
Le nouveau vice-président du Parlement, Elias Bou Saab, à son arrivée mardi à la place de l’Étoile. ANWAR AMRO / AFP
On le surnomme le Ferzli 2.0. Élias Bou Saab, député grec-orthodoxe affilié au Courant patriotique libre, a été élu au second tour vice-président du Parlement avec 65 voix en sa faveur sur un total de 128, contre 60 pour son concurrent, Ghassan Skaff, un indépendant de la Békaa-Ouest. L’ancien ministre de l’Éducation au sein du gouvernement de Tammam Salam et ministre de la Défense sous Saad Hariri prend ainsi la place de l’homme de main de Damas, Élie Ferzli, écarté depuis sa défaite cuisante lors des législatives du 15 mai.
Après l’éviction de plusieurs députés pro-Assad, l’élection de Bou Saab, qui a appartenu au Parti syrien national social (PSNS), vient rappeler que Damas n’a pas perdu toutes ses plumes au Liban. Son accession à la vice-présidence du Parlement est avant tout le fruit d’un deal à la libanaise. Nabih Berry, président de la Chambre depuis 1992, s’est assuré de pouvoir compter sur les voix de quelques députés aounistes afin d’atteindre la majorité absolue dès le premier tour. En contrepartie, le CPL a pu sécuriser l’élection de Bou Saab. Les deux hommes se sont d’ailleurs rencontrés à Aïn el-Tiné le 28 mai, soit quelques jours avant la séance parlementaire, suite à l’annonce de la candidature d’Élias Bou Saab par Gebran Bassil. Le député du Metn ne fait pas partie des proches du leader du CPL et n’était pas son premier choix. Le gendre du président lui préférait le député Georges Atallah, mais a fini par se résoudre à soutenir celui qui avait le plus de chance de l’emporter grâce au deal avec Amal. « Il y a clairement eu une entente sous la table entre Nabih Berry, Hassan Nasrallah et Gebran Bassil pour faire élire Bou Saab et Alain Aoun (membre du bureau de la Chambre) », dénonce Charles Jabbour, le porte-parole des Forces libanaises. « Pour ses partisans, Bassil fait de la propagande en disant qu’il est contre Berry, alors qu’en réalité, il le soutient », appuie-t-il.
Pour garder son trône, le chef du Parlement était prêt à tout et devra composer avec celui qui est considéré comme l’un des bras droits du président Michel Aoun, son ennemi juré. Mais pour Berry, Élias Bou Saab est aussi le candidat tombé du ciel. Il est du sérail, ils se connaissent bien, auraient même des liens de parenté, et ce dernier aurait plaidé en faveur de l’apaisement entre le CPL et le chef d’Amal ces dernières années.
« Présence syrienne »
À 54 ans, Élias Bou Saab vit aujourd’hui son heure de gloire en atteignant la plus haute marche du pouvoir traditionnellement réservée à la communauté grecque-orthodoxe. Ce natif du village de Dhour Choueir est titulaire d’une maîtrise en relations internationales de l’Université de Boston, mais également d’un diplôme en marketing de l’American College de Londres. C’est à Dubaï que cet homme d’affaires a fait sa fortune, où il fut un temps vice-président exécutif de l’Université américaine de Dubaï, une institution universitaire réputée qu’il a contribué à créer dans les années 1990.
Avant de faire son entrée en politique, Élias Bou Saab a d’abord soutenu financièrement les organes médiatiques du CPL lors de la création de la chaîne de télévision OTV, du site d’information al-Mada et de la radio Saout el-Mada. Il s’est ensuite investi au niveau local en se faisant élire à la tête de la municipalité de Dhour Choueir de 2009 à 2012. « Je le connais depuis l’enfance, c’est quelqu’un qui a dû quitter le pays pour faire fortune, mais qui a toujours tenu à en faire bénéficier son village et sa région. Il aidait beaucoup de gens de manière discrète, au niveau des hôpitaux ou en payant les études de jeunes dans le Golfe », confie le moukhtar du village Mikhaël Sawaya.
