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Moyen-Orient - Éclairage

« Après moi le déluge » : Sadr joue la carte maximaliste

Alors qu’une partie de ses rivaux au sein du Cadre de coordination chiite tentent de désamorcer la crise, le clerc populiste leur oppose une fin de non-recevoir, leur demandant au préalable de se soustraire au Cadre et de se distancier de Nouri al-Maliki, son ennemi juré.

« Après moi le déluge » : Sadr joue la carte maximaliste

Les partisans de Moqtada Sadr se rassemblent à l’intérieur du Parlement situé dans la zone verte sous haute sécurité de la capitale Bagdad, alors qu’ils poursuivent leur sit-in pour protester contre la nomination de Mohammad al-Sudani au poste de Premier ministre par le Cadre de coordination chiite, le 2 août 2022. Sabah Arar/AFP

Il est coutumier du fait, invoque la réforme à tout va, mais en dit rarement plus sur la marche à suivre. Au centre du jeu politique irakien, sa montée en puissance depuis 2018 est l’expression d’une soif inassouvie de pouvoir, mais aussi d’un désir de revanche. Et aujourd’hui, son heure est venue. Qu’importe ce qu’en pensent ses adversaires au sein de l’establishment traditionnel, de l’opposition liée au soulèvement d’octobre 2019 ou encore de la vaste majorité d’une population qui a perdu ses illusions et ne croit plus en la chose publique. Moqtada Sadr le répète : il est l’homme fort d’Irak, rien ne peut se faire sans lui et seul lui peut décider avec qui le faire. La démonstration de force qu’il impose au pays depuis mercredi et, plus encore, depuis samedi en témoigne. La prise d’assaut du Parlement par des milliers de sadristes qui campent désormais près du bâtiment dans une ambiance à la fois ultrapartisane et joviale ne relève, du moins pour l’heure, pas d’un coup d’État. Mais il s’agit d’un affront à son autorité. Quoique, diraient certains, cette mise au défi est peut-être plus formelle que profonde. Car si Moqtada Sadr n’est pas l’État à lui seul, il en fait assurément partie.

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C’est là que réside son intelligence politique : endosser à la fois le costume de l’incorruptible pourfendeur du système quand le système en question lui réussit plutôt bien. Depuis 2018, il est parvenu à y tisser sa toile – même s’il y était déjà installé avant – en misant sur la faiblesse des chefs de gouvernement successifs d’une part ; en partant à la conquête de postes influents mais discrets de l’autre. De quoi lui avoir permis de s’éviter quelque peu les foudres d’une population qui étouffe sous le poids de la corruption et de ses conséquences, à commencer par la déliquescence des services publics. Et ce alors même que le mouvement sadriste domine au sein de ministères-clés, tels que la Santé ou encore l’Électricité, des secteurs où l’effondrement de l’État est particulièrement visible. « Les initiatives de réforme sadristes ont le plus souvent ciblé des opposants plutôt que les institutions, puisque les sadristes y occupent des postes-clés », résume Hayder al-Shakeri, chercheur associé au sein de Chatham House.

Un acte orchestré

Ce n’est pas la première fois que les partisans de Sadr s’emparent du Parlement. Ils en avaient fait de même en 2016, organisant un sit-in pour exiger des réformes politiques alors que le chef du gouvernement de l’époque, Haïdar al-Abadi, cherchait à remplacer des ministres affiliés aux partis traditionnels par des technocrates dans le cadre d’une campagne anticorruption. Mais aujourd’hui, ce bras de fer intervient alors que la tension entre le mouvement sadriste et ses rivaux du Cadre de coordination chiite est à son comble. Depuis le scrutin législatif de 2021, aucun nouveau gouvernement n’a été formé. Un record dans l’ère post-Saddam Hussein. Tandis que traditionnellement les résultats électoraux allaient dans le sens d’une représentation relativement équitable des blocs politiques rivaux, conduisant ces derniers à s’allier pour gouverner, ils ont cette fois-ci placé Sadr très largement en tête, lui permettant de recueillir 73 sièges sur les 329 qui composent le Parlement. Dans le même temps, l’alliance du Fateh – officiant au sein du Cadre de coordination et bras politique de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi largement soutenue par Téhéran – est sortie laminée des urnes, passant de 48 à 17 sièges. Les sadristes ont beau avoir jubilé, ils ne sont pas parvenus à imposer un exécutif majoritaire à leurs adversaires qui, de leur côté, ont défendu bec et ongle le consensus habituel.

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Face à l’impasse, Sadr a sommé ses députés de démissionner à la fin du mois de juin, conscient de disposer d’une arme fatale, la rue, qu’il n’a pas hésité à dégainer la semaine dernière, dans le sillage de l’annonce par le Cadre de coordination de la nomination de Mohammad al-Sudani, un proche de Nouri al-Maliki, au poste de Premier ministre. « Ce retrait parlementaire était peut-être un acte orchestré. Sadr ne laissera pas un gouvernement exister si son parti ne le dirige pas ou ne s’y oppose pas officiellement au Parlement », avance Zeidon Alkinani, chercheur non résident à l’Arab Center Washington DC.

