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Économie - Gouvernance

L’application correcte de la loi sur la commande publique a encore un long chemin devant elle

La façon d’octroyer près de 68 % des 17 203 contrats des 44 administrations qui ont accepté de répondre n’a pas été mentionnée, alors que seulement 7,08 % ont été signés suite à des appels d’offres.

L’application correcte de la loi sur la commande publique a encore un long chemin devant elle

Un chantier dans la localité de Chatine, dans la région de Tannourine. Photo P.H.B.

Suite à l’entrée en vigueur du nouveau code de la commande publique le 28 juillet, Gherbal Initiative, en coopération avec l’Initiative américaine de partenariat avec le Moyen-Orient (MEPI) et l’Institut des finances Basil Fuleihan, a lancé mercredi le projet « Monaqasa ». Cette plateforme vise à renforcer la transparence et l’application des bonnes pratiques en ce qui concerne l’achat public, et ce en permettant aux différents acteurs de s’informer sur les appels d’offres lancés en fonction des régions, des administrations et des secteurs, tout en donnant la possibilité à l’opinion publique et à la société civile de garder un œil sur l’octroi de ces contrats.

En plus de cela, le site prévoit également de dédier plusieurs sections à former les fonctionnaires en ce qui concerne leur rôle dans l’application de cette loi. « Ce critère est primordial pour assurer une application bonne et efficace de la loi sur les marchés publics. Or, malheureusement, et comme dans d’autres critères, la formation du personnel n’a pas encore été menée à terme », avait précisé à L’Orient-Le Jour Lamia Moubayed, présidente de l’Institut des finances Basil Fuleihan, qui a participé à toutes les étapes de l’élaboration du texte et qui était présente mercredi lors du lancement.

Présents à ses côtés lors du panel de discussion : Jean Ellieh, nouveau directeur de l’Autorité des marchés publics, qui a remplacé la Direction des adjudications (DDA) depuis le début du mois, et Assaad Thebian, PDG de Gherbal Initiative.

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Gherbal a aussi profité de cette occasion pour officiellement lancer la publication de deux nouvelles études qu’elle a réalisées. L’une portant sur l’état de l’accès à l’information au sein des administrations publiques – la quatrième dans ce genre – en ce qui concerne les contrats octroyés par le secteur public entre 2001 et 2020 ; et l’autre portant sur la nature de ces contrats, leurs montants, leurs bénéficiaires et la façon dont ils ont été octroyés.

Mutisme et manque de coopération

Le moins qu’on puisse dire est que le bilan est morose, voire alarmant. Sur les 196 administrations démarchées parmi les 210 existantes, seules 30 d’entre elles ont fourni l’intégralité des informations requises en ce qui concerne l’attribution des contrats. Selon Gherbal Iniative, le ratio des administrations ayant bien répondu à ces demandes représente « le pourcentage le plus bas (15,31 %) par rapport aux autres années où il était de 23,62 % en 2020, de 25,56 % en 2019 et de 16,8 % en 2018 ».

Quant au reste, elles n’ont tout simplement pas donné suite, malgré les nombreux suivis (104 administrations), ont refusé d’enregistrer les demandes (5) ou ont répondu partiellement (25) ou par la négative (25), alors que certaines demandes ont été transférées par les administrations à leurs autorités de tutelle sans toutefois aboutir.

In fine, ce sont 85 administrations qui ont formulé une réponse aux demandes de Gherbal – que ce soit de façon positive, partiellement positive ou négative –, ce qui représente un ratio de 43,37 % en 2021, contre 47,74 % en 2020, 51,87 % en 2019 et 26,4 % en 2018. À noter que parmi ces 85 administrations, seules 18 l’ont fait dans le délai légal de 15 jours, ce qui représente une nette détérioration par rapport aux années précédentes (21,18 % en 2021, contre 43,15 % en 2020, 56,52 % en 2019 et 54,54 % en 2018).

