C’est en prenant un cours de pole dance lors de l’enterrement de vie de jeune fille d’une amie que Laura Ayoub découvre cette forme de danse. À l’époque, elle en sait très peu sur cette discipline. « J’avais vu ça une fois sur les réseaux sociaux et ça avait attiré mon attention, mais ensuite j’étais passée à autre chose. » À son retour au Liban, elle commence toutefois à s’entraîner chez elle en autodidacte, puis entreprend des voyages pour assister à des ateliers dès qu’elle le peut. « Après le premier cours, je me suis sentie très investie. C’est devenu une obsession. Plus rien d’autre ne m’intéressait », confie la jeune femme, soulignant sa détermination à réussir dans ce sport. « Vous commencez à vous fixer des objectifs, des objectifs de souplesse, de parcours, des objectifs sans fin. » Peu de temps après, un ami décide d’ouvrir un studio de pole dance et lui propose un poste de formatrice. « J’ai d’abord refusé, dit-elle, parce que je n’étais pas vraiment intéressée. J’avais un emploi du temps chargé et je n’étais pas sûre de savoir comment le faire. » Elle finit par céder. « Mon envie de partager ce sport a pris le dessus et j’ai commencé à me sentir frustrée (...) Je croyais vraiment aux vertus de la pole dance. J’ai donc quitté mon emploi et j’ai commencé à enseigner. » S’en est suivie la création de Pole Fit Lebanon. Puis, le 29 mai dernier, l’organisation du premier championnat libanais de pole dance, qui s’est tenu au Projekt, un club de Jal el-Dib ayant la réputation d’être sûr et inclusif pour le plus grand nombre.
La fausse image du striptease
La communauté de la pole dance au Liban a connu une croissance constante et une plus grande acceptation au fil des ans. Lorsqu’elle a commencé, Laura Ayoub ne donnait qu’un cours par semaine au club Athletes Anonymous à Mar Mikhaël. Aujourd’hui, Pole Fit Lebanon compte plus de six formateurs qui donnent des cours dans quatre salles de sport, des cours privés et des ateliers ponctuels dirigés par des instructeurs internationaux invités. « C’est une discipline extraordinaire, mais mon parcours a connu de nombreux hauts et bas. Après avoir gagné dans ma catégorie en 2019 au concours Pole Theater Egypt, je me suis blessée et j’ai arrêté de m’entraîner pendant un long moment. J’ai même diminué la fréquence de mes cours, explique Laura Ayoub. C’était comme une gifle, mais cela m’a donné du temps pour développer mon entreprise et me concentrer sur différents projets, parmi lesquels l’organisation de ce championnat au Liban ! » Une inspiration qui lui vient lors d’une soirée entre amis. Monter ce projet à partir de zéro, dans un délai très court, sans aucun financement externe (en raison de la crise économique actuelle du Liban), a constitué une nouvelle source d’angoisse. En 2017 et 2018, elle organise un spectacle de pole dance pour permettre à ses élèves de s’exprimer, tout en collectant des fonds pour les refuges et le sauvetage des animaux – une autre passion de Laura Ayoub. Le premier spectacle ne comprenait que sept danseurs. Le second en a accueilli 23 et remplit une petite salle à Dbayé, où famille et amis se sont réunis pour encourager leurs proches. « J’étais vraiment inquiète, a-t-elle expliqué. Après coup, je sais que beaucoup de gens y ont participé, mais à ce moment-là, je me suis dit : pourquoi y aurait-il du monde ? Ils ne connaissent pas grand-chose à la pole dance… Je n’arrêtais pas de me demander pourquoi ils seraient intéressés. »
Car la pole dance est rarement reconnue comme un sport. Dans le monde entier, et surtout dans les sociétés plus conservatrices, cette discipline est à tort assimilée au striptease. Beaucoup de pole dancers sont des stripteaseuses, mais beaucoup ne le sont pas, et vice-versa, toutes les stripteaseuses ne sont pas des pole dancers. Mais ces nuances n’ont pas réussi à briser les tabous et les stéréotypes, ni à mettre fin aux humiliations que subissent régulièrement les danseurs. « C’est aussi simple que cela », explique Laura Ayoub avec un léger sarcasme : « Pour de nombreuses personnes, il y a une barre, comme pour un striptease, il y a une fille, comme pour un striptease, et il y a de la nudité, comme pour un striptease. »
Une communauté qui grandit
