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Lifestyle - Rencontre

De l’architecture à l’hôtellerie, l’itinéraire de Yola Noujaim, madame 100 000 volts

À Maasser el-Chouf, elle a initié des activités loin des sentiers battus, installé un dialogue nécessaire et contribué à transformer le paysage local.

De l’architecture à l’hôtellerie, l’itinéraire de Yola Noujaim, madame 100 000 volts

Yola Noujaim : madame 100 000 volts. Photo DR

Elle raconte avoir tourné autour du monde dix fois, de Singapour à l’Australie en passant par la Libye et le Mexique. Yola Zard Noujaim confie que, tous les jours, elle peut « vivre dix vies » à la fois. Riche de ses rencontres, cette architecte de métier s’intéresse à tout, de la cuisine à l’hôtellerie, de la culture bio à l’art en passant par le design. Attentive aux choses qui se passent autour d’elle, elle possède surtout l’art de communiquer. « Il n’y a pas de rencontre inutile. On peut toujours trouver le moyen d’échanger avec quelqu’un, même si la personne en face nous semble fermée à tout », dit-elle. Élégante, cette femme pressée a réussi à tisser des liens avec les rich and famous de ce monde tout en gardant intact son attachement à ses racines, à Maasser el-Chouf, le village de son mari, et à son pays.

Des produits naturels à Al-Fundok, l’Hôtel du Bonheur. Photo DR

Beyrouth-Paris-Beyrouth

Quand Yola Zard Noujaim entreprend des études d’architecte à l’ESIB, au début des années soixante-dix, « nous n’étions que cinq filles en classe » ! « Cela ne m’a jamais posé de problème », se souvient-elle. Son diplôme en poche, elle part en France se spécialiser, découvre Paris et réussit, comme au Liban, à s’y faire de nombreux amis. « Je n’ai jamais été la plus belle ou la plus intelligente, mais ma mère me disait, depuis toute petite, qu’il suffisait que je sorte dans la rue pour rassembler dix personnes autour de moi ! » Ses études achevées, elle rentre au Liban où elle rencontre son mari Charles Noujaim, avocat d’affaires. La guerre éclate, le couple retrouve la France. « Il a fallu repartir de zéro. Je devais travailler, m’occuper de la maison et des enfants et utiliser mon ingénuité pour recevoir les amis et les nouveaux clients de mon mari. À cette époque, Wadah Fares représentait les artistes du Moyen-Orient à Paris. Grâce à lui, je me suis liée d’amitié avec Chafic Abboud, Assadour, Adam Hnein et Aref el-Rayes. Nous partagions ensemble l’organisation des expositions, les repas et les soirées interminables à la maison. Je n’avais pas alors les moyens d’acheter leurs toiles », raconte celle qui possède aujourd’hui une importante collection d’art contemporain.

Al-Fundok, l’Hôtel du Bonheur, une école transformée en hôtel à Maasser el-Chouf. Photo DR

Depuis plus de quinze ans, elle soutient régulièrement des artistes et des expositions, notamment au Beirut Art Center dont elle fait partie du conseil d’administration. En Europe, elle monte son cabinet d’architecture et conçoit et exécute des projets sur plusieurs continents. « Je travaille avec les mêmes clients depuis des années. Ils me font confiance. J’ai peut-être un seul regret, celui de ne pas avoir assez publié mes projets. » Et d’ajouter : « J’ai surtout eu la chance d’avoir un mari ouvert qui m’a permis de voler de mes propres ailes et d’évoluer. » C’est en effet avec lui qu’elle effectue ses plus beaux voyages… Le Liban reste aussi, malgré la guerre, le lieu privilégié des retrouvailles. Quand son époux est élu président du conseil municipal de Maasser el-Chouf, en 1998, le couple vit par intermittence entre les deux pays et œuvre dans une même énergie pour la réconciliation d’une Montagne meurtrie par les massacres et le déplacement. « Charles a joué un rôle primordial dans le rapprochement druzo-chrétien. Avec sa sagesse notoire, il était convaincu que seule une réconciliation entre Walid Joumblatt et le chef de l’Église maronite serait durable. Il a été l’instigateur de la visite du patriarche Nasrallah Sfeir en 2001 », confie encore Yola Noujaim, qui œuvrera elle aussi pour un rapprochement entre les chrétiens et les druzes du village et de tout le Chouf. « Quand nous sommes revenus pour la première fois à Maasser el-Chouf, le village faisait peine à voir », observe-t-elle, préférant ne pas s’attarder sur les pénibles souvenirs des personnes massacrées, des maisons détruites, des vergers coupés et des champs saccagés. Car ce qui compte pour elle, c’est l’après. Aussi, pour reconstruire ces liens explosés, le couple Noujaim finance et organise en 2001 un premier atelier environnement pour les enfants autour de la nature et du jardinage, faisant appel à des experts français. « Malgré la réticence et le refus des parents, la curiosité des enfants, druzes et chrétiens, a triomphé et ils ont tous accouru dans les jardins du village. Après une semaine d’activités et à leur demande, les enfants ont invité leurs parents à participer à la fête de clôture. Les habitants du village se sont retrouvés. Ils ont mangé et dansé la dabké. C’était un moment très émouvant », dit-elle. De plus, Yola Noujaim distribue aux enfants de Maasser el-Chouf des caméras pour ensuite organiser une exposition de photos dans les rues du village. « Ces ateliers leur ont permis de créer une mémoire commune. » Pour trouver des solutions économiques aux adultes, elle sillonne le Chouf à la recherche de petits producteurs de produits du terroir et organise le premier festival Jabalna en 2005. « Jabalna est une foire populaire qui expose des produits artisanaux, une occasion pour les habitants du Chouf de se rencontrer et pour ceux qui ne connaissent pas la région de la découvrir et apprécier sa beauté. Le festival Jabalna de la dabké est devenu un des plus importants du genre. En 2019, plus de 20 000 visiteurs y ont participé », souligne celle qui ne se repose jamais. Aussi au début de la vogue des produits bio, il y a une quinzaine d’années, elle pousse les agriculteurs de la région à planter des herbes aromatiques et médicinales, en s’inspirant des cultures françaises de Grasse.

