Rien ne va plus entre le CPL et les FL

À une dizaine de jours du début du délai constitutionnel pour élire un successeur à Michel Aoun, la guerre verbale fait rage entre le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, les deux principaux leaders maronites du pays. Une situation qui semble déplaire fortement à Bkerké qui pourrait intervenir, mais pas avant de s’assurer du succès de sa démarche.

Moins d’une semaine après la conférence de presse incendiaire de Samir Geagea, lors de laquelle le chef des FL a brandi l’arme du « défi » face au camp aouniste et au Hezbollah et s’est opposé à tout candidat de consensus, Gebran Bassil a contre-attaqué avec virulence. S’exprimant samedi lors d’un camp pour les jeunes de son parti à Smar Jbeil (Batroun), le chef du CPL s’est adressé aux FL en ces termes : « Votre seul projet est de faire tomber (le président de la République Michel) Aoun, Gebran et le CPL. » « Leur président se veut uniquement un président de “défi” face à Gebran et au CPL », a-t-il encore martelé, accusant le parti de Samir Geagea de n’avoir aucun projet ou programme pour le futur chef de l’État.

Le leader du courant aouniste s’est rapidement attiré les foudres des FL qui lui ont répondu dans un communiqué publié par leur département média. « Le programme des FL est d’édifier l’État que tu as vendu au profit d’un État croupion, en contrepartie d’une poignée de postes », dit le texte en allusion à l’influence grandissante du Hezbollah, allié du CPL, sur le pays. Et la formation de Samir Geagea de rappeler que Gebran Bassil est visé par des sanctions américaines pour « corruption ». Les deux partis se sont par ailleurs querellés une nouvelle fois autour du poids de leurs groupes respectifs au sein de la nouvelle Chambre, dans le but de s’imposer, chacun de son côté, comme le faiseur du successeur de Michel Aoun, dont le mandat arrive à terme le 31 octobre. À Gebran Bassil qui affirme détenir le bloc parlementaire le plus large au Parlement, les FL ont rétorqué que leur groupe compte 19 députés FL « purs et durs », alors que celui du CPL compte 17 aounistes et trois « obtenus en guise de cadeau », dans une allusion à l’apport de voix des alliés du parti orange, à l’instar du Hezbollah et du Tachnag. Ce nouveau round de la querelle entre les deux formations est intervenu au lendemain d’une déclaration de Samir Geagea dans laquelle il s’était félicité du fait qu’« il est désormais possible que le prochain président ne soit pas du 8 Mars ». « Nous considérons que cela représente 50 % de la mission, et l’autre moitié de cette mission consiste à ce que celui qui sera élu président soit capable de faire face, de camper sur ses convictions et de prendre un minimum de positions fermes », a-t-il souligné, sans quoi « rien ne changera ».

Une initiative de Raï ?

Le bras de fer qui n’en finit pas de se corser entre les deux rivaux chrétiens est à analyser à travers le prisme de l’appel lancé il y a une dizaine de jours par Gebran Bassil au patriarche maronite, Béchara Raï, de réunir sous sa houlette les chefs de file chrétiens afin de parvenir à une entente au sujet de la présidentielle. Un appel rejeté en bloc par Meerab, ce qui a provoqué l’ire du chef du CPL. Sauf que dans les milieux des FL, on persiste et signe. « Il n’est pas question de dialoguer avec les aounistes, car les expériences antérieures ne sont pas encourageantes. Tout dialogue politique qui ne s’attaque pas au désarmement du Hezbollah n’a aucun sens », commente Charles Jabbour, porte-parole des FL, contacté par L’Orient-Le Jour. « Notre priorité à l’heure actuelle, c’est d’unifier les opposants autour d’un même candidat », dit-il. En face, César Abi Khalil, député CPL de Aley, assure à L’OLJ que son parti est « ouvert à toute initiative du patriarche Raï ». « Mais nous n’avons pas confiance en Samir Geagea qui nous a poignardés dans le dos par le passé », souligne-t-il, dans une claire référence à la mise en échec, peu après l’arrivée de Michel Aoun à Baabda, de l’entente de Meerab conclue en 2016 entre les deux partis.

Dans les milieux de Bkerké, on déplore cette tension sur la scène chrétienne, qui pourrait pousser le patriarche maronite à convoquer à un dialogue. « Nous n’allons pas nous lancer dans une telle démarche avant de nous assurer que les conditions de son succès sont réunies », précise toutefois à L’OLJ Walid Ghayad, responsable média au patriarcat maronite. Entre-temps, Mgr Raï continue de définir le profil du chef de l’État idéal. Hier dans son homélie, il a plaidé pour « un président qui définisse les frontières intérieures de l’État », dans une critique au Hezbollah. Rejetant l’option d’un président de défi appuyée par M. Geagea, le prélat s’est prononcé pour un chef de l’État « qui ne soit pas le fruit d’un cahier des charges émis par des forces politiques ici ou là », appelant « toutes les parties concernées à lancer une série de contacts afin de s’entendre sur un candidat qui possède ces qualités ».