Parmi les principaux faits marquants, Gherbal note le fait que pour la quatrième année consécutive, « le Parlement libanais, première instance responsable de la législation et de l’application des lois et qui a lui-même adopté la loi sur le droit d’accès à l’information et les lois concernant la lutte contre la corruption, s’est abstenu de répondre à notre demande ». Même son de cloche au niveau de la présidence de la République et du Conseil des ministres, bien que « le décret d’application de cette loi ait été publié par le chef de l’État et le Premier ministre », poursuit l’organisation.

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Ce manque de coopération a entre autres aussi été observé auprès de la Cour des comptes et de l’Inspection centrale, deux administrations supposées veiller à la bonne gestion des fonds publics et à la coordination entre ces administrations. En analysant et en comparant les résultats de cette année par rapport à ceux des trois précédents exercices, « nous constatons une nette baisse de l’accès à l’information, malgré la publication du décret d’application de cette loi en 2020 et des récents amendements de son texte de base en 2021 », précise Gherbal dans l’un de ses rapports et pour qui « cela est un indicateur négatif ».

13,45 milliards de dollars

Dans le rapport concernant l’analyse des détails obtenus sur les contrats, Gherbal indique avoir réussi à obtenir des listes octroyées auprès de 44 administrations, soit 17 203 contrats signés avec plus 3 500 sociétés, pour une valeur totale de plus de 13,45 milliards de dollars. Seuls 1 221 contrats (soit 7,08 %) ont été signés suite à des appels d’offres, leur valeur ne représentant que 3,41 % de la totalité de la somme prémentionnée, alors que 4 178 contrats (soit 24,29 %), représentant 8,59 % des sommes déboursées ont été signés de gré à gré. En revanche, et ce qui montre le manque de transparence, le mode d’allocation des contrats n’a pas été mentionné dans 11 694 cas sur l’ensemble des 17 203 contrats (67,98 %), et pour lesquels les montants en jeu étaient d’environ 11,39 milliards de dollars (84,64 %).

S’il est vrai que l’échantillon n’est peut-être pas représentatif, il permet néanmoins de montrer le manque de transparence dans l’attribution des marchés publics au niveau des administrations qui ont accepté de se conformer à la loi en donnant accès à leurs informations. Ce qui laisse planer encore plus le doute sur les détails de l’attribution des contrats par les administrations qui ont préféré ne rien divulguer.

Commentant ces résultats, Jean Ellieh a indiqué lors de la conférence de mercredi que « les administrations publiques cherchent (à travers ces pratiques) à échapper au contrôle de la Direction des adjudications et à renforcer leur approche clientéliste ». Mais avec l’entrée en vigueur de la loi sur la commande publique, « le temps de l’obscurantisme est révolu », a-t-il encore précisé en appelant les fonctionnaires à signaler toute violation qui touche à cette nouvelle loi.

De son côté, Lamia Moubayed a constaté qu’il existe « un grand mouvement d’opposition face à l’application de la loi sur la commande publique » alors que celle-ci est « la seule réforme dont la mise en place était sur la bonne voie ». Outre les pressions exercées par certains députés, elle a également pointé du doigt le fait que la Banque du Liban a refusé de se soumettre à cette loi et qu’elle a envoyé une note au Premier ministre le 5 juillet dans laquelle elle lui indique être exemptée de la mise en œuvre de la loi sur la base du code de la monnaie et du crédit. Selon le document révélé mercredi par Gherbal, la banque centrale a justifié ce refus en argumentant que la loi sur la commande publique « peut entraver la mise en œuvre rapide des opérations d’approvisionnement (...) et violer la confidentialité et l’indépendance de l’institution ».

Enfin, la présidente de l’Institut des finances Basil Fuleihan a indiqué que les acteurs avec qui les contrats étaient signés « doivent être conscients que cette loi introduit un changement par rapport à l’ancienne approche qui, elle, a plongé le pays dans une crise ». « Tout pas en arrière aujourd’hui représenterait le coup de grâce à la crédibilité du Parlement dans sa volonté de mener les réformes », a-t-elle conclu.

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