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L’appel du vide

Trop, c’est trop! Tel est le ras-le-bol, assorti d’une mise en garde, que vient d’exprimer, à la face de la communauté internationale, un Liban se refusant à supporter plus longtemps la masse de réfugiés syriens installés sur son territoire. Poussé à l’unisson par le Premier ministre sortant et son ministre des Affaires sociales, ce cri du cœur survenait lors du lancement, lundi, d’un nouveau plan de secours humanitaire parrainé par l’ONU. Signe des temps, ce programme englobe cette fois, aux côtés des réfugiés, un million et demi de nos concitoyens réduits au stade de l’indigence…


Amplement justifié était, certes, le martial coup de gueule. Une sombre fatalité veut aujourd’hui que le Liban se trouve pénalisé par sa noble vocation de terre d’asile, alors même qu’il souffre d’une crise économique et financière d’une gravité sans précédent. Peu de pays abritent une telle concentration de réfugiés, qui représentent un bon tiers de la population d’origine. Sa rare texture humaine, si délicate à gérer en temps normal déjà, se trouve inévitablement affectée par le lancinant tic-tac d’une aussi formidable bombe à retardement démographique et sécuritaire.


Et cela d’autant que nous nageons périlleusement dans le flou. Le Liban n’est pas signataire de la Convention de Genève de 1951 qui, en droit international, régit le statut des réfugiés. Ayant eu à recueillir, trois ans auparavant, une première vague de Palestiniens, chassés de leurs foyers par la création d’Israël, il ne considère légalement ces malheureux que comme des personnes temporairement déplacées. En attendant une hypothétique entente sur la définition même du réfugié, voilà bien un provisoire dont l’expérience ne cesse de montrer qu’il a une fâcheuse tendance à durer, à perdurer, et même à se rééditer, depuis quelques années, en version syrienne. Face à l’afflux en provenance de Syrie, le Liban tentait bien, en 2015, d’instaurer tout un barrage de formalités, dont l’obtention d’un visa d’entrée : peine perdue bien évidemment, dans un pays aux frontières incroyablement poreuses et ouvertes à toutes sortes de trafics.


Mais pour en venir aux faits, qu’apportent donc de nouveau le chef du gouvernement d’expédition des affaires courantes et son ministre ? Dans des styles différents, les deux hommes n’ont pas craint de recourir à l’avertissement, à la menace, si notre pays se voit dénier une réelle coopération internationale en vue d’un rapatriement des réfugiés syriens. Pour Nagib Mikati, le Liban, au risque d’être mal vu des pays occidentaux, pourrait ainsi se résoudre à expulser ces derniers ; il le ferait alors en toute légalité, en appliquant à la lettre sa propre législation en la matière.


Plus nuancé s’est voulu le ministre Hector Hajjar, clamant son respect du principe international de non-refoulement des réfugiés, et annonçant dans le même temps une initiative salvatrice, dont les détails seront divulgués dans les prochains jours. De grâce, que l’on abrège le suspense, que l’on dévoile vite au bon peuple les trésors insoupçonnés d’imagination créatrice qui bouillonnaient dans les sphères du pouvoir, qui attendaient seulement l’occasion de se révéler ! Que l’on nous dise encore par quelle colossale imposture Bachar el-Assad multiplie les invitations au retour mais répugne visiblement à réintégrer ces misérables foules qu’il s’est acharné à faire déguerpir.


Trop longtemps, la gravissime question des réfugiés n’a donné lieu qu’à des pleurnicheries officielles destinées à stimuler l’assistance étrangère, ou alors à des rodomontades qui ne sauraient trop faire illusion. Mais n’est-ce pas ainsi faire diversion et escamoter les autres problèmes, non moins existentiels, qu’affronte le pays? Le pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise, et la classe dirigeante dans sa propre médiocrité. Entre-temps se poursuit inexorablement l’exode effréné de la jeunesse et des compétences de toute sorte.


Pour nécessaire qu’il puisse être, le rapatriement des réfugiés ne doit pas servir à occulter la toute première des urgences : ne pas laisser le Liban se vider de ses Libanais.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Trop, c’est trop! Tel est le ras-le-bol, assorti d’une mise en garde, que vient d’exprimer, à la face de la communauté internationale, un Liban se refusant à supporter plus longtemps la masse de réfugiés syriens installés sur son territoire. Poussé à l’unisson par le Premier ministre sortant et son ministre des Affaires sociales, ce cri du cœur survenait lors du lancement, lundi,...