
Des militaires et des policiers antiémeute déployés devant la Federal Bank à Hamra, lors de la prise d’otage hier. Photo João Sousa
Une sombre affaire a secoué le Liban hier, dans le sillage des restrictions bancaires sur les retraits de dépôts qui durent depuis trois ans. Un client armé, rendu fou par les mesures de sa banque, a retenu des heures durant employés et clients dans la branche de Hamra de la Federal Bank. La prise d’otages n’a pris fin que peu après 18h, après de très longues et âpres négociations.
Le suspect, un client qui réclamait de récupérer son épargne et qui était armé, a été évacué par la police, suite à un accord qui a permis également la libération de tous les employés, sans qu’aucun blessé ne soit signalé. Un incident qui intervient dans un Liban en plein effondrement économique depuis 2019, alors que cette crise se caractérise par des restrictions bancaires aussi drastiques qu’illégales.
Selon des médias locaux, le preneur d’otages, Bassam S.H., a accepté de relâcher les employés et clients qu’il retenait depuis la matinée, après un engagement de la banque à lui reverser une partie du montant total de son épargne. Selon la chaîne LBCI, il pourra toucher 35 000 dollars. Mais rien n’a été confirmé par les officiels en soirée.
Les négociations se sont déroulées dans une ambiance tendue, face à un déploiement policier et militaire massif et alors que des dizaines de personnes s’étaient rassemblées devant la banque en réponse à un appel de l’association « Cri des déposants », en solidarité avec le preneur d’otages.
Tous les otages libérés
Peu avant 18h, le preneur d’otages a accepté de relâcher les clients qui se trouvaient encore dans la banque. Les employés ont ensuite été libérés un à un et évacués dans des véhicules civils de la police. Le suspect a été le dernier à être évacué des lieux dans un fourgon de la police et emmené vers un endroit inconnu. Il n’était toujours pas clair, jeudi soir, s’il serait en état d’arrestation à l’issue de cette affaire, mais selon notre journaliste sur place Mohammad Yassine, Bassam S.H. n’était pas menotté à sa sortie et a salué la foule. La chaîne LBCI rapportait en soirée qu’il a été conduit à un poste de police afin d’être interrogé.
Selon plusieurs médias locaux, le preneur d’otages avait aspergé en début de journée les locaux d’essence en menaçant de tout incendier si les responsables ne lui remettaient pas son épargne de plus de 200 000 dollars.
S’exprimant devant les journalistes présents, le frère du preneur d’otages a affirmé en matinée que celui-ci avait tenté au préalable de retirer son argent à maintes reprises, mais en vain. « Mon frère dispose de 210 000 dollars et veut retirer toute cette somme. Il n’est pas entré armé dans la banque, mais a saisi une arme qui se trouvait sur place. Il porte toutefois de l’essence et est prêt à s’immoler par le feu ou à mettre le feu à la banque si ses revendications ne sont pas satisfaites. (...) Notre père est hospitalisé, et j’ai dû m’endetter pour payer les frais médicaux. »
En milieu d’après-midi, depuis une fenêtre, des militaires sont entrés en contact avec les personnes prises en otage et leur ont donné des bouteilles d’eau.
Des manifestants venus en soutien au preneur d’otage, hier, à Hamra. Photo João Sousa
Appel à la mobilisation
Plus tôt, l’association Cri des déposants avait lancé un appel à la mobilisation en signe de solidarité avec le preneur d’otages. Selon le journaliste de notre publication sœur L’Orient Today sur place Richard Salamé, plusieurs passants et manifestants présents sur les lieux lui ont également exprimé leur soutien en scandant : « Nous sommes tous des déposants ! » La police antiémeute est intervenue. Sur les réseaux sociaux également, la prise d’otages a occupé les internautes, dont la plupart sont des déposants aussi mécontents que le preneur d’otages. Celui-ci a récolté une majorité de commentaires favorables, contre certains qui ont tenté de ramener le débat à plus de rationalité, estimant que telle n’est pas une manière de procéder.
Des avocats de l’Union des déposants se sont également rassemblés en journée devant la Federal Bank en soutien au preneur d’otages. Une porte-parole de l’Union, l’avocate Dina Abou Zour, a déclaré à L’Orient Today que l’association est « généralement contre les personnes qui se font justice par elles-mêmes ». Elle a toutefois dit comprendre ce genre de comportement face à « l’inaction de certaines instances judiciaires ». L’avocate s’est également déclarée « prête à défendre tout déposant qui exerce son droit légal de recouvrer ses droits sans mettre en danger la sécurité d’autrui ».
Elle a ajouté que le preneur d’otages avait signé la circulaire 152 de la Banque du Liban, conformément à laquelle il recevait une allocation mensuelle de 400 dollars, en dollars frais, et 400 dollars au taux de Sayrafa fixé par la banque centrale. Cependant, Bassam S.H. s’est vu refuser ces paiements au cours des deux derniers mois, sans raison claire, selon l’avocate. En plus des besoins médicaux du père du preneur d’otages, le fils de ce dernier a également besoin de soins. Des frais que le déposant n’arrive pas à régler, en plus de remboursements de prêts qu’il avait contractés.
En janvier dernier, un client en colère avait pris en otage des dizaines d’employés et de personnes présentes dans une banque de la Békaa qui refusait de lui verser ses économies en dollar. L’homme, qui avait finalement obtenu gain de cause, s’était rendu aux forces de l’ordre, sans qu’aucune victime ne soit signalée.
Depuis le début de la crise économique au Liban en 2019, les banques ont imposé des restrictions sur les retraits en devise et ont empêché les transferts d’argent à l’étranger. Ces mesures ont limité l’accès aux comptes, notamment en dollar, et les accrochages entre des clients en colère voulant retirer leurs économies et des employés qui adhèrent aux instructions de leurs administrations sont devenus plus fréquents.
Quelle honte d'en arriver là!
18 h 30, le 12 août 2022