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Culture - Projet multimédia

22 111 avions militaires israéliens ont violé l’espace aérien libanais depuis 2007

L’artiste Lawrence Abu Hamdan, qui se préfère le pseudonyme « oreille privée », vient de lancer la plateforme AirPressure.info. Laquelle est le fruit d’une recherche de deux ans qui révèle l’étendue des violations de l’espace aérien libanais par l’aviation militaire israélienne, afin d’apporter un peu de clarté aux Libanais et, au passage, de déconstruire les mythes.

22 111 avions militaires israéliens ont violé l’espace aérien libanais depuis 2007

La plateforme AirPressure.info illustre sur une carte interactive, à la faveur d’un imbroglio de boucles au-dessus du territoire, l’ensemble des violations aériennes commises par l’aviation israélienne de 2007 à décembre 2021. Photo DR

À défaut d’une gouvernance à la hauteur de cette appellation, il aura donc fallu que ce soit un citoyen lambda qui le fasse. Il aura fallu de surcroît que ce soit un artiste qui décide d’en parler. À froid, sans affects, avec des chiffres à l’appui et donc de manière quasi irréfutable. Parler de ce bruit que les Libanais connaissent par cœur, jusque dans leurs tripes, à tel point que c’est devenu un son ordinaire de leur quotidien, de la psychologie collective. Ce bruit-là, tantôt rugissement, tantôt bourdonnement, tantôt déflagration, qui fait souvent trembler nos intérieurs jusqu’à nous envoyer, par réflexe et en panique, dans les abris, c’est celui des avions militaires israéliens et des drones de surveillance qui ne cessent de violer l’espace aérien libanais voilà des décennies. Ce bruit-là, « que l’on ignore, en oubliant qu’il est létal », l’artiste Lawrence Abu Hamdan (qui préfère le pseudonyme d’« oreille privée ») s’est penché dessus dès 2020. À l’issue d’une étude de près de deux ans donc, la plus exhaustive en son genre, ce dernier a lancé la plateforme AirPressure.info dont le contenu révèle entre autres que l’aviation israélienne a occupé le ciel du Liban pendant huit ans et demi au cours des 15 dernières années. Soit 3 098 jours. Le constat est d’autant plus glaçant que ce sont 22 111 engins militaires qui ont volé au-dessus de nos têtes depuis 2007 (soit après la dernière guerre en date avec Israël), terrorisant à leur passage la population libanaise du sud jusqu’au nord, sans exceptions.

Des avions israéliens sillonnant le ciel libanais. Photo DR

Au lendemain du 4 août…

L’origine de ce projet, son déclic, remonte à l’automne de 2020, soit peu de temps après l’explosion du 4 août. « À l’époque, j’entendais autour de moi plein de gens dire qu’ils avaient entendu des avions juste avant la double explosion. Comme si les violations aériennes ne se limitaient qu’à cet événement isolé, alors que rien que le mois précédant le 4 août, il y a eu 400 survols israéliens. C’est là que je me suis rendu compte que ce débat était contre-productif et qu’il fallait faire quelque chose pour montrer l’étendue de ce crime, dénoncer l’environnement de violence que cela avait créé », raconte cet investigateur indépendant qui a l’habitude d’avoir recours à ses outils d’artiste pour interroger le son et la linguistique. Pour exécuter ce plan ambitieux, l’équipe d’AirPressure.info, cornaquée par Lawrence Abu Hamdan, a extrait des données de 243 lettres figurant dans la Bibliothèque numérique des Nations unies de 2006 à 2021, chacune de ces lettres ayant été adressée au Conseil de sécurité par le représentant permanent du Liban. Les documents en question comportent les informations décelées par les radars, à savoir l’heure, la durée, le type et la trajectoire de chaque violation aérienne.

« Ces opérations dépassent l’espionnage ou l’entraînement et sont plutôt sur le versant de la surveillance de masse et de l’intimidation », souligne Lawrence Abu Hamdan. Photo DR

« Le problème, c’est que la collecte de ces données a été un processus laborieux. Les documents avaient été téléchargés de manière non systématique et pouvaient être localisés de manière disparate sur le site web. L’équipe derrière AirPressure.info a dû patcher tous ces documents ensemble et transcrire manuellement chaque violation afin de rendre ces chiffres accessibles et lisibles. Le ministère libanais de la Défense, le Conseil de sécurité de l’ONU et la Force intérimaire des Nations unies au Liban ont surveillé et enregistré ces violations et ont eu un accès clair et la capacité de faire ce travail eux-mêmes. Au lieu de cela, en stockant les données de manière fragmentaire et non coordonnée, ces institutions ont contribué à masquer l’ampleur de ces crimes », regrette Abu Hamdan, qui a tout de même réussi l’exploit de mener à bien son projet. Il en résulte ainsi le site AirPressure.info, qui a vu le jour la semaine dernière. La plateforme illustre sur une carte interactive, à la faveur d’un imbroglio de boucles au-dessus du territoire, l’ensemble des violations aériennes commises par l’aviation israélienne de 2007 à décembre 2021.

