« L’idée de cimetière est une réponse contextuelle locale, qui répond aux besoins des habitants de la ville. Dans Beyrouth densément peuplée, trouver son dernier repos n’est bientôt plus possible. Les cimetières sont saturés et l’espace public disponible insuffisant pour créer de nouveaux lieux de sépulture », explique Sarah Soubra, jeune architecte tout fraîchement diplômée de l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA). Elle convoite une structure encore non exploitée : la tour Murr, « sans aucune destination claire, puisque toute tentative de sa transformation ou de sa modification a été rejetée. Or, ce lieu immense peut être converti en une nécropole et en des espaces où les familles pourraient se rassembler et se recueillir ». Un cimetière vertical qui aura une extension en horizontal serait donc la solution.
Il occupera une superficie de 22 040 mètres carrés, dont 16 530 sont dédiés aux caveaux et 1 650 m2 aux salons de condoléances. Le cimetière qui sera desservi par un parking de 1 075 m2 sera adapté aux deux grandes religions pratiquées dans la capitale. C’est-à-dire aux chrétiens et aux musulmans. Aussi toutes les étapes du processus destinées aux services mortuaires seront offertes : purification, sacralisation et enterrement, ainsi qu’un crématorium et des salles de prières.
Le miroir de la vie
Pour la conception de son projet, placé sous l’angle hétérotopique, la jeune diplômée s’est référée aux notions du philosophe français Michel Foucault qui définit « un lieu hétérotopique par six critères dont une accumulation des temps et des espaces, donnant pour exemple les cimetières des villes ». Selon lui, dit-elle, « la forme la plus proche à l’explication de l’hétérotopie est le miroir, une surface qui n’existe pas vraiment, mais qui reflète le monde dans lequel on est. Or la mort est le miroir de la vie. Le miroir de Foucault a généré toute l’idée de mon projet ». Le complexe funéraire est composé de deux cimetières, divisés selon les religions. L’un vertical desservi par des ascenseurs occupera les étages de la tour qui sera évidée de l’intérieur. L’autre sera enfoncée dans le sol et prendra la direction de La Mecque. La partie intermédiaire comporte toutes les étapes de préparation du mort pour l’inhumation ou la crémation et offre toutes les commodités permettant de rendre un dernier hommage au défunt. Conçu en forme de S, l’ensemble du projet est installé au milieu d’une petite forêt que l’architecte appelle « le purgatoire ». Un petit bâtiment, détaché du complexe mortuaire, renferme une bibliothèque funéraire et les bureaux de l’administration qui va gérer les lieux.
Des cimetières gratte-ciel ?
La tour Murr, un squelette de plus de 40 étages, a été le lieu privilégié des francs-tireurs pendant la guerre civile du Liban et une base pour les milices durant la bataille des hôtels. Sa construction, entamée en 1974, n’a jamais été terminée. Son promoteur est la Société libérale SAL dont les actions reviennent à 62 % au groupe Michel Murr et à 38 % à son frère Gabriel. En 1994, elle est incluse dans les plans de Solidere qui l’achète aux frères Murr pour la réhabiliter afin d’en faire un Beirut Trade Center, ou pour y installer l’Escwa. Mais la structure de béton s’avère défectueuse, et les architectes commandités par Solidere conseillent de la démolir par implosion. Toutefois rien n’a été fait et aujourd’hui seul le squelette perdure. Deviendra-t-elle un cimetière gratte-ciel ? Selon l’Associated Press, depuis le milieu des années 1990, les projets en hauteur sont en étude à Mexico, Paris, Bombay et Vérone en Italie. Au Brésil, il existe déjà un des plus grands cimetières verticaux : le mémorial nécropole Ecumenica. Avec une superficie de 40 000 m2, ses forêts et ses prestations de haut standing, ce monument est le modèle de cimetière vertical le plus grand, le plus haut et le plus complet au monde. Il est inscrit, depuis 1991, au Guinness Book.
commentaires (4)
Une ville entièrement dominée par un cimetière vertical, avec un totem érigé en son sein célébrant la culture de la mort... Est-ce vraiment la dernière impression que l'on veut laisser aux touristes visitant Beyrouth? C'est une idée a la fois grotesque et répugnante. Ca va bien chez les Soubra ces temps-ci?
Mago1
23 h 52, le 19 juillet 2022