoun puisse remplacer les ministrables auxquels il s’était opposé. Après avoir accepté cette solution, le président se serait toutefois rétracté sous la pression du chef du CPL, poursuit al-Jadeed.
Dans les coulisses politiques…
Loin de la version d’al-Jadeed, L’Orient-Le Jour a appris que Nagib Mikati aurait proposé à Michel Aoun une modification de la composition de l’équipe sortante, lors de leur dernier tête-à-tête. Ces changements consistaient à remplacer Amine Salam (sunnite relevant de la quote-part de M. Aoun) à l’Économie et Issam Charafeddine (druze, proche de Talal Arslane) au ministère des Déplacés, surtout après la polémique suscitée par le déplacement de ce dernier en Syrie où il a évoqué l’épineuse question du retour des réfugiés. Michel Aoun se serait opposé à une telle démarche en arguant du fait qu’elle porterait atteinte à l’équilibre confessionnel et politique au sein du gouvernement. Selon notre correspondante Hoda Chédid, un autre projet de solution serait évoqué dans les coulisses. Il prévoit d’élargir le cabinet sortant de 24 à 30 ministres en y incorporant six ministres d’État. Le but étant de donner à l’équipe ministérielle une coloration politique pour lui permettre de faire face aux grandes échéances, telles que la présidentielle. Une option à laquelle Michel Aoun serait favorable, apprend-on de source proche de Baabda.
De son côté, Gebran Bassil n’a pas tardé à démentir les informations d’al-Jadeed, rejetant les accusations d’ingérence dans le processus gouvernemental. « Ces inventions médiatiques ne serviront pas leur auteur, le Premier ministre désigné », peut-on lire dans un communiqué publié par le bureau de presse du chef du CPL. Ce qui lui a valu une réponse cinglante du bureau de M. Mikati. Le communiqué du CPL fait assumer au milliardaire tripolitain la responsabilité du retard mis à former la nouvelle équipe. « Mais cela changera dès que les protagonistes soutenant le Premier ministre et guidant son action changeront de position », ajoute le communiqué, dans une pique évidente au président de la Chambre, Nabih Berry, grand adversaire du camp aouniste et qui avait contribué, avec le Hezbollah, à la reconduction de Nagib Mikati, en dépit du double veto chrétien du CPL et des Forces libanaises. Selon les informations obtenues par L’Orient-Le Jour, l’initiative de M. Mikati de reprendre le chemin de Baabda après un gel de plusieurs semaines serait en effet le fruit d’un forcing effectué par le chef du législatif qui presserait désormais pour que la future équipe voie le jour avant l’expiration du mandat Aoun, le 31 octobre prochain. Une façon pour lui de faire barrage à un scénario axé sur le maintien de M. Aoun à Baabda après la fin de son sexennat sous prétexte de l’impossibilité pour un cabinet sortant d’exercer les prérogatives du président en cas de vacance au niveau de la magistrature suprême. Une théorie soulevée à plusieurs reprises par des figures aounistes, dont Gebran Bassil lui-même dans une interview accordée il y a quelques semaines à la chaîne al-Manar, organe médiatique du Hezbollah. « Michel Aoun quittera le palais présidentiel le 31 octobre », affirme cependant à L’OLJ un responsable haut placé au sein du parti orange.
Mikati de nouveau à Baabda ?
Ce nouvel échange virulent entre les deux camps contribuera sans doute à « ralentir les efforts déployés à l’heure actuelle pour redynamiser le processus gouvernemental », reconnaît un proche de Baabda contacté par L’OLJ. Il n’exclut toutefois pas la possibilité de voir Nagib Mikati de nouveau au palais présidentiel dans un avenir proche. « D’autant que nous ne sommes pas concernés par la querelle. Celle-ci oppose Nagib Mikati à Gebran Bassil », dit-il, dans une tentative d’établir une nette distinction entre les prises de position de Michel Aoun et celles de son gendre. Même son de cloche du côté du CPL. Dans une déclaration télévisée, Ghassan Atallah, député du Chouf, a affirmé que MM. Aoun et Mikati se réuniront de nouveau « au cours de cette semaine » pour poursuivre leurs discussions au sujet de la mise en place du prochain gouvernement. « Nous ne voulons pas compliquer la tâche au Premier ministre. Mais nous voulons le voir accomplir son devoir », explique le responsable aouniste cité plus haut, assurant que les rapports entre son parti et Nagib Mikati ne sont pas rompus. « Nous lui reprochons son manque de sérieux en matière de formation du gouvernement et nous nous attendons à ce qu’il puisse rectifier le tir », dit-il.
Amal appelle à un « dialogue responsable »
Le bureau politique du mouvement Amal a implicitement critiqué hier l’échange de communiqués virulents entre le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, et le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, datant de la veille, appelant à un « dialogue responsable » entre les parties à l’approche de la présidentielle. « Il est nécessaire de réduire les disputes, les règlements de comptes personnels et les tensions par communiqués interposés, ainsi que les fuites d’informations, à l’approche de l’élection présidentielle qui nécessite un dialogue responsable », a souligné le mouvement Amal dans un communiqué. La formation a également appelé à arrêter de perdre du temps pour empêcher la formation du nouveau gouvernement. « Bien que le temps soit serré, il est possible de parvenir à former un nouveau cabinet si tout le monde fait preuve de bonnes intentions », a-t-elle conclu.
commentaires (6)
Un verre d’eau sûrement pas! Un verre crasseux sûrement!
Samir Tabet
13 h 05, le 23 août 2022