Déconstruire le narratif d’Israël et du Hezbollah

Sauf qu’en regardant de plus près au fil des jours, des mois et des années, quatre révélations retiennent l’attention. Premièrement, la moyenne de la durée d’un survol au-dessus du territoire libanais est de 4 heures et 35 minutes, tandis que les sons perçus par la population ne dépassent pas une ou deux minutes à tout casser. À titre d’exemple, le 1er mars 2013, un survol, à lui seul, a duré 30 heures et cinquante minutes. Deuxièmement, les survols recouvrent l’ensemble du territoire libanais, contrairement au narratif établi qui limite l’intérêt des Israéliens aux zones d’influence du Hezbollah. Troisièmement, la plupart de ces opérations impliquent des avions de combat ou de surveillance parmi les plus avancés au monde d’un point de vue technique, et face auxquels les défenses terrestres libanaises de base n’ont rien de comparable. « Cela relève presque de la fiction. Et prouve que ces opérations dépassent l’espionnage ou l’entraînement, mais sont plutôt sur le versant de la surveillance de masse et de l’intimidation », souligne Lawrence Abu Hamdan.

L’artiste Lawrence Abu Hamdan, qui se préfère le pseudonyme « oreille privée ». Photo DR

Enfin, quatrièmement, la base de données rassemblées sur AirPressure.info ne montre que deux incidents où des avions de chasse entrant par la frontière libanaise en sont ressortis vers le territoire syrien, alors qu’une idée fausse stipule que la plupart de ces vols sont destinés à bombarder la Syrie. « L’idée, à travers ce projet, était de déconstruire d’une part le discours israélien qui ne fait que répéter que le Hezbollah est son seul et unique ennemi ; et d’autre part, le mythe de la résistance tel que prôné par le Hezbollah qui a eu plus de 22 000 occasions au moins de se manifester. Enfin, le but était aussi d’exposer la stratégie d’armement mondial qui emploie nos cieux comme des laboratoires pour tester ces engins », résume celui qui dit avoir choisi l’appellation d’oreille privée « car d’un côté j’ai recours à l’enquête pour consolider et bétonner mes recherches ; et d’un autre côté j’emploie le pan artistique de mon travail afin de rendre la politique plus sensible, d’une certaine façon ». À ce propos, AirPressure.info ne se limite pas à ce qui se trame dans les cieux. Le versant « On the ground » du site cartographie les réactions d’internautes Twitter au moment où ces survols avaient lieu, surtout lorsque ceux-ci se produisaient à basse altitude, provoquant un état de panique généralisée. En ce sens, la plateforme recèle également 11 articles extraits de revues scientifiques qui détaillent les effets physiologiques provoqués par ces bruits d’avion, avec des symptômes allant de l’hypertension à une baisse du flux sanguin, en passant bien entendu par des traumas plus exacerbés. « Je sais qu’à travers ce projet, je suis en train de montrer au grand jour une vérité qui dérange. C’est ma façon d’offrir un peu de clarté aux Libanais, cette chose dont ils sont sans cesse privés. Et aussi, peut-être, de contribuer à guérir leurs traumas par le biais de la connaissance », conclut Lawrence Abu Hamdan, à qui l’on doit sans doute l’un des projets les plus essentiels de ces dernières décennies.

À défaut d’une gouvernance à la hauteur de cette appellation, il aura donc fallu que ce soit un citoyen lambda qui le fasse. Il aura fallu de surcroît que ce soit un artiste qui décide d’en parler. À froid, sans affects, avec des chiffres à l’appui et donc de manière quasi irréfutable. Parler de ce bruit que les Libanais connaissent par cœur, jusque dans leurs tripes, à tel point...

commentaires (1)

Il n’y en a pas un qui voudrait plutôt compter le nombre de fois que nos "élus" ont encaissé un pot de vin, payé un pot de vin, et violé la loi depuis 1990? Il faudrait un ordinateur assez costaud…

Gros Gnon

13 h 47, le 15 juin 2022

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Commentaires (1)

  • Il n’y en a pas un qui voudrait plutôt compter le nombre de fois que nos "élus" ont encaissé un pot de vin, payé un pot de vin, et violé la loi depuis 1990? Il faudrait un ordinateur assez costaud…

    Gros Gnon

    13 h 47, le 15 juin 2022

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