Rechercher
Rechercher

Navigation à l’aveugle


Du tac au tac, c’est à haute altitude, car à coups de spectaculaires réunions au sommet, que s’affrontent ces derniers temps les visions antagonistes d’un Moyen-Orient en permanente ébullition. À peine reparti Joe Biden, venu dans la région pour battre le rappel de ses alliés face à l’Iran, c’est ainsi Vladimir Poutine qui débarquait hier à Téhéran pour faire le point avec le président Ebrahim Raïssi et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan.


C’est principalement sur la Syrie, mais aussi sur les incidences de la guerre ukrainienne, que porte cette concertation qui, fait significatif, a été précédée de rencontres bilatérales. À des degrés divers, les trois congressistes sont militairement engagés dans le conflit syrien ; bien que soutenant des camps opposés, ils contrôlent théoriquement ensemble, depuis cinq ans, l’évolution des opérations sur le terrain, et cela dans le cadre d’une concertation dite processus d’Astana. Or c’est cette gestion commune du dossier syrien que met à rude épreuve la prétention, récemment affichée, de la Turquie à s’aménager de force une zone de sécurité d’une trentaine de kilomètres dans le Nord syrien : là où sont concentrés les rebelles kurdes, ce vieux cauchemar d’Ankara.


L’Iran s’oppose catégoriquement à une telle expédition, que le guide suprême Khamenei estime préjudiciable pour tous, y compris la Turquie elle-même. Les Russes, toutefois, auraient bien mauvaise grâce de jouer eux aussi les pères la morale, s’étant bien permis, eux, d’envahir leur voisin. Embourbés en Ukraine, ils ont plus que jamais besoin des deux autres signataires de l’accord d’Astana. Objet de dures sanctions financières, privée des hautes technologies occidentales dont elle est extrêmement dépendante, la deuxième superpuissance mondiale, qui fournit une bonne partie de la planète en armements, en est à accepter volontiers les drones que lui envoie un Iran lui aussi frappé de sanctions. Mais c’est la mise en place de circuits commerciaux permettant de contourner ces représailles occidentales qui intéresse surtout Moscou : et ce serait tant mieux si ces filières plus ou moins clandestines s’abritaient derrière les louables efforts visant à régler la crise alimentaire mondiale en permettant une reprise des exportations de céréales ukrainiennes.


Décisive sur ce plan sera la contribution de cet extraordinaire électron libre qu’est la Turquie d’Erdogan, turbulent membre de l’OTAN se voulant à égale distance de Moscou et de Kiev, et que l’on voit siéger sans problème aux côtés des deux bêtes noires de l’Amérique. Singulier consortium en vérité que celui-ci qui, sur la terre cuite et recuite de Syrie, réunit trois puissances habitées par les mêmes et lancinantes nostalgies d’empire. Quelle vision de la Syrie dépecée en zones d’influence, de la région dans son ensemble, du sort des peuples qui y vivent, les trois compères peuvent-ils donc avoir en commun ? Et tant qu’on y est quelle est exactement la perception qu’en a l’Amérique elle-même, que l’on voit balancer sans fin entre interventionnisme et désengagement ; l’Amérique, où chaque changement d’administration semble commander l’acquisition d’une nouvelle paire de lunettes ; l’Amérique enfin où le seul paramètre rigoureusement invariable reste l’exigence d’un approvisionnement régulier en pétrole ?

* * *

Ces interrogations sur le devenir d’un Moyen-Orient en pleine mutation, rares sont les États de la région – premiers concernés pourtant – en mesure d’y répondre. Riches ou pauvres, puissants ou non, ils s’efforcent de naviguer à vue, de louvoyer au mieux de leurs intérêts, au gré de leurs priorités du moment, au rythme de leurs incertitudes et angoisses. Dans la cohorte, le Liban est pratiquement seul à errer à l’aveuglette. Le fait est qu’il est submergé de crises à tiroirs ; qu’il est ruiné et quémandant l’assistance internationale ; que la décision de paix ou de guerre y échappe aux autorités légales ; que plutôt que de se concentrer sur l’hécatombe du port de Beyrouth, le cours de la justice se résume à de criants abus, surtout ceux commis à répétition par une juge partisane, fantasque et en mal de sensation publicitaire. Même réunies, toutes ces incroyables anomalies ne sont pas cependant les plus graves de nos maux.


La malédiction suprême du Liban, c’est la clique de dirigeants incapables qu’ il s’est vu infliger en prime.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Du tac au tac, c’est à haute altitude, car à coups de spectaculaires réunions au sommet, que s’affrontent ces derniers temps les visions antagonistes d’un Moyen-Orient en permanente ébullition. À peine reparti Joe Biden, venu dans la région pour battre le rappel de ses alliés face à l’Iran, c’est ainsi Vladimir Poutine qui débarquait hier à Téhéran pour faire le point avec...