Ce regard péjoratif décourage les filles, les garçons et les personnes non binaires de pratiquer ce sport. Mais avec l’aide des instructeurs de Laura Ayoub et des salles de sport où les danseurs peuvent s’entraîner, la communauté libanaise de pole dance a évolué dans un environnement sans jugement, solidaire et ludique où des personnes de tous âges, sexes, sexualités et identités ont pu s’épanouir. Parmi elles, Karine Boustani et sa fille Kaelle. « Je fais du sport, du yoga et du yoga aérien, déclare la mère de famille. En 2019, j’ai confié à une amie que j’aimerais bien essayer la pole dance. Nous avons fait des recherches en ligne et nous avons découvert qu’il y avait des cours chez Athletes Anonymous. » Après ses premières séances, elle décide d’emmener ses jumelles, âgées de neuf ans à l’époque, essayer un cours. Des deux sœurs, c’est Kaelle qui a le plus accroché, et concouru avec succès. Karine Boustani installe une barre à son domicile que ses filles utilisent pour s’amuser. Lorsque le Liban tout entier se retrouve confiné durant la pandémie de coronavirus, le duo mère-fille s’entraîne plus souvent et plus sérieusement. Puis le Grand Lycée franco-libanais, où sont scolarisées ses filles, annonce que ses élèves sont invités à participer à un concours avec des enfants originaires de huit pays. « Nous avons travaillé dur à la maison, créé des chorégraphies. » C’est ainsi qu’elle envoie une vidéo de Kaelle, et « elle a gagné », se souvient Karine Boustani avec fierté. Aujourd’hui âgée de 12 ans, Kaelle Boustani, également connue sous son nom de scène « Lucky Bee », a concouru dans la catégorie juniors lors du premier championnat de pole dance du Liban et a remporté le titre.
La compétition se scindait en effet en trois catégories ; les juniors regroupant tous les danseurs de moins de 18 ans ; les amateurs, qui s’entraînent depuis deux ans ou moins ; et les semi-pros, qui affichent deux ans ou plus d’entraînement régulier au compteur. Chaque niveau a concouru dans plusieurs sous-catégories dont le « pole art », le « pole drama » et le « pole prov » (provocateur). Deux compétiteurs internationaux ont rejoint les participants libanais alors que deux juges internationales, Manar « Mint » al-Mokadm et Olga Yudina, étaient chargées de juger les épreuves. « Certains de mes amis pensent que je suis folle de laisser mes enfants intégrer cette communauté, en particulier parce qu’elle inclut des homosexuels. Mais mes filles ont appris à accepter les autres sans jugement, soutient Karine Boustani. Tout le monde la félicite pour son travail, même ses grands-parents ! » « En faisant de la pole dance, j’ai découvert mes forces et ma passion pour ce sport, renchérit sa fille Kaelle. J’aime ce sport parce qu’il est différent. Je me sens heureuse et libre en le pratiquant. » Siwa, qui préfère ne pas divulguer son nom complet, a quant à elle expérimenté la danse pendant de nombreuses années et l’a pratiquée sous plusieurs formes. Elle suit un cours de pole dance il y a deux ans, mais n’accroche pas. Elle tente de nouveau l’expérience il y a environ six mois et se force à continuer pendant une semaine. « Au bout de deux semaines, j’ai commencé à comprendre ce qu’était la pole dance, et j’ai compris ce sentiment… dont Laura parle toujours. Si vous persistez, vous devenez accro, explique Siwa. Je la regardais faire des figures sur la barre et je me disais que j’aimerais bien faire ça moi aussi. C’est une discipline qui demande de la force. Je me suis sentie tellement bien lorsque j’ai commencé à pratiquer quelques mouvements. » La jeune femme a elle aussi participé au championnat de pole dance du Liban. « Je ne pensais pas être acceptée », dit-elle. Concernant sa chorégraphie, Siwa s’est inspirée des comédies musicales de Broadway, notamment les adaptations cinématographiques Chicago et Burlesque, avec Cher et Christina Aguilera. Cette interprétation extravagante et dramatique convient parfaitement à la personnalité de la danseuse. « Je voulais m’amuser avec mon spectacle. Et c’est ce que j’ai fait. Il a fallu jouer un peu la comédie au début, ce qui m’a beaucoup plu. J’avais l’impression d’incarner un nouveau personnage, et c’était incroyable d’être sur scène », se souvient-elle. Dès que Siwa a débarqué sur scène et a entendu la chanson qu’elle avait choisie, son anxiété a disparu. Les longues heures d’entraînement, les échecs et le sentiment d’interpréter un personnage sont des moments qui ont enrichi son parcours.
