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Politique - Législatives

Qui va profiter du vote de la diaspora ?

Une lecture, par des formations traditionnelles, des groupes de la thaoura et des observateurs, des tendances dégagées du scrutin organisé à l’étranger.

Qui va profiter du vote de la diaspora ?

Une expatriée libanaise s’apprêtant à voter au consulat du Liban aux Émirats arabes unis, le 8 mai. Karim Sahib/AFP

Plus de 130 000 votants. C’est le nombre d’expatriés libanais ayant participé aux élections législatives, selon les estimations du ministère des Affaires étrangères. C’est l’équivalent de 60 % des non-résidents qui se sont inscrits pour faire entendre leur voix en vue de ce scrutin considéré comme crucial pour l’avenir du Liban. Ce taux, qui dépasse celui de 2018 (56 %) malgré l’absence du courant du Futur et les difficultés techniques et logistiques qui se sont érigées face aux électeurs, est d’autant plus impressionnant quand on sait que le nombre d’inscrits pour voter a été multiplié presque par trois par rapport à la dernière consultation (225 114 inscrits en 2022 contre 82 965 en 2018). Une première lecture, en attendant les chiffres définitifs du ministère, a permis d’identifier les pays où le plus grand nombre d’électeurs se sont mobilisés : il s’agit de la France, des Émirats arabes unis, de l’Australie, des États-Unis et du Canada. Plus de deux ans après la révolte du 17 octobre 2019 contre une classe dirigeante honnie, et un peu moins après une explosion gigantesque qui a détruit le port de Beyrouth et des pans entiers de la capitale, faisant plus 220 morts, cette mobilisation va-t-elle profiter aux groupes prônant le changement ou aux formations traditionnelles aux machines électorales bien huilées ?

Concept vague
« Il n’y a pas de doute, la plupart de ceux qui se sont rendus aux différents bureaux de vote ont voté pour le “changement”. Mais ce concept est beaucoup trop vague et dépend de la perception de chaque électeur. Ainsi, si certains y incluent des partis traditionnels comme les Forces libanaises (FL), d’autres préfèrent une approche plus puriste », remarque l’expert électoral Kamal Richa. Un constat que les intéressés semblent partager. Contacté, Wassim Raji, responsable de la machine électorale des FL, affirme ainsi que le vote de la diaspora profite au parti de Samir Geagea. « Nos chiffres montrent que nous avons réalisé de bons scores en Australie, aux États-Unis et aux Émirats arabes unis », indique-t-il, sans toutefois partager de chiffres. La longueur d’avance des FL est confirmée par la machine électorale de Michel Moawad, candidat réformiste dans la circonscription du Nord III (Batroun, Becharré, Koura, Zghorta), qui comptait particulièrement sur le vote en Australie. « Dans notre circonscription, nous avons bénéficié du vote de la diaspora, surtout dans le caza de Zghorta, où Michel Moawad s'est facilement démarqué des autres candidats. Il serait, selon nos estimations mais aussi selon celles des différentes machines électorales, en tête après le vote des Libanais à l'étranger », affirme un membre de cette machine électorale. Et de faire remarquer toutefois : « Les FL étaient très fortement organisées et ont tout fait pour mobiliser l’électorat en leur faveur ».

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Quant aux Kataëb de Samy Gemayel, ils affirment via Ralph Sahyoun, responsable de la machine électorale, que « l’ambiance qui s’est dégagée du vote des expatriés était très positive pour le parti », se gardant toutefois eux aussi de donner des chiffres.

Du côté de la contestation, on affirme cependant qu’auprès des électeurs de la diaspora, surtout aux Émirats arabes unis (où on estime que 18 000 Libanais ont voté, soit plus de 70 % des inscrits), c’est surtout la thaoura qui a cartonné. « Selon les sondages de sortie des urnes que nous avons réalisés, les électeurs à Dubaï ont surtout voté pour les candidats de la contestation au Mont-Liban, comme Najat Aoun Saliba et Marc Daou au Chouf-Aley et Michel Hélou à Baabda », affirme un candidat proche de la contestation à L’Orient-Le Jour. Même les FL reconnaissent à demi-mot un avantage à la thaoura aux Émirats arabes unis. « Nous sommes contents de notre score à Dubaï. Mais cela ne veut pas nécessairement dire que nous sommes arrivés premiers », nuance M. Raji.

Le pari sunnite
Côté sunnite, le faible taux de participation en Arabie saoudite peut être synonyme d’une faible mobilisation. En effet, seuls quelque 49 % des inscrits se sont rendus aux urnes, contre 57 % en 2018 dans ce pays où 56 % de l’électorat est sunnite. Selon certains observateurs, les circonscriptions (à majorité sunnite) de Beyrouth II, Tripoli, Saïda et Akkar sont celles qui ont connu le taux de participation le plus bas dans le royaume. « Cela indique que l’électorat haririen a partiellement respecté le boycott de ce scrutin par le leader sunnite et sa formation et le mot d’ordre donné implicitement aux partisans du parti bleu de ne pas prendre part à cette consultation populaire », indique M. Richa. Une mauvaise nouvelle pour plusieurs figures sunnites, l’ex-Premier ministre Fouad Siniora en tête, qui souhaitaient combler le vide laissé par Saad Hariri en courtisant l’électorat de cette communauté, notamment les partisans du Futur. Si ces figures sont soutenues dans leurs efforts par l’Arabie saoudite, mais aussi par le mufti de la République qui a récemment multiplié les appels à voter massivement, elles semblent encore loin d’avoir gagné leur pari.

