
Le médiateur américain Amos Hoschtein est arrivé hier au Liban. Il a été reçu par le ministre de l’Énergie Walid Fayad et le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim. Mohammad Azakir/Reuters
Arrivé hier au Liban pour tenter de dénouer la crise suscitée par l’envoi par Israël, le 5 juin, du navire relevant de l’entreprise Energean Power dans une zone qui pourrait être contestée par le Liban, le médiateur américain Amos Hoschtein devra désormais prendre en compte la nouvelle équation posée par le Hezbollah.
Lors d’un discours sur le dossier de la frontière maritime prononcé jeudi dernier, le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a réhabilité le rôle guerrier de sa formation et redéfini ses nouvelles règles du jeu. « Nous sommes devant une cause qui n’est pas moins importante que celle de la libération de la frontière… Toutes les options sont sur la table », a-t-il dit. Alors que le Hezbollah jouait jusque-là au partenaire silencieux et se rangeait plus ou moins discrètement derrière la position officielle de l’État, son chef est venu dire clairement qu’il reprenait les choses en main tout en laissant les détails techniques aux négociateurs. Truffée de menaces, de conditions fermes et de lignes rouges à ne pas dépasser, son intervention est venue en quelque sorte sonner la fin de la récréation pour l’ensemble des protagonistes, mais surtout pour les officiels libanais. Car ce n’est pas uniquement au médiateur américain que les mises en garde sont adressées, mais aussi en direction de l’intérieur et des protagonistes locaux.
L’heure est grave : les circonstances (l’arrivée dimanche dernier d’une plateforme gazière au large d’Israël, visant à entamer l’exploitation du gaz du champ de Karish) ne permettent plus aucune tergiversation, encore moins des tiraillements ou des accusations mutuelles sur les responsabilités en jeu, a dit Hassan Nasrallah en substance, avant d’inviter les responsables libanais à afficher une position unifiée et cohérente. Ce qui n’est pas le cas à ce jour. C’est en effet une revendication maximaliste des négociateurs libanais, jamais officialisée par les dirigeants, qui avait suspendu les pourparlers en cours. Les négociations entre le Liban et Israël avaient été entamées sur la base des revendications libanaises officielles enregistrées en 2011 auprès des Nations unies, en référence au décret 6433/2011 portant sur une zone de 860 km2 délimitée par ce qui a été appelé ligne 23. Elles avaient ensuite été interrompues lorsque la délégation libanaise de négociateurs avait annoncé sa volonté de réclamer un droit supplémentaire sur 1 430 km2 limités par la ligne 29, qui coupe en deux le champ de Karish. Mais pour être officialisée, cette revendication nécessitait l’amendement du décret 6433, ce qui n’a jamais été fait par le Liban. En lieu et place, Beyrouth s’est contenté d’adresser une lettre officielle à l’ONU rappelant que le champ gazier de Karish se trouve dans une zone contestée. « Hassan Nasrallah est venu dire très clairement que le Liban a perdu trop de temps, laissant le champ libre à Israël d’avancer ses pions », commente une source proche du parti chiite.
Karish contre Cana
En interne, le message semble avoir été bien reçu. Samedi, le chef de l’État, Michel Aoun, s’est réuni avec le Premier ministre, Nagib Mikati. Les deux hommes seraient finalement parvenus à unifier leur position autour de ce dossier, en concertation avec le chef du Parlement Nabih Berry, qui était régulièrement informé de la teneur des échanges. Selon des informations obtenues par L’OLJ, les trois responsables auraient décidé d’une même voix de défendre, devant le médiateur, une seule et même revendication : la totalité du champ de Cana (qui pourrait être acquise par le biais d’une ligne 23 sinueuse) pour le Liban contre le champ de Karish pour Israël. Ce qui signifierait que l’État hébreu sera privé d’une partie du bloc 8 sur lequel il avait encore des ambitions. Il reste à voir ce que l’émissaire américain aura à dire sur la proposition libanaise que le Hezbollah ne manquera pas de soutenir en principe, Nasrallah l’ayant déjà indirectement évoquée jeudi dernier. L’équation est simple, avait tranché le dignitaire chiite : Israël ne pourra retirer son gaz de Karish que si le Liban en fait autant à Cana. Comprendre que l’État hébreu ne pourra exploiter son gaz qu’une fois un accord officiel trouvé entre les deux parties. Tout dépassement de cette ligne rouge susciterait forcément une réaction militaire de la part de la milice, a menacé le leader chiite. « La résistance possède la capacité financière, militaire, sécuritaire, logistique et humaine d’empêcher l’ennemi d’extraire le pétrole et le gaz du champ de Karish », avait lancé le chef du Hezbollah en référence à l’unité flottante Energean Power. « Hassan Nasrallah a clairement signifié que cette affaire est devenue une priorité pour sa formation pour les jours à venir », assure la source proche du parti.
