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Lifestyle - Vient de paraître

« Mama ghannouj », un hommage aux saveurs du Liban, à ses recettes et surtout à ses mères

Pour Dima Adra, la cuisine est un véhicule de culture qu’on emporte partout avec soi en quittant le pays natal.

« Mama ghannouj », un hommage aux saveurs du Liban, à ses recettes et surtout à ses mères

Pour Dima Adra, « Mama ghannouj, Dare to cook your mama’s food » est le projet de toute une vie. Photo Lara Zankoul

« C’est avec la nourriture que mon fils saura qu’il est libanais. Zein est aujourd’hui âgé de deux ans, il est né au Canada, il n’est encore jamais venu au Liban, mais il sait prononcer et énumérer des plats libanais qu’il aime : bemiyé, kebbé, labné, hommos et warak enab », raconte Dima Adra, qui a pris un peu plus de cinq ans pour compiler un livre de 500 pages sur les recettes du Liban. Intitulé Mama ghannouj, Dare to cook your mama’s food, cet ouvrage rédigé en anglais présente 63 recettes, proposées par dix mères de famille qui vivent au Liban et ailleurs, notamment aux Émirats arabes unis, en France, au Royaume-Uni et au Canada. Dans une mise en page soignée et drôle de Nour Tohmé, un stylisme signé Laure Corten, les illustrations de Hoda Adra et des photos rafraîchissantes de Valeria Bismar et Lara Zankoul, l’auteure partage sa propre expérience, propose des astuces de préparation, et bien sûr des recettes qui vont des petits déjeuners aux desserts, en passant par les essentiels, nos fameux mezze et autres tabkhet el-beit, la cuisine faite maison. « Ce projet m’a donné envie de changer de cap et de me lancer dans la cuisine », souligne Dima Adra, qui a choisi à contrecœur de vivre en exil. Pour elle, la cuisine est, comme la langue, un véhicule de culture. « On la transporte avec nous quand on quitte son pays natal. Ses saveurs, ses goûts et ses parfums font partie de la construction d’une identité, même quand on est né à l’étranger. »

Des histoires, des conseils, des recettes de nos mères dans chacune des pages de l’ouvrage. Photo DR

Cette femme de 33 ans est en effet bien placée pour parler du sentiment d’appartenance, malgré la distance et l’éloignement. Elle est née en Arabie saoudite où sa famille s’est établie pour des raisons professionnelles. « J’ai été scolarisée à Djeddah et tous les étés, je passais deux mois chez ma grand-mère paternelle Hoda au Liban », dit-elle. De ses étés à Tripoli, la capitale du Liban-Nord, ce sont les souvenirs de bord de mer et du grand soleil qui l’accompagnent mais c’est aussi et surtout la saveur, des plats mijotés par sa grand-mère. « Même si nous n’étions pas nombreux à la maison, ses déjeuners étaient des festins au quotidien. Quand j’y pense, je sais que c’est ainsi que j’ai appris indirectement la générosité et l’opulence propres au Liban », dit-elle. « Ma grand-mère confectionnait des plats tripolitains traditionnels, qu’on ne mange nulle part ailleurs au Liban, comme le chich barak accompagné de lentilles et de riz cuisiné à la façon d’une mdardra et d’une petite assiette de mouloukhié bouillie. Elle mettait tout à table et nous composions nos assiettes. Elle préparait aussi de la kafta au debs el-remane et aux pignons, et des warak enab qu’elle laissait mijoter à feu doux durant deux jours et qui nécessitaient plus de dix heures de cuisson. Plus tard, lorsque j’habitais au Liban, elle tenait à ce que j’aie à chaque visite mon paquet de baklava. D’ailleurs, la recette de ce dessert dans mon livre est un peu un hommage que je lui rends », raconte-t-elle.

Des histoires, des conseils, des recettes de nos mères dans chacune des pages de l’ouvrage. Photo DR

Montréal / Beyrouth

Son bac français en poche, Dima Adra, sur le conseil de ses parents, s’installe à Montréal pour suivre des études universitaires. « J’avais 17 ans, je me suis sentie complètement perdue. Je ne me suis pas adaptée. Tout était très dur et je ne voulais qu’une chose, rentrer chez moi, au Liban », note-t-elle. Même si elle n’y avait jamais passé une année entière, elle n’avait qu’un seul sentiment d’appartenance, celui d’être libanaise. Une appartenance qui passait par l’éducation, la culture et la nourriture. Après deux ans au Canada, elle rentre au Liban en 2008, s’inscrit à l’Université américaine de Beyrouth, habite sur le campus et se rend tous les week-ends à Tripoli. « J’étais heureuse, mon pays était beau, tout à fait comme je l’imaginais, et je découvrais chaque coin de Beyrouth. J’allais à la rencontre de personnes que je ne connaissais pas. Tout le monde était gentil et généreux, même ceux que je croisais dans la rue. Je me souviens qu’un jour, alors que j’étais en train de pleurer sur un banc, un vieil homme s’est approché de moi, il m’a consolée et m’a même offert une man’ouché. C’était un acte de générosité gratuite. De telles choses n’arrivent jamais à l’étranger », précise-t-elle. Diplômée en marketing, Dima Adra travaille alors dans une agence de publicité durant quelques années et, à la demande de ses parents, repart pour Montréal. « Même avant la crise de 2019, le Liban était un pays cher, surtout pour les loyers. Il fallait que je sois indépendante et le Canada était ma seule option », explique-t-elle. Dans ce pays où elle a décidé de faire sa vie, elle est entourée de sa sœur, son fiancé lui aussi libanais, Ramy Karam, et de nombreux amis originaires du pays du Cèdre. Elle travaille, suit des cours à HEC et décroche un diplôme en innovation sociale. « Nous étions un groupe d’amis à majorité libanaise, nous nous retrouvions pour manger à la maison. Nous cuisinions des plats internationaux, et puis l’idée m’est venue de confectionner de véritables plats locaux, ceux de nos mamans. »

