La situation ne cesse de se dégrader sur les plans économique et financier. La trajectoire peut-elle être encore inversée ?
Le Liban est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il est confronté à une crise économique et financière extrêmement profonde, mais qui reste réversible si des mesures sont prises, avec tout l’enjeu de l’accord avec le FMI. Il y a un processus politique important avec la tenue des élections législatives puis de la présidentielle et, l’année prochaine, des municipales. La capacité du Liban à tenir son agenda électoral sera un signal important envoyé à la communauté internationale, d’autant que dans le même temps, les autorités libanaises lui demandent beaucoup en termes d’aides. Aujourd’hui, vous avez tous les atouts, mais vous devez prendre le train en marche sinon il avancera sans vous. Il faut regarder le monde en face et prendre conscience qu’il a profondément changé le 24 février dernier avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Sur le plan régional, le Liban n’est pas la priorité du moment. Le président français, Emmanuel Macron, fait face à un contexte européen, régional et mondial bien différent. Il a envie d’aider le Liban mais a toujours été clair qu’il n’était pas possible de se substituer aux autorités libanaises.
C’est le discours que vous tenez depuis votre arrivée, il y a deux ans. Mais les autorités libanaises ne semblent pas y être très sensibles...
Quand je suis arrivée, on m’a dit : « Le FMI no way. » J’ai répondu : « Tant mieux si vous pouvez vous en passer, mais est-ce que vous allez mettre en œuvre des réformes ? » Ce que je constate, deux ans plus tard, c’est qu’avec un travail acharné, il y a eu un accord technique le 7 avril dernier. C’est la première fois dans l’histoire de ce pays qu’il y a un document. Il y a des résistances, oui, mais qui commencent à entrer dans la raison puisqu’il n’y a plus rien à partager. Il n’y a plus d’argent, et le principe de réalité commence à s’imposer. Ce sont des dynamiques fragiles, je ne suis pas naïve, mais elles sont là et c’est bien la première fois.
Quelles seraient les conséquences d’une absence d’accord avec le FMI ?
Il n’y aura plus d’argent pour payer des denrées, pour payer l’électricité, pour les professeurs, les aides-soignants, les forces de sécurité. L’argent public est constitué aujourd’hui des réserves de la banque centrale. Et ces réserves, il n’y en aura plus. C’est juste la réalité.
Les élections législatives ont mis en exergue plusieurs dynamiques nouvelles dans le pays. Est-ce que la France a réajusté sa politique en conséquence ?
Il n’y a pas eu de réajustement. Au contraire, cela nous a plutôt confortés dans la position que nous avions prise au départ. Nous avons toujours été clairs : il y a un agenda électoral, il doit être mis en œuvre.
La logique est-elle la même pour la présidentielle ?
Les élections législatives se sont tenues à la date prévue. Nous avions été très fermes sur le fait que nous allions être extrêmement vigilants. Désormais, notre position, partagée par tous les partenaires européens et internationaux, est très claire : la présidentielle est prévue cette année et elle doit se tenir dans les délais constitutionnels. Je l’ai dit à l’ensemble des personnalités politiques, à commencer par le président du Parlement, Nabih Berry. Nous serons très vigilants à la bonne tenue de l’élection. Et il n’est pas question pour nous de préempter d’ores et déjà une quelconque issue de cette élection tant qu’à ce jour, à ma connaissance, aucun candidat ne s’est officiellement déclaré.
Donc la France n’a pas de favoris ?
La France n’a absolument pas de candidats. Et il n’y a de toute façon pour l’instant pas de candidats déclarés. Il n’y a pas, non plus, d’initiative internationale, à ce jour, visant à aider les Libanais à élire un président de la République. Pour une fois, il serait bien que les Libanais s’organisent entre eux. Ils en ont pleinement la capacité.
Mais en face vous avez un pays, l’Iran, qui n’hésitera pas à interférer et à organiser son camp pour défendre son candidat.
Je n’ai pas les éléments, à ce jour, qui me permettent de dire que l’Iran soutient telle ou telle personne. Et personne ne les a. Ce sont des supputations très préalables, avant d’esquisser des scénarios. Je reviens à ce que je disais : il est temps que les Libanais discutent entre eux et apprennent à se parler.
Vous ne craignez pas que cette élection soit reportée ?
Rien ne me permet de dire pour l’instant qu’elle ne va pas se faire. Personne, en tout cas, ne s’est aventuré à me dire que ce sera compliqué alors que c’est un discours que j’avais beaucoup entendu sur les législatives.
Pouvez-vous dessiner le profil que le futur président devrait avoir ?
Il faudra un président qui rétablisse l’autorité du Liban, la voix de ce pays à l’étranger dans un monde qui a beaucoup changé. Compte tenu de la crise économique que vit ce pays, de la défiance abyssale exprimée par les Libanais en octobre 2019, il faudra que ce soit un président qui ait cela à l’esprit et qui puisse préserver la cohésion du pays et gérer les multiples crises.
Donc, de préférence, un président qui n’est pas sanctionné par la première puissance mondiale ?
C’est vous qui tirez les conclusions, mais ne me les attribuez pas. Moi, je ne fais que dresser un profil.
La France prévoit-elle d’organiser une nouvelle conférence internationale sur le Liban ?
Je lis et j’entends beaucoup de choses, mais il n’y a pas, à ce jour, de conférence internationale à l’initiative de la France. Nous en avons tout de même fait trois en l’espace de deux ans. La priorité pour la France à l’instant, c’est que le Liban se concentre sur ses échéances.
La France joue désormais un rôle dans le dossier de la démarcation de la frontière maritime avec Israël. Pensez-vous que les négociations pourront aboutir prochainement ?
C’est difficile de fixer une date butoir. Le principe de toutes les négociations sur les frontières, c’est que vous touchez à l’avenir et à la souveraineté d’un pays. Mon sentiment, c’est que je pense que les deux parties sont près du but. De façon circonstanciée, le Liban n’a jamais été aussi proche d’un accord.
Vous sentez, côté libanais, une envie de conclure un accord ?
Oui, et je sens qu’il y a une prise de conscience par rapport à il y a deux ans. Dans la mer, il peut y avoir des ressources, même si personne ne le sait pour l’instant. Mais tant que vous ne sécurisez pas, vous vous privez potentiellement d’explorer d’éventuelles réserves gazières. Et au-delà de ces potentielles ressources, un pays qui est capable de façon responsable de conclure une négociation, c’est un signal de confiance envoyé aux investisseurs. Ne pensez pas, néanmoins, que si l’accord est conclu, cela vous exonérera de continuer d’assainir en parallèle votre système économique et financier. Certains me disent : « Si on trouve du gaz, on n’a pas besoin du FMI. » C’est un complément important, mais cela ne peut être la réponse à tous les maux du Liban, d’autant qu’une exploration en eau profonde, c’est minimum dix ans.
L’envoi de drones par le Hezbollah à proximité du champ de Karish ne risque-t-il pas de tout faire capoter ?
C’est irresponsable, et nous l’avons dit à qui de droit.
commentaires (8)
La france devrait geler les avoirs de nos politiciens voleurs en france et en Europe Au lieu de faire les saltimbanques et de nous vendre des châteaux en Espagne
Robert Moumdjian
06 h 06, le 15 juillet 2022