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Abraham new-look

Donald Trump se flattait d’avoir pris part en 2017, à bord de son Air Force One, à la toute première liaison aérienne directe entre l’Arabie saoudite et Israël, deux États qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques. Et voilà qu’avant même d’avoir posé le pied sur le sol de notre région, Joe Biden, apparemment piqué au vif, se targue déjà d’être bientôt le premier président américain à effectuer, toujours non-stop, la trajectoire inverse. Par-delà son caractère anecdotique, ce chassé-croisé dans les nues illustre la sempiternelle alternance de volte-face et de points de rencontre, d’innovations fracassantes mais aussi de souci d’une certaine continuité, qui marque le passage d’une administration US à l’autre.


Israël, Arabie : plus éloquent que jamais est le choix de ces deux destinations retenues pour cette tournée moyen-orientale qu’entame ce soir le président des États-Unis, la première depuis son élection. L’État hébreu insurgé contre la renégociation de l’accord sur le nucléaire iranien qu’avait dénoncé Trump, Biden va surtout s’employer à le rassurer. Une telle entreprise se solde traditionnellement par des milliards de dollars en aide financière et livraisons d’armements sophistiqués. Or on peut parier que le classique chantage sera d’autant plus féroce cette fois (et donc la note plus salée pour le Trésor US) que, par un ironique hasard du calendrier, les deux protagonistes sont à l’avant-veille d’élections.


Quant au reste, les Israéliens n’ont objectivement pas trop de raisons de regretter l’ère Trump. Car Biden s’est bien gardé, par exemple, de remettre en cause le transfert de l’ambassade US de Tel-Aviv à Jérusalem, épisode qui faisait voler en éclats un demi-siècle de tradition diplomatique. Si le président démocrate reste fidèle à la solution des deux États en Palestine, il ne le proclame pas avec assez de régularité et de rigueur. S’il se propose, en outre, de sacrifier à une entrevue avec Mahmoud Abbas à Bethléem – sans aller jusqu’à s’alarmer du cancer des colonies qui ronge la Cisjordanie –, c’est seulement pour faire au chef de l’Autorité palestinienne l’aumône d’une infime part de la manne yankee.


De même, Biden n’est que trop heureux de reprendre à son compte, et même développer, ces accords Abraham que forgeait en 2020 son prédécesseur entre Israël et trois pays arabes, dont deux monarchies du Golfe. Le tabou étant brisé sans possibilité de retour, c’est d’un vaste système de défense face aux missiles et drones iraniens (un oriental OTAN des airs ?) qu’il est question désormais. D’où cette peu banale conférence au sommet qui, samedi à Jeddah, doit réunir autour du parrain américain les monarchies du Golfe mais aussi l’Égypte, la Jordanie et peut-être l’Irak.


La clé d’un aussi ambitieux projet ne pouvait être autre que l’Arabie saoudite, cet autre partenaire privilégié, irremplaçable, de l’Oncle Sam. Le chef de la Maison-Blanche s’était juré de faire un pestiféré du prince héritier Mohammad ben Salmane, le véritable maître du royaume qui, selon les accablantes conclusions de la CIA, a validé l’horrible assassinat à Istanbul du journaliste d’opposition Jamal Khashoggi. On voit pourtant le chef de la première puissance mondiale se résoudre à rencontrer l’émir dans le cadre d’une réunion autour du vieux monarque en titre. Pour justifier son virage en épingle à cheveux, il invoque toute une série d’impératifs : préserver une précieuse alliance en la soumettant, il est vrai, à un recalibrage ; contrer la Russie ; contenir la Chine ; assurer une plus grande stabilité au Moyen-Orient ; et, last but not least, obtenir que soient largement ouvertes les vannes du pétrole pour enrayer la folle hausse des prix causée par la guerre d’Ukraine.


Ce plaidoyer pro domo, le chef de la Maison-Blanche avait choisi de le décliner dans une tribune-fleuve que publiait, le week-end dernier, l’influent Washington Post. Privé de tout, et plus particulièrement de gouvernants responsables, le Liban s’y voit décerner une modeste place. Encore faut-il aller la chercher dans la brève liste des pays en situation instable ou en butte à une impasse politique. On peut bien sûr le déplorer. Mais certes pas s’en étonner.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Donald Trump se flattait d’avoir pris part en 2017, à bord de son Air Force One, à la toute première liaison aérienne directe entre l’Arabie saoudite et Israël, deux États qui n’entretiennent pas de relations diplomatiques. Et voilà qu’avant même d’avoir posé le pied sur le sol de notre région, Joe Biden, apparemment piqué au vif, se targue déjà d’être bientôt le...