Des histoires, des conseils, des recettes de nos mères dans chacune des pages de l’ouvrage. Photo DR

« Tu sauras quand la cuisson est terminée »

Pour se documenter et trouver de bonnes recettes, elle achète des livres de cuisine, mais rien à ses yeux n’a le goût du Liban véhiculé par sa mère et sa grand-mère. « J’appelais ma mère pour les recettes, mais c’était difficile, très difficile. Elle ne me donnait jamais la quantité exacte des ingrédients, elle me disait par exemple : pour cuire le riz, il te faut un ou deux verres d’eau… Mais il y a une différence entre un ou deux verres ! Elle me disait : « tu sauras quand la cuisson est terminée, ajoute sel, poivre et piment à ton goût… » Et c’est en préparant ces plats libanais, en y voyant la difficulté de le faire avec précision qu’elle a l’idée de créer un livre qui non seulement regroupe des recettes, mais rend aussi hommage aux mères qui font la cuisine tout en s’occupant de l’éducation de leurs enfants. Elle en choisit dix, parmi lesquelles Maha sa mère ; Dolly Karam, sa belle-mère; Rima, sa tante ; Hoda sa téta, et des femmes qu’elle estime, mères de ses amies ou amies : Mona Meskaoui, Alhan Abboud, Nourane Kaough, Eliane Khayat et Marie Moussa, sa professeure d’arabe.

Des histoires, des conseils, des recettes de nos mères dans chacune des pages de l’ouvrage. Photo DR

Le livre, baptisé Mama ghannouj, « en opposition au fameux baba ghannouj, et pour bien montrer qu’il s’agit de recettes libanaises, des recettes de mamans, et pas celles de chefs ou d’une seule personne », contient donc les recettes de ces femmes, toutes libanaises, leurs portraits et des images du Liban. L’équipe artistique qui a créé le livre est elle aussi composée de femmes. « J’ai mis dans Mama ghannouj les plats que nous mangeons tous les jours à la maison, les ragoûts, les légumes et les feuilles de vigne farcies, les douceurs. J’ai travaillé les photos, les illustrations et la mise en page avec plusieurs artistes au Liban et au Canada. Ce travail a pris cinq ans. C’est le projet d’une vie », confie-t-elle.

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Une fois achevé, il a fallu trouver l’argent pour l’éditer. Il y a un peu plus d’un an, Dima Adra publie une vidéo sur le web et les médias sociaux appelant à un « crowd funding ». Dans ce petit film de deux minutes et demie, elle montre des jeunes hommes et femmes libanais qui parlent des plats qu’ils aiment, et confie ses propres déboires en cuisine. En six heures, elle atteint son objectif et récolte l’argent nécessaire pour imprimer le livre. Le reste du montant, elle le versera à la Lebanese Food Bank. Aujourd’hui, l’ouvrage est en vente sur le site web www.mamaghannouj.com en attendant qu’il soit distribué prochainement au Liban.

« C’est avec la nourriture que mon fils saura qu’il est libanais. Zein est aujourd’hui âgé de deux ans, il est né au Canada, il n’est encore jamais venu au Liban, mais il sait prononcer et énumérer des plats libanais qu’il aime : bemiyé, kebbé, labné, hommos et warak enab », raconte Dima Adra, qui a pris un peu plus de cinq ans pour compiler un livre de 500...

commentaires (2)

Ma chere Dima. Ca m a pris 10 ans pour. M adapter a montreal et encore……

Robert Moumdjian

12 h 21, le 07 juin 2022

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Commentaires (2)

  • Ma chere Dima. Ca m a pris 10 ans pour. M adapter a montreal et encore……

    Robert Moumdjian

    12 h 21, le 07 juin 2022

  • Histoire tres touchante. Idee tres sympa...L'histoire de tant de Libenais racontee a travers des plats delicieux qui nous definissent ainsi que notre chemin vers l'etranger, ainsi que le retour de certains.....

    Sabri

    13 h 25, le 03 juin 2022

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