Mi-mai, la direction avait annoncé une « transition progressive vers la collecte des frais universitaires en dollars cash, ou leur équivalent », à partir de l’année universitaire 2022-2023. Une aberration pour certains étudiants qui craignent de voir leur cursus universitaire menacé. Pour l’administration de l’AUB, cette mesure est « nécessaire pour son fonctionnement ainsi que pour celui de son hôpital qui paie depuis l’année dernière une partie des salaires de ses employés, enseignants et médecins en dollars frais », explique à L’Orient-Le Jour le président de l’université Fadlo Khouri. « En deux ans, nous avons perdu 200 professeurs et médecins. Ils étaient environ 1 100 avant la crise, aujourd’hui ils sont 900. Nous devons préserver les corps médical et professoral », fait-il remarquer. Le tableau n’est pas toutefois aussi sombre à ce niveau, puisque 47 professeurs ont été récemment recrutés, tandis que des médecins qui avaient quitté le Liban sont retournés au pays.
Selon le Dr Khouri, le pourcentage des tarifs en dollars frais devrait aller crescendo pour les années à venir, puisqu’il sera de 60 % à la rentrée prochaine, puis de 80 % à la rentrée 2023 pour atteindre les 100 % à l’automne 2024.
Dans les faits, 100 % des frais d’études de la rentrée prochaine doivent être réglés en dollars frais. « Nous avons envoyé des formulaires à remplir à nos étudiants pour leur permettre d’obtenir une bourse à hauteur de 40 %. Et suivant les premiers résultats, la grande majorité d’entre eux pourra en bénéficier », assure Zaher Daoui, le doyen de la faculté joint par téléphone.
Des bourses entières ou partielles
Les réserves de l’AUB – l’université et l’hôpital – se sont réduites comme peau de chagrin, puisque depuis octobre 2019, quelque 134,5 millions de dollars ont été ponctionnés. Malgré cela, les étudiants les moins nantis ne devraient pas être privés de leurs études. « Depuis le début de la crise, l’aide sociale versée aux étudiants a augmenté. De 55 millions de dollars en 2019, elle est passée à 89 millions en trois ans », explique Fadlo Khouri. « Nous n’avons jamais fermé la porte à un étudiant qui a véritablement besoin de soutien. Actuellement, plus du quart de nos étudiants bénéficient de bourses entières ou partielles », affirme-t-il. Mais pour Siba Mroué, présidente du club estudiantin « Change Starts Here », en 4e année de double cursus d’arabe et d’anthropologie, cette « mesure d’aide n’est pas une solution durable puisqu’elle va se réduire au fil des ans. Nous ne devrions pas être contraints de payer en dollars frais alors que c’est la classe politique qui est responsable de cette situation », déplore la jeune femme. « Nous allons manifester de nouveau parce que cette décision a détruit les espoirs de nombreux étudiants de poursuivre leur cursus », renchérit Mohammad al-Sahili, étudiant en histoire et vice-président du Club laïc de l’AUB.
Alors qu’à la rentrée 2019, l’université comptait 9 450 étudiants – dont 25 % d’étrangers –, ils seraient 8 100 aujourd’hui, selon les chiffres de l’administration. Fadlo Khouri lie ces départs à « l’insécurité qui règne au Liban » plutôt qu’à « la crise économique ». « Le problème s’est vraiment posé après les explosions au port de Beyrouth, le 4 août 2020. De nombreux étudiants étrangers sont partis et des étudiants libanais ont préféré poursuivre leurs études à l’étranger, notamment en France, au Canada et aux États-Unis », explique-t-il.
Pour Dany Youssef, étudiant en 3e année de génie civil et membre du Club laïc, la décision de dollariser les frais des études « était attendue, bien qu’elle soit brutale ». Il devra débourser l’année prochaine entre 18 000 et 20 000 dollars. « Cela rend les tarifs à l’AUB moins compétitifs, parce que pour le même montant, on peut intégrer d’autres universités en Europe », confie cet étudiant. « Je ne pense qu’à ressortir diplômé », lâche pour sa part Jean Menassa, en 3e année d’ingénierie, qui ajoute que de nombreux étudiants partagent son avis et que l’opposition à ces nouvelles mesures proviendraient des nouveaux étudiants.
Une future antenne à Dubaï ?
Dans les rangs des étudiants qui se mobilisent contre cette dollarisation abrupte, l’ouverture prochaine d’une antenne de l’AUB à Chypre fait grincer des dents. « Tout cet argent investi pourrait être destiné aux aides accordées aux étudiants à Beyrouth », déplore Siba Mroué.
L’AUB avait annoncé fin 2021 la création d’une antenne à Paphos. Selon l’agence de presse chypriote citant le maire de la ville début avril, l’AUB aurait investi 29 millions d’euros. L’institution a obtenu le bail du terrain à long terme (99 ans) et devrait pouvoir accueillir 2 000 étudiants dès la rentrée 2023. « Le campus de Paphos en construction rappelle l’architecture de celui de Beyrouth, mais préserve aussi le cachet chypriote en mettant l’accent sur les caroubiers traditionnels du paysage chypriote », précise le président de l’institution. La création de cette antenne s’inscrit dans le cadre du plan d’expansion de l’université et des objectifs fixés pour 2030. Et constitue un moyen d’attirer les étudiants étrangers, de s’ouvrir à l’Europe et de permettre aux étudiants libanais désireux de quitter le pays d’étudier dans la Chypre voisine. « Notre excellence est reconnue dans le monde entier. Le problème qui se pose cependant est que Beyrouth n’a plus la cote », constate Fadlo Khouri, qui ajoute qu’une étude effectuée par l’AUB entre janvier et avril 2022 auprès d’élèves de quinze pays, notamment en Asie, en Afrique, dans les pays arabes et en Europe, montre que cette université figure en tête de liste des institutions qu’ils aimeraient fréquenter. « Cette branche de l’AUB sera indépendante, mais travaillera sous la direction de la maison mère à Beyrouth. Les étudiants et les professeurs devraient aussi pouvoir suivre des semestres sur le campus de la capitale libanaise. Des négociations pour établir des vols entre Paphos et Beyrouth sont actuellement en cours », explique le président de l’AUB, qui estime qu’une partie de l’argent puisée dans les réserves de l’université, notamment en ce qui concerne la construction du campus de Chypre, devrait être considérée comme un investissement, malgré les difficultés que traverse le pays. Dans ce cadre, des négociations pour une éventuelle ouverture d’un campus de l’AUB à Dubaï seraient en cours.
Il y a une rupture brutale avec la réalité. Est-ce que les libanais gagnent tous des dollars pour faire abstraction de leurs capacités financière ? Même avoir des centaines de milliers de dollars dans son compte bancaire, ne peut résoudre ce dilemme auquel l'AUB confronte les parents d'étudiants. Aucun réalisme malheureusement.
16 h 42, le 15 juin 2022