En 2014, il est nommé ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et entreprend plusieurs réformes. À maintes reprises, il fera l’objet de moqueries sur les réseaux sociaux à cause des nombreuses fermetures d’écoles en raison d'un grand froid ou d’intempéries. Son successeur, le ministre Tarek Majzoub, l’accusera de népotisme pour avoir placé sa cousine maternelle Nada Oueïjane à la tête du Centre de recherche et du développement pédagogiques (CRDP) relevant du ministère de l’Éducation, en 2015. Fort de ses liens solides avec l’ensemble de la classe politique, le ministre Bou Saab va servir d’intermédiaire entre le CPL et les différents partis. En 2017, il est nommé conseiller pour les affaires internationales de Michel Aoun. « C’est un personnage assez souple, dynamique. Un homme de dialogue qui a de bonnes relations avec tout le monde et même avec ceux qui ne votent pas pour lui », estime le député aouniste Alain Aoun. Bien qu’il n’ait jamais rejoint officiellement le parti, Élias Bou Saab est resté fidèle au bloc aouniste, tout en se démarquant sur certains dossiers. Tandis qu’il est partisan d’un apaisement entre le président de la Chambre et Michel Aoun, des tensions ont éclaté entre lui et le conseiller du chef de l’État Jean Aziz en 2018, ce qui avait conduit à la démission de ce dernier. À la même époque, il aurait en outre provoqué la colère des militants du CPL en qualifiant l’occupation syrienne au Liban de « présence » syrienne. « Il a un caractère indépendant, il a ses convictions, ce n’est pas un mouton de Panurge », appuie Alain Aoun.
Panama Papers
Devenu ministre de la Défense en février 2019, celui qui est marié à la chanteuse Julia Boutros va créer la polémique à plusieurs reprises en reprenant la rhétorique du camp Hezbollah-Assad. Tout d’abord, en avril, en prenant position en faveur de l’armement du parti de Dieu et en balayant ainsi la possibilité de l’établissement d’une stratégie de défense nationale, pourtant évoquée par le président Aoun. Il se voudra ensuite le chantre des pro-Damas en affirmant qu’il est nécessaire que le Liban coopère avec la Syrie afin de lutter contre la contrebande frontalière. Lors de sa participation à la conférence annuelle de Munich en février 2019 au sujet de la « zone de sécurité » qu’Ankara souhaite instaurer dans le nord-est de la Syrie, il affirme que « toute présence en Syrie d’une autre armée que celle de la Syrie n’est pas la bienvenue et est considérée comme une occupation ». En 2015 déjà, lors de la visite du Premier ministre britannique David Cameron au Liban au mois de septembre, il avait suscité de nombreuses critiques en suggérant qu’au moins 2 % des réfugiés syriens en Europe pourraient être des infiltrés jihadistes de l’État islamique.
Ses positions lui ont permis de gagner le respect des responsables du Hezbollah avec qui il entretient de très bonnes relations, selon Fayçal Abdessater, un analyste proche du parti chiite. « Nous aspirons à ce que le nouveau vice-président de la Chambre puisse jouer un rôle dans le rétablissement des liens entre le CPL et Nabih Berry », renchérit l’analyste.
En 2016, Élias Bou Saab est cité dans la grande enquête intitulée « Panama Papers » portée par le Consortium international des journalistes d’investigation. Cette enquête dévoile, en s’appuyant sur une fuite de millions de documents confidentiels du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, des informations sur plus de 200 000 sociétés offshore, notamment les noms de leurs actionnaires.
« C’est du n’importe quoi. Il n’était pas politicien à l’époque de cette offshore », défend Alain Aoun. « Par ailleurs, il a payé un très lourd tribut dans le cadre de la crise (économique dans laquelle s’enfonce le Liban depuis près de trois ans, NDLR) puisque tout son argent est bloqué dans les banques libanaises », renchérit le député aouniste. En 2020, une enquête du journaliste d’investigation d’al-Jadeed Riad Kobeïssi pointait du doigt les détournements de fonds alloués par les Nations Unies à la scolarisation des enfants réfugiés syriens dans les écoles publiques libanaises, à l’époque où Bou Saab était ministre de l’Éducation. Son successeur, Tarek Majzoub, l’avait accusé, dans une émission de la même chaîne, de corruption, gaspillage de fonds publics, pots-de-vin, ainsi que d’intimidation et d’abus de pouvoir.
Someone who belongs to a Syro-Fascist party and does not believe in Lebanon or the intl laws governing sovereign borders, should not play a role in our political establishment. This gentleman is an Assad pawn. Thumbs down.
18 h 59, le 01 juin 2022