Même si, pour la forme, les pourparlers pourraient être repris par l’État qui continuera de s’occuper – de manière plus expéditive cette fois-ci, comme le souhaite Hassan Nasrallah – de la cuisine technique, le Hezb, lui, guette désormais le moindre faux pas de part et d’autre. Car pour le parti chiite, le tracé des lignes n’est que détail. Aussi bien la ligne 23 que la ligne 29 n’ont d’importance que par rapport aux ressources énergétiques qu’elles recouvrent, a estimé Hassan Nasrallah. « Les lignes ne sont importantes que s’il y a du gaz », abonde Kassem Kassir, un analyste proche du Hezbollah. Tant que le Liban n’a pas encore fait de forage ni exploré les fonds sous-marins des zones contestées, il lui est quasiment impossible de connaître l’ampleur de ses ressources.D’après une source occidentale qui suit de près le dossier, Hassan Nasrallah « a tourné en dérision » le débat qui aurait pu être rationnel, cohérent et fondé sur le droit si les officiels libanais s’étaient pris à temps. Selon elle, le Liban a en quelque sorte loupé le coche en s’abstenant de modifier le décret 6433. À cette seule condition, le secrétaire général aurait pu parler de « zone contestée », mais non dans l’état actuel des choses, puisque le champ Karish où est amarré le navire grec se trouve dans la zone non encore réclamée par le Liban.
C’est donc avec ces nouvelles donnes que devra compter le médiateur américain, et par ricochet l’État hébreu qui pourrait lâcher du lest ou au contraire durcir le jeu en dépit des menaces proférées par la milice chiite. Selon la source occidentale précitée, Israël, dont le Premier ministre Naftali Bennett se trouve aujourd’hui sur un siège éjectable et en situation très vulnérable, ne pourra aucunement accepter une revendication libanaise sur la totalité du champ de Cana. « Ils ne vont de toute évidence pas accepter la demande libanaise telle qu’elle est formulée, comme cela est la règle dans toute négociation », dit-il. Un marchandage qui, d’après cette source, finira bien par inciter en dernier recours la partie israélienne à céder, mais seulement après avoir poussé le Liban dans ses derniers retranchements.
L’émissaire US entame ses réunions avec les responsables
Le médiateur américain Amos Hochstein chargé notamment du dossier des négociations indirectes entre le Liban et Israël autour du tracé de la frontière maritime, est arrivé hier après-midi à Beyrouth et a immédiatement entamé ses entretiens avec les responsables par des réunions avec le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, et le ministre sortant de l’Énergie, Walid Fayad. « J’ai dit à l’émissaire américain que le président Michel Aoun exprimera la position unifiée du Liban concernant le dossier de la frontière », a déclaré Abbas Ibrahim à la chaîne al-Manar, proche du Hezbollah, en marge de son entretien avec le diplomate américain. La réunion entre le général Ibrahim et M. Hochstein a eu lieu en présence de l’ambassadrice des États-Unis à Beyrouth, Dorothy Shea. Walid Fayad a tenu des propos allant dans le même sens que le chef de la SG à l’issue de sa réunion avec l’émissaire US : « J’ai dit à M. Hochstein que la position du Liban est celle sur laquelle s’accordent les trois pôles du pouvoir » (le chef de l’État, le président de la Chambre et le Premier ministre), a-t-il souligné. Amos Hochstein devait être reçu à dîner par le vice-président de la Chambre, Élias Bou Saab, chargé par le chef de l’État du suivi du dossier des frontières, rapporte l’agence locale al-Markaziya. Mardi, il rencontrera le président Aoun, le président de la Chambre, Nabih Berry, et le Premier ministre sortant, Nagib Mikati.
M Hochstein est double citoyen américain-israëlien, et a servi sous le drapeau israélien. Qu'est ce que le Liban attend de lui, et pourquoi a-t-il été choisi par les américains pour négocier ce dossier ? Quelle poule ou quel coq négocie avec le renard ?
19 h 28, le 14 juin 2022