Commentaire

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Voix dispersées
Ce qui est toutefois certain, selon M. Richa, c’est que le vote de la diaspora désavantage le camp de la majorité actuelle. « La plupart des électeurs sont venus déposer un vote sanction », affirme l’analyste. Au sein du Courant patriotique libre, parti du président Aoun, on se veut plus nuancé.
« Certes, nous n’avons pas les mêmes moyens que nos adversaires, mais nous estimons que personne ne sortira véritablement gagnant du scrutin des expatriés. Les voix seront réparties de façon équilibrée entre les différents protagonistes », affirme Sayed Younès, responsable de la machine électorale aouniste.

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Le Hezbollah, plus grand allié du CPL, se considère, lui, dans une position plus défavorable. « Le Hezbollah est considéré comme terroriste par une grande partie des pays où le scrutin s’est déroulé. Non seulement cela empêche le parti de mener campagne équitablement, mais en plus cela impose une pression sur les électeurs, qui sont conscients que voter pour le Hezbollah peut avoir de graves répercussions sur leur vie professionnelle », indique Fayçal Abdel Sater, un analyste proche du parti de Dieu. Pour lui, cette « compétition déloyale » pourrait conduire à des résultats défavorables au Hezbollah dans les pays où il y a le plus d’inscrits. En Syrie et en Iran, deux pays qui forment avec le Hezbollah « l’axe de la résistance », le taux de participation était particulièrement élevé, même si le nombre d’inscrits est timide. « Mais au final, cela importe peu. Si quelque 130 000 expatriés ont voté, leur influence sera diluée vu qu’ils seront répartis sur les 15 circonscriptions électorales qui forment le pays », suppute M. Abdel Sater.


*Cet article a été édité le 11 mai à 15h30.

Plus de 130 000 votants. C’est le nombre d’expatriés libanais ayant participé aux élections législatives, selon les estimations du ministère des Affaires étrangères. C’est l’équivalent de 60 % des non-résidents qui se sont inscrits pour faire entendre leur voix en vue de ce scrutin considéré comme crucial pour l’avenir du Liban. Ce taux, qui dépasse celui de 2018...

commentaires (1)

En 2018 si je ne me trompe pas FL et CPL étaient quasiment à égalité dans les votes de la diaspora. Les FL font état sur leur site d’un rapport de 85% de votes souverainistes, FL Kataëb ou « thaoura » vs 15% de votes pour le pouvoir Hezbollah-Aoun. Parmi ces 15% sans doute une grande majorité sont des voix chiites pro-Hezbollah. Parmi les 85% de votes souverainistes on peut penser que la moitié va aux FL. Parmi les 15% seuls 3 ou 4% seraient réellement pro-Aoun. On serait donc dans un rapport de 10 votes FL pour 1 vote aouniste alors qu’en 2018 c’était plutôt du 1 pour 1. Il y a tout à penser que dans des circonscriptions comme le Keserwan-Jbeil un tel rapport de 10 pour 1 se reproduise dimanche prochain. Rien que cela rend très peu probable l’hypothèse d’un parlement 2022 similaire à celui de 2018. Rien que cela devrait secouer les citoyens libanais qui pensent que c’est inutile d’aller voter ce dimanche car cela ne changerait pas grand chose à la composition du parlement actuel.

Citoyen libanais

07 h 41, le 11 mai 2022

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Commentaires (1)

  • En 2018 si je ne me trompe pas FL et CPL étaient quasiment à égalité dans les votes de la diaspora. Les FL font état sur leur site d’un rapport de 85% de votes souverainistes, FL Kataëb ou « thaoura » vs 15% de votes pour le pouvoir Hezbollah-Aoun. Parmi ces 15% sans doute une grande majorité sont des voix chiites pro-Hezbollah. Parmi les 85% de votes souverainistes on peut penser que la moitié va aux FL. Parmi les 15% seuls 3 ou 4% seraient réellement pro-Aoun. On serait donc dans un rapport de 10 votes FL pour 1 vote aouniste alors qu’en 2018 c’était plutôt du 1 pour 1. Il y a tout à penser que dans des circonscriptions comme le Keserwan-Jbeil un tel rapport de 10 pour 1 se reproduise dimanche prochain. Rien que cela rend très peu probable l’hypothèse d’un parlement 2022 similaire à celui de 2018. Rien que cela devrait secouer les citoyens libanais qui pensent que c’est inutile d’aller voter ce dimanche car cela ne changerait pas grand chose à la composition du parlement actuel.

    Citoyen libanais

    07 h 41, le 11 mai 2022

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