Si elle n’a pas remporté la compétition, Siwa est tout de même heureuse d’y avoir participé. « J’étais tellement fière de moi, cela m’a donné envie de continuer. Je me suis fixé comme objectif de l’intégrer dans mes cours de danse hebdomadaires et dans mon emploi du temps. Cette compétition a eu lieu dans une ambiance tellement agréable. J’ai ressenti tant d’amour. »
Un « voyage thérapeutique »
S’exprimant sous couvert d’anonymat, le gagnant de la catégorie semi-pro « pole prov » du championnat libanais de pole dance confie qu’« enfant, (il) aimait danser et faire des spectacles ». « Le quartier de Beyrouth d’où je viens m’empêchait d’exercer toute activité en rapport avec la danse. Ce n’était qu’un passe-temps qui a cessé de l’être quand j’ai réalisé que je n’étais pas censé danser de cette manière », avoue-t-il. Après avoir arrêté, il a eu du mal à trouver une activité sportive qu’il aimait vraiment. « J’ai toujours détesté les salles de sport. En 2017, je m’entraînais dans un club et j’ai vu les barres. C’est comme ça que je m’y suis mis. C’était une belle échappatoire à mon travail de jour et un formidable moyen de m’exprimer. En même temps, c’était un exercice sportif qui m’a aidé à retrouver la forme et avoir confiance en moi. » Très vite, les cours de pole dance lui offrent le moyen de s’évader, de danser comme il le souhaitait, qu’il s’agisse de danse lyrique ou de toute autre forme de danse. C’était il y a cinq ans. Sa victoire de dimanche a constitué la cerise sur le gâteau, mais elle ne signe pas la fin de son parcours. « À cause de mon travail, j’ai choisi de ne partager ce petit secret qu’avec mon groupe d’amis proches. Nous vivons dans un pays plein de tabous. Les gens ne comprendraient pas le contraste entre mon travail et cette activité. J’ai donc choisi de garder cela pour moi. »
Quant à sa performance, il avoue que c’était un peu l’histoire de ce petit être en lui qui a toujours voulu être reconnu sans jamais pouvoir le montrer. La pole dance a donné à ceux qui la pratiquent un nouveau moyen d’expression mentalement, émotionnellement et physiquement éprouvant, mais incroyablement gratifiant. Au fur et à mesure que la communauté se développe au Liban, la compréhension du public pour ce sport grandit. S’il reste tabou dans beaucoup de cercles, nombreux sont ceux qui n’ont plus peur d’essayer et d’apprécier leur corps et les efforts intenses imposés par cette discipline.
« Il y a tellement d’amour autour de la pole dance et tellement de passion, des personnes qui l’enseignent jusqu’aux personnes qui la pratiquent. Les gens commencent à le voir, à s’y intéresser et à comprendre que c’est très gratifiant », confirme Laura Ayoub. « C’est un voyage thérapeutique pour beaucoup. Quand j’ai quitté mon ancien travail, j’ai souvent entendu : “Fais attention. C’est juste une mode”, se souvient-elle. Sept ans plus tard, cette activité est, plus que jamais, en plein essor et certainement vouée à perdurer. »
Cet article est originellement paru en anglais dans L’Orient Today le 1er juin
Superbe!
23 h 35, le 08 juin 2022