Elles répondent toujours à l’appel quand il y a une urgence, une dénonciation, un cri ou un discours (anti-)politique à diffuser. Utilisant leur art, leur talent, leur langage et un humour, une dérision qui n’a peur de rien même à des kilomètres de Beyrouth, Michelle et Noëlle Keserwany poursuivent leur combat citoyen en mettant un doigt accusateur sur nos plaies et les causes d’une mort qu’elles ont annoncée il y a plus de dix ans.
Depuis Jagal el-USEK (2010), Aal-Jamal Bi Wasat Beirut (2012), Panique Bel Parlement (2013), Zaffatleh el-Tarik (2016), Men3id w men3id (2018), et les plus récents Kaën Aïchin (2020), Romansiyyé Syessié (2020) et enfin Alf Leilé w Leil (2021), le duo poursuit inlassablement et avec de plus en plus de maturité son travail artistique et citoyen.
Cette fois-ci, avec des mots percutants et saignants, les deux sœurs reviennent sur ces trois années d’enfer que traverse le pays, conséquence d’un dysfonctionnement et d’une corruption qui ont dévasté notre nation.
En un mot, Barra, en 3 minutes et trente et une secondes, dans une vidéo qui a fait le buzz depuis sa diffusion samedi soir sur les réseaux sociaux, elles résument les problèmes des Libanais excédés, écœurés et désœuvrés, dépouillés de tout, jusqu’au dernier centime, jusqu’à la dernière illusion de jours meilleurs. Et s’interrogent sur ceux qui restent, malgré tout, tentés par les anciennes figures politiques… Sans en aucune façon tomber dans la victimisation ou un bavardage facile, les voilà usant du mot juste, dans une sobriété, pour rappeler l’importance de nos votes, la seule porte de sortie de cette classe gouvernante qui s’acharne à rester ancrée dans ses crimes. Le texte a été rédigé après le naufrage d’une embarcation de migrants à Tripoli, dans la nuit du 25 au 26 avril. C’était pour elles le drame de trop. Le crime de trop.
« Nous avons senti que cette tragédie constituait le pic de l’horreur et de l’irresponsabilité, juste après la double explosion au port de Beyrouth, confie Michelle. Trouver nos mots cette fois-ci était un exercice difficile. Mais cette affreuse nouvelle nous a remplies de colère et de tristesse et nous a stimulées, en accélérant le processus d’écriture. Nous nous sommes essentiellement concentrées sur le récit de personnes qui croyaient autrefois en un parti politique précis, mais qui sont à présent déçues par l’action de leur leader. Nous avons également voulu comprendre pourquoi elles étaient encore attachées aux partis traditionnels, même celles qui ont perdu un être cher durant la guerre, une maison, leur avenir… Tout en restant attentives à la manière dont chacune interprète son vécu et construit l’avenir en fonction de son passé, sans leur dire directement qu’elles ne sont rien d’autres que des moutons, des suiveurs… ». C’est également pour cette raison que la vidéo démarre avec deux femmes: la première, qui a perdu son fils à la guerre, et l’autre qui a perdu son mari, un militaire. « Ceci étant dit, nous sommes profondément convaincues qu’il est impossible de voter pour les même partis politiques. Ils ont prouvé leur incompétence et leur incapacité à faire partie du pouvoir. Notre message est simple et formulé en toute objectivité. Ils sont les seuls responsables de tout ce qui nous arrive aujourd’hui, y compris la double explosion au port. Nous sommes également persuadées qu’il faut voter pour de nouvelles formations politiques, mais après s’être informé, après avoir écouté leurs interventions et étudié leur programme ».
« Nous avons produit Barra la semaine dernière en 5 jours, poursuit-elle, après avoir été » bloquées « et dans l’impossibilité de nous exprimer. C’est grâce à l’encouragement de nos amis et surtout de Paul et Tracy Naggear, parents d’Alexandra, une des victimes du port, que tout est devenu clair ». Un processus de travail très rapide, a été monté dans l’urgence, avec une journée consacrée à l’écriture, une à l’enregistrement, une autre avec Zeid Hamdan à la musique, et une dernière au montage. « Nous avons même réutilisé quelques plans de vidéos anciennes, faute de temps. De toute manière, les choses n’ont pas changé et les images passées restent hélas d’actualité, qu’il s’agisse de poubelles, de convois politiques, d’assassinats, d’incendies ou de pollution… ».
Dans les mois à venir, Michelle va s’atteler à l’écriture d’un script pour un long-métrage de fiction, « un drame satirique » qui se fera avec « l’aide au parcours du CNC ». Outre un documentaire qu’elle travaille avec sa sœur, Noëlle va plancher sur son court-métrage d’animation Seven Mountains and Seven Seas, basé sur une œuvre d’Emily Nasrallah.
En attendant, Michelle et Noëlle seront, bien évidemment, au rendez-vous du 15 mai, pour voter pour le changement et surtout, pousser tous ces criminels Barra, à dégager. « Hors de nos vies, de nos appartements froids, de nos frigos vides, de l’obscurité de nos rues ; de nos médias, nos mers, nos terres, nos dossiers judiciaires, nos cauchemars, nos identités… ».
commentaires (0)
Commenter