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2034, l’année de l’Apocalypse

2034, l’année de l’Apocalypse

2034 d’Elliot Ackerman et James Stavidris, traduit de l’américain par Janique Jouin-de-Laurens, Gallmeister, 2022, 282 p.

La confrontation entre Washington et Pékin est désormais franche, permanente, ouverte sur tous les fronts, militaires, technologiques, économiques et culturels. Finie la prudence diplomatique, comme on l’a vu récemment avec une déclaration faite à Tokyo du président Joe Biden confirmant le soutien militaire des États-Unis à Taïwan en cas d’invasion chinoise, associant le cas de l’île à celui de l’Ukraine. Et place à de nouveaux accords avec les pays en première ligne de la région pour contrecarrer l’emprise chinoise.

Aujourd’hui, la guerre entre les deux géants est donc une éventualité prise au sérieux par tous les états-majors des grandes puissances qui en étudient les scenarii possibles. Elle est d’autant plus effrayante qu’elle pourrait aboutir à une confrontation nucléaire, dans un premier temps tactique, laquelle pourrait ensuite devenir stratégique et conduire à l’anéantissement du monde. Le début de cet affrontement titanesque pourrait avoir lieu en 2034, par une belle journée de mars, dans les eaux internationales de la mer de Chine méridionale, près du récif Mischief, non loin des îles Spratleys.

C’est en tout cas la date retenue par Elliot Ackerman et James Stavidris dans un thriller d’anticipation au titre orwellien qui nous entraîne dans une implacable marche à l’Apocalypse nucléaire.

Ce 12 mars 2034, la commodore Sarah Hunt – la marine américaine s’est beaucoup féminisée en douze ans –, surnommée « la reine-lionne », patrouille le vaste océan à la tête d’une flottille américaine. La commandante a déjà passé neuf années de sa vie en haute mer mais sa fascination reste intacte : « Elle imaginait que si on lâchait une aiguille au-dessus de l’eau, elle la transpercerait jusqu’au fond où elle reposerait sur sa pointe, sans que nul courant ne vienne la déranger. Combien de fois au cours de sa carrière s’était-elle trouvée là, sur la passerelle d’un navire, observant ce miracle d’immobilité ? Mille fois ? Deux mille ? »

Pourtant, elle sait bien que le bel océan, même pendant ses heures de mansuétude, est à surveiller de très près. Car si ses eaux sont indéniablement internationales, proches en plus des côtes philippines, la Chine les convoite avidement avec l’ambition de contrôler à terme la totalité du Pacifique Sud. C’est pour faire respecter la liberté de navigation que la petite escadre américaine navigue dans cette zone, tous ses radars aux aguets. Justement, l’un d’eux vient de détecter la présence à proximité d’un chalutier chinois en feu. Les navires américains se déroutent pour lui porter secours et éteindre l’incendie. Mais, voilà que l’équipage chinois leur témoigne d’une telle hostilité que la commodore Hunt ordonne la fouille du bateau de pêche qui révèle la présence d’un matériel informatique ultrasophistiqué qui n’a rien à faire sur un tel type d’embarcation. La « reine-lionne » le fait donc saisir. Le piège tendu par Pékin vient de fonctionner. À merveille.

Mais ce n’est pas le seul. Car, le même jour, Wedge, pilote super-expérimenté d’un F-35 américain, en principe indétectable et chargé d’espionner l’Iran, perd le contrôle de son appareil et le voit, sans qu’il puisse rien n’y faire, se poser sur le territoire hostile de la République islamique. Le voilà donc otage.

À partir de cette double trame tendue comme le câble d’accélérateur d’une voiture de sport, Elliot Ackerman et James Stavidris racontent comment deux incidents, l’un maritime, l’autre aérien, impliquant les deux plus grandes puissances mondiales, peuvent conduire à l’Apocalypse même si aucun des deux acteurs ne la souhaitent. Les deux auteurs connaissent remarquablement bien leur sujet. Le premier est un ancien marine multi-décoré devenu un écrivain accompli (plusieurs fois traduit en français) et le second est l’ancien commandant en chef de la flotte américaine. Ils se complètent pour nous décrire l’atmosphère survoltée d’un bâtiment de combat, les affres d’une décision à caractère stratégique dans un quartier-général ou les jeux de pouvoir à l’intérieur d’un système américain gangréné par les va-t-en-guerre.

Mais ils ne s’arrêtent pas là. Ils nous entraînent aussi bien au cœur du pouvoir décisionnel chinois, où les luttes de clans sont mortelles, que chez les Gardiens de les révolution islamique, dont l’un des officiers est un héros du roman, ou sur la passerelle de commandement d’un bateau de guerre russe. Car l’Iran et la Russie, tous deux alliés de Pékin, sont aussi de la partie, chacun essayant de profiter du conflit pour affaiblir l’Amérique et faire avancer ses intérêts stratégiques propres, Moscou en s’emparant d’une partie de la Pologne, Téhéran du détroit d’Ormuz.

En principe, les États-Unis, première puissance militaire mondiale et qui domine encore le feu nucléaire, devraient sortir vainqueurs d’un tel conflit. Mais en douze ans, là encore, les rapports de force ont bougé : les Chinois sont passés maîtres dans la technologie de la cyberattaque, un avantage invisible tant que le conflit ne s’est pas déclenché. Avec leurs avions torpilleurs furtifs sans pilote, ils sont en mesure d’« expédier dans les profondeurs de la mer de Chine méridionale une force armée bien plus importante » que la leur. Ils ne s’en priveront pas. La riposte américaine ne pouvant plus être que nucléaire, commence la marche vers l’abîme.

La plupart des incidents et événements décrits apparaissant comme plausibles. 2034 résonne comme une sonnerie d’alarme générale, d’autant plus qu’il est remarquablement écrit. On peut souhaiter qu’il soit, même si c’est une fiction, étudié dans les écoles de guerre. Au passage, on pourra noter que, selon la vision des deux auteurs, le grand théâtre du monde dans les prochaines années n’aura comme principaux acteurs que les États-Unis, la Chine et l’Inde, formidable puissance navale en devenir. Et comme seconds rôles, la Russie et l’Iran, leurs alliances avec Pékin leur permettant de ne pas disparaître de la scène internationale. En revanche, l’Afrique et le monde arabe n’existent tout simplement plus. L’Europe n’apparaît pas non plus dans le roman. Mais celui-ci a été écrit avant la guerre en Ukraine.


2034 d’Elliot Ackerman et James Stavidris, traduit de l’américain par Janique Jouin-de-Laurens, Gallmeister, 2022, 282 p.La confrontation entre Washington et Pékin est désormais franche, permanente, ouverte sur tous les fronts, militaires, technologiques, économiques et culturels. Finie la prudence diplomatique, comme on l’a vu récemment avec une déclaration faite à Tokyo du...

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