Maliki en ligne de mire

Que veulent les sadristes ? Le message est parfois confus. Dans l’enceinte du Parlement, on parle tantôt d’organiser de nouvelles élections, tantôt, à l’instar du chef de file, d’en finir avec le système mis en place en 2003, dans tous les cas d’une réforme constitutionnelle. Mais s’agit-il de remplacer le régime parlementaire par un régime présidentiel ? Par un régime semi-présidentiel ? Dans l’hémicycle, certains sont allés jusqu’à appeler à une présidence de Sadr, alors que la coutume veut que ce poste aille à un Kurde.

La défiance vis-à-vis des institutions est en partie nourrie par le sentiment d’avoir été dépossédé d’une victoire, puisque lorsque les députés de Sadr siégeaient encore au Parlement, le clerc a été entravé dans ses choix pour les postes de président et de Premier ministre par une opposition juste suffisante et par des décisions de la Cour fédérale visant à compliquer pour lui la procédure de formation d’un gouvernement de majorité. Aujourd’hui, les objectifs du clerc populiste interrogent : veut-il renverser la table ou obtenir une plus grosse part de gâteau ?

« Moqtada Sadr souhaite jouer un rôle plus important dans la politique irakienne et, à certains égards, être la figure dominante au sein de la “maison chiite” , commente Hayder al-Chakeri. « Il cherche à le faire en excluant certains acteurs du Cadre de coordination chiite », ajoute-t-il.

Dans le collimateur du clerc, Nouri al-Maliki – lui aussi membre du Cadre –, avec qui il entretient une rivalité de très longue date, aujourd’hui exacerbée par la fuite de documents audios où l’ancien Premier ministre présumé menace de lui faire la guerre dans son fief de Nadjaf. Mais l’organisation lundi d’une contre-manifestation par les partisans du Cadre a donné lieu à des attitudes relativement modérées de la part de ses leaders, dont beaucoup ont préféré éviter l’escalade. Certains groupes, à l’instar de la puissante milice irakienne pro-Téhéran Kataëb Hezbollah, ont même choisi de ne pas y participer, du moins officiellement.

Coup de grâce

L’Irak traverse actuellement une crise protéiforme, non seulement politique, mais aussi économique et environnementale. Un tiers de la population vit dans la pauvreté, 40 % des jeunes sont au chômage, le secteur de l’électricité s’effondre et le pays est l’un des plus vulnérables au monde au réchauffement climatique. Une explosion de violence – qui plus est intraconfessionnelle – opposant les miliciens sadristes à ceux des factions proches de Téhéran s’apparenterait à un véritable coup de grâce pour la majorité des Irakiens qui, eux, ne se reconnaissent ni dans Moqtada Sadr ni dans le Cadre. Mais surtout, ni la République islamique ni le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse d’Irak, n’en veulent. Certes, la presse iranienne proche des gardiens de la révolution s’en prend à Sadr et au Premier ministre par intérim Moustafa Kazimi pour le chaos actuel. Mais les officiels tentent publiquement de se distancier des troubles qui agitent le pays voisin, tout en essayant en coulisses de trouver une solution. À plus forte raison quand les deux puissances extérieures rivales influentes en Irak – Washington et Téhéran – sont à couteaux tirés sur la scène diplomatique et vont jusqu’à faire planer la menace d’une confrontation armée si aucun accord sur le nucléaire n’est trouvé.

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Alors que le chef du Fateh, Hadi al-Amiri, a appelé Sadr à dialoguer pour calmer le jeu, celui-ci a refusé lundi son offre, exigeant au préalable le retrait de sa formation du Cadre et une condamnation explicite des propos imputés à Maliki dans les fuites audios. Selon deux officiels chiites irakiens dont les confidences ont été rapportées lundi par l’agence Associated Press, l’alliance du Fateh a proposé un deal au clerc populiste par l’intermédiaire d’un médiateur : la fin du sit-in au sein du Parlement « en échange de l’abandon par le Cadre des efforts pour former un gouvernement par lui-même sur le court terme », ainsi que la fermeture du bâtiment « pour une durée indéterminée, pendant que les deux parties négocient la formation du prochain cabinet ».

Après les élections d’octobre 2021, Sadr avait déjà tenté de convaincre plusieurs leaders au sein du Fateh de le rejoindre pour former un « gouvernement national de majorité »... mais sans Maliki. « Il y a encore de la place pour la désescalade si plusieurs dirigeants du Cadre acceptent les conditions de Sadr, qui excluront clairement Maliki », avance Zeidon Alkinani. Hier, celui que l’on surnomme le « ministre de Sadr », Saleh Mohammad al-Iraqi, a appelé sur Twitter les manifestants à se retirer du Parlement et à déplacer leur sit-in devant le bâtiment dans les 72 heures, ajoutant également qu’un comité des manifestants sera formé pour organiser leurs revendications.

Il est coutumier du fait, invoque la réforme à tout va, mais en dit rarement plus sur la marche à suivre. Au centre du jeu politique irakien, sa montée en puissance depuis 2018 est l’expression d’une soif inassouvie de pouvoir, mais aussi d’un désir de revanche. Et aujourd’hui, son heure est venue. Qu’importe ce qu’en pensent ses adversaires au sein de l’establishment...

commentaires (2)

Il loin mais très loin d’être le CPL lol IL EST TOUT LE CONTRAIRE

Bery tus

14 h 35, le 03 août 2022

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Commentaires (2)

  • Il loin mais très loin d’être le CPL lol IL EST TOUT LE CONTRAIRE

    Bery tus

    14 h 35, le 03 août 2022

  • C’est le CPL irakien quoi…

    Gros Gnon

    13 h 30, le 03 août 2022

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