Al-Fundok, l’Hôtel du Bonheur, une école transformée en hôtel à Maasser el-Chouf. Photo DR

Une école transformée en hôtel

De l’économie du village à son tourisme, il restait un pas à franchir, ce qui fut rapidement fait. Ainsi, en 2002, l’Auberge Saint Michael, le premier bed and breakfast du Chouf, ouvre ses portes. L’auberge n’est autre que l’école des sœurs basiliennes du village, propriété du waqf grec-catholique. « Cette école a une histoire qui nous tient à cœur. Durant les années cinquante, le père de Charles Noujaim, Boutros, président de la Cour de cassation de l’époque, avait levé des fonds pour construire une école dans son village. Une fois inaugurée, elle a été remise aux sœurs basiliennes qui y sont restées jusqu’à la guerre de la Montagne en 1983. Nous avons pris en charge la rénovation et le fonctionnement alors que la gérance a été confiée à arc-en-ciel. » Et de poursuivre : « En 2018, nous avons décidé de remodeler les lieux en boutique hôtel, baptisé Al-Fundok, l’Hôtel du Bonheur  », explique Yola Noujaim, qui avait auparavant mis en place Beit el-Hana, une maison d’hôtes – actuellement annexe de l’hôtel – sur la route du Lebanese Mountain Trail. Pour ce dernier projet, il a fallu repenser l’espace et transformer une vieille école en hôtel. L’architecte use alors de sa créativité pour le mettre en place. Au total, 17 chambres, un jardin, un bar et un restaurant où la plupart des produits servis sont cultivés dans le jardin de la famille à Maasser el-Chouf voient le jour.

Yola et Charles Noujaim, un couple très actif dans cette montagne du Chouf. Photo DR

Frais, simple et inattendu, l’hôtel avec ses salons en tissus fleuris et son restaurant aux couleurs éclatantes devient la destination idéale pour toute personne qui cherche à se ressourcer entre les cèdres de Maasser el-Chouf. « L’établissement est surtout une école hôtelière. Nous recrutons des jeunes des villages sans formation à qui nous apprenons un métier dans le domaine de l’hospitalité. Plus d’une dizaine d’entre eux travaillent déjà dans les restaurants de la capitale », dit-elle. Être utile différemment, ne pas rester les bras croisés face aux choses qui peuvent être changées fait partie de la manière d’être de Yola Noujaim, qui vient enfin d’acquérir un atelier de menuiserie et de tapisserie à Fanar, pour qu’un ébéniste puisse continuer à exercer son métier et transmettre son savoir-faire aux jeunes. « C’est ma façon de le soutenir. L’objectif est de ramener des ouvriers qui aspirent à se former à ce métier avec lui. Bien sûr, pour survivre, il faudra trouver des commandes auprès des architectes, designers et des particuliers », conclut cette femme aux mille projets qui peut, comme elle le dit si bien, vivre dix vies chaque jour qui passe.

Elle raconte avoir tourné autour du monde dix fois, de Singapour à l’Australie en passant par la Libye et le Mexique. Yola Zard Noujaim confie que, tous les jours, elle peut « vivre dix vies » à la fois. Riche de ses rencontres, cette architecte de métier s’intéresse à tout, de la cuisine à l’hôtellerie, de la culture bio à l’art en passant par le design. Attentive...

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An extraordinary lady, in every sense of the word...

Camille Sifri

17 h 42, le 25 juillet 2022

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Commentaires (1)

  • An extraordinary lady, in every sense of the word...

    Camille Sifri

    17 h 42, le 25 juillet 2022

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