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Moyen-Orient - Justice

Procès inédit à La Haye pour des crimes commis au Darfour

Ali Kocheib, un des chefs de la milice des Janjawid, est accusé d’avoir commis des crimes de guerre et contre l’humanité durant la guerre civile qui a dévasté la région soudanaise à partir de 2003.

Procès inédit à La Haye pour des crimes commis au Darfour

Le village de Khair Wajid incendié par la milices des Janjawid dans l’ouest du Darfour au Soudan, en avril 2004. Julie Flint/archives AFP

Un procès inédit doit s’ouvrir aujourd’hui à la Cour pénale internationale à La Haye pour tenter de rendre justice aux victimes de la guerre du Darfour, à quelques jours du troisième anniversaire de la chute du président soudanais Omar el-Bachir. L’accusé, Ali Mohammad Ali Abdel Rahman, plus connu sous son nom de guerre Ali Kocheib, était l’un des commandants de la milice arabe Janjawid qui a combattu aux côtés de l’armée soudanaise contre les groupes rebelles non arabes de la région. Dans le conflit armé qui a éclaté en 2003 et fait plus de 300 000 morts et près de 3 millions de déplacés, les forces progouvernementales sont accusées d’avoir commis des exactions et des violations des droits de l’homme de manière systématique. Ali Kocheib doit être jugé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. « C’est la première fois qu’un chef va devoir rendre des comptes pour des crimes commis au Darfour par les forces gouvernementales travaillant avec la fameuse milice Janjawid », insiste Elise Keppler, directrice associée du Programme de justice internationale à Human Rights Watch.

Après des décennies de tensions avec les groupes arabes, accrues depuis le coup d’État de Omar el-Bachir en 1989 et sa politique d’arabisation, les ethnies africaines marginalisées du Darfour, notamment les four, massalit et zaghawa, prennent les armes en 2003 contre le pouvoir central de Khartoum. Celui-ci mobilise alors l’armée et offre un soutien technique et militaire à des milices arabes auxquelles il promet terres et butins en échange de leur contribution à l’écrasement de la révolte. La plus connue, la milice Janjawid, a été accusée au même titre que les forces gouvernementales d’être à l’origine « d’attaques indiscriminées qui ont tué des civils, d’actes de torture, de disparitions forcées, de destruction de villages, de viols et d’autres formes de violences sexuelles, de pillage et de déplacement forcé », selon une enquête de 2005 commissionnée par l’ONU. La CPI reproche à Ali Kocheib d’avoir été à la tête de milliers de miliciens janjawid entre août 2003 et mars 2004 environ, et a retenu 31 charges contre lui afin de lancer ce procès qui pourrait durer plusieurs années et lui valoir jusqu’à la prison à perpétuité. Étant donné que Khartoum n’est pas membre de la CPI, le cas a été référé à cette dernière par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2005, dans une action sans précédent à l’époque. Un mandat d’arrêt international a été émis en 2007 contre Ali Kocheib, qui aurait par ailleurs été l’un des plus importants dirigeants tribaux de la localité de Wadi Saleh, ainsi qu’un membre des Forces de défense populaire, une organisation paramilitaire islamiste affiliée à l’armée soudanaise sous Omar el-Bachir.

Témoin oculaire

« Ali Kocheib n’est pas seulement impliqué dans ce qu’on pense être un génocide, il peut aussi servir de témoin oculaire pour mettre en cause d’autres reponsables, (...) expliquer qui donnait les ordres et comment le régime soutenait le nettoyage ethnique s’il a eu lieu », souligne Jihad Mashamoun, analyste politique sur le Soudan. La Haye a déjà émis des mandats d’arrêt contre quatre autres Soudanais, dont le dictateur déchu Omar el-Bachir, accusé notamment d’actes de génocide – bien que les différentes enquêtes menées par l’ONU et des organisations de défense des droits humains n’aient pas pu prouver que le gouvernement soudanais se soit rendu coupable de génocide au sens juridique du terme. Alors que trois des personnes recherchées sont en détention dans leur pays, les autorités refusent jusque-là de les transférer vers les Pays-Bas. « Le procès de Ali Kocheib est une étape majeure, mais ce n’est que le début », indique Elise Keppler.

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Sujet délicat, le sort réservé aux anciens militaires et membres du régime tombé en 2019 à la suite d’un soulèvement populaire a aggravé l’année dernière les dissensions existantes entre les civils et les militaires du Conseil souverain, organe exécutif mixte mis en place pour assurer la transition vers un système démocratique. Son président, le général Abdel Fattah al-Burhane, a ainsi mené un putsch le 25 octobre dernier pour renforcer l’impunité des forces de sécurité et leur mainmise sur le pouvoir. Si Ali Kocheib s’est livré volontairement à la CPI en 2020, « ce serait parce qu’il avait l’impression que Burhane allait l’assassiner et qu’il craignait pour sa vie », suggère Jihad Mashamoun. Le président du Conseil souverain et son adjoint, Mohammad Hamdan Dagalo, connu sous le nom de Hemetti, sont eux-mêmes soupçonnés d’avoir participé aux exactions commises dans le Darfour depuis près de deux décennies. En tant que chef des Forces de soutien rapides (RSF), constituées en partie d’anciens miliciens janjawid, Hemetti a notamment mené des campagnes contre-insurrectionnelles au Darfour entre 2014 et 2015.

Malgré des tentatives répétées pour mettre fin au conflit, des violences intercommunautaires continuent de refaire surface de manière sporadique dans la région. Dernière initiative en date, l’accord de paix de Juba a été signé en 2020 entre le gouvernement civilo-militaire de transition et différentes factions rebelles, sous le patronage des deux hommes forts du pays. S’il prévoyait des postes importants pour les chefs rebelles signataires, certains commandants de poids ont refusé de s’y rallier avant que ne soit notamment réglée la question de l’intégration des forces paramilitaires progouvernementales à l’armée régulière. Bien que la mise en œuvre de l’accord ait pris du retard, l’entente a néanmoins conduit au retrait à la fin de l’année 2020 de la force internationale de maintien de la paix Unamid du Darfour, où elle était chargée de protéger les civils et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire.

Un procès inédit doit s’ouvrir aujourd’hui à la Cour pénale internationale à La Haye pour tenter de rendre justice aux victimes de la guerre du Darfour, à quelques jours du troisième anniversaire de la chute du président soudanais Omar el-Bachir. L’accusé, Ali Mohammad Ali Abdel Rahman, plus connu sous son nom de guerre Ali Kocheib, était l’un des commandants